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12/06/2018 | FRANCE | N°17-81637

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 juin 2018, 17-81637


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

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Mme Nicole X...,
Mme Christine Y...,
M. Robert Y..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 9 septembre 2016, qui, dans la procédure suivie contre M. Jean-Luc Z... et l'association groupe Saint-Sauveur du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 2 mai 2018 où étaient présents dans la for

mation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. A..., conse...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

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Mme Nicole X...,
Mme Christine Y...,
M. Robert Y..., parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 9 septembre 2016, qui, dans la procédure suivie contre M. Jean-Luc Z... et l'association groupe Saint-Sauveur du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 2 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. A..., conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller A..., les observations de la société civile professionnelle MATUCHANSKY, POUPOT et VALDELIÈVRE, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général B... ;

I - Sur les pourvois formés par Mme Christine Y... et M. Robert Y... :

Attendu que les demandeurs n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation ; qu'il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leur pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

II - Sur le pourvoi formé par Mme Nicole X... :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil en sa rédaction applicable en l'espèce, devenu 1240 du même code, 470-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, du principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime, défaut de motif, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel n'a fixé le préjudice résultant de toute perte de chance de survie qu'à la somme de 15 000 euros ; qu'a condamné in solidum M. Jean-Luc Z... et le groupe Saint-Sauveur à payer à Mme X..., veuve C... une somme de 15 000 euros, outre intérêts, et a débouté en conséquence Mme X..., veuve C... de ses demandes vivant à obtenir indemnisation des frais d'obsèques à hauteur de 4 115,36 euros, du préjudice moral subi à hauteur de 30 000 euros et du préjudice économique subi à hauteur de 639 196 euros ;

"aux motifs qu'il est incontestable que si l'on ne peut affirmer en raison de la gravité de son infarctus que la prise en charge du patient André C... avec manoeuvres de réanimation, vingt minutes plus tôt (soit à son arrivé à la clinique Saint-Sauveur) l'aurait sauvé, il est certain qu'il a, du fait de ce retard de prise en charge, été privé d'une chance de survie ; qu'en effet les manquements du groupe Saint-Sauveur et de son directeur, qui ont supprimé l'accueil permanent d'un service d'urgence, dont la clinique se prévalait sont responsables d'un retard évident de prise en charge de André C... ; qu'il s'agit cependant là d'un préjudice subi par le défunt et dont seule, Mme X... peut demander réparation en sa qualité de « conjoint survivant », André C... étant décédé ab-intestat ne laissant ni descendant, ni ascendant ; qu'en conséquence, il a donc lieu de débouter Mme Y... Christine, fille de Mme Nicole X..., et son époux M. Y... Robert [en réalité son beau-frère] des fins de leurs demandes de réparation d'un préjudice moral, le préjudice n'étant pas le décès mais une perte de chance de survie de feu André C... ; qu'il n'y a pas davantage lieu de « renvoyer l'affaire devant la juridiction civile pour mise en cause du M. D..., médecin de SOS Medecins », le professeur M. E..., cardiologue ayant bien précisé que « l'arrêt cardio circulatoire est survenu dans le véhicule lors de l'arrivée à la clinique Saint-Sauveur » ; qu'en ce qui concerne la réparation de cette perte de chance, selon une jurisprudence constante, le dommage résultant d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; en conséquence le calcul du préjudice de Mme Nicole X... est totalement erroné ; que c'est exclusivement la chance perdue qu'il a lieu d'apprécier et de quantifier, la perte certaine d'une chance même faible étant indemnisable ; qu'en l'espèce, si la perte de toute chance de survie en l'absence de prise en charge avec manoeuvres de réanimation dès son arrivée à la clinique Saint Sauveur, présente un caractère direct et certain, la fixation de son montant implique de prendre en compte, l'état du patient diabétique connu et fumeur à son arrivée à la clinique ; que de l'avis de l'expert cardiologue, « le réseau coronaire de ce patient était très malade, cet infarctus du myocarde, localisé à la paroi postérieure du ventricule gauche a été la conséquence d'une occlusion de l'artère coronaire droite qui irrigue le coeur ; que cet infarctus s'est compliqué d'une défaillance cardiaque gauche se manifestant par un oedème pulmonaire aigü puis des troubles du rythme ventriculaire » ; qu'au surplus, les deux autres artères circonflexes et interventriculaire antérieure étant également le siège de rétrécissement évalués à 80% sur le rapport anatomo-pathologique ; que le professeur F... ayant quant à lui fait état d'une sténose serrée de 90% sur l'artère coronaire droite et de 80% sur l'artère circonflexe ; que compte tenu de ces éléments médicaux, qui établissement la gravité de l'état de feu André C... à son arrivé à la clinique Saint Sauveur, mais aussi du fait que des manoeuvres avec l'aide d'un défibrillateur semi-automatique permettent de bons résultats dans les 10-15 minutes après l'arrêt cardiaque et qu'il n'est pas contesté que le 9 février 2009 entre 21 et 22 heures en dépit de l'absence de médecin à l'accueil des urgence de la clinique, il y avait un cardiologue qui n'a pas été alerté dans l'unité de soins intensifs cardiologiques, il y a lieu de fixer le préjudice découlant de la perte de toute chance de survie subi par feu André C... à 15 000 euros et de débouter Mme Nicole X... du surplus de sa demande ; qu'il échet donc de condamner in solidum le groupe Saint-Sauveur et M. Jean-Luc Z... à payer ce montant majore des intérêts au taux légal à compter de ce jour, ainsi qu'une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour la procédure de première instance et d'appel, et à supporter l'intégralité des frais d'expertise ;

"alors qu'en se contentant comme elle a fait, de fixer à la somme de 15 000 euros l'indemnisation due en réparation du manquement fautif ayant fait perdre à André C... une chance de survivre de l'infarctus dont il avait été victime, quand Mme X..., faisait valoir un préjudice moral ainsi qu'un important préjudice économique et de frais d'obsèques du fait du décès de son mari, qui ne pouvaient être réparés par la seule indemnisation de la perte de chance pour ce dernier de survivre, la cour d'appel, qui n'a pas répondu aux moyens de Mme X... par lesquels elle faisait valoir ces chefs de préjudice, a violé les textes et principes susvisés" ;

Vu les articles 1240 du code civil, 470-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 2 du même code ;

Attendu que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;

Attendu que la perte de chance de survie, liée à un retard fautif de prise en charge médicale, correspond, en l'absence de certitude que le dommage ne serait pas survenu, si aucune faute n'avait été commise, à une fraction des différents chefs de préjudice subis, souverainement évaluée par les juges du fond auxquels il appartient de mesurer le pourcentage de chances perdues par la victime du fait du retard et de déterminer en conséquence la fraction de son dommage en lien de causalité certain et direct avec la faute du mis en cause ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que dans la nuit du 9 au 10 février 2009, Mme Nicole X..., épouse C... a conduit André C... son mari, alors âgé de 48 ans, à la clinique Saint-Sauveur de Mulhouse du fait de difficultés respiratoires persistantes, qu'avisée une fois sur place de la fermeture impromptue de l'accueil permanent du service d'urgence, elle s'est rendue
à l'hôpital de Mulhouse où son époux décédait [...] à 5 heures 30 des suites d'un infarctus du myocarde ayant débuté 24 heures plus tôt, associé à une insuffisance respiratoire ; qu'après que le groupe Saint-Sauveur et M. Jean-Luc Z... directeur de la clinique du même nom, ont été relaxés du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, Mme Nicole X..., Mme Christine Y... et M. Robert Y..., ses belle-fille et fils, ont sollicité du tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils, sur le fondement de l'article 470-1 du code de procédure pénale, une indemnisation au titre des frais d'obsèques, du préjudice économique et du préjudice moral pour Mme X... et de leurs préjudices moraux pour les consorts Y... ; que le tribunal statuant sur intérêts civils les a débouté de leurs demandes ; qu'ils ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que pour confirmer les dispositions du jugement entrepris s'agissant des consorts Y... et l'infirmant, condamner in solidum M. Z... et le groupe Saint-Sauveur à payer à Mme X... une somme de 15 000 euros au titre de la perte d'une chance de survie de son mari, les juges retiennent, qu'il est incontestable que si l'on ne peut affirmer en raison de la gravité de son infarctus que la prise en charge du patient André C... l'aurait sauvé, il est certain qu'il a été privé d'une chance de survie et que les manquements du Groupe St Sauveur et de son directeur, qui ont supprimé l'accueil permanent d'un service d'urgence, dont la clinique se prévalait, sont responsables d'un retard évident de cette prise en charge de André C..., qu'il s'agit cependant là d'un préjudice subi par le défunt et dont seule, Mme X... peut demander réparation en sa qualité de "conjoint survivant" ; qu'ils en déduisent que le calcul du préjudice présenté par Mme X... est totalement erroné, que c'est exclusivement la chance perdue qu'il a lieu d'apprécier et de quantifier, la perte certaine d'une chance même faible étant indemnisable et qu'il convient de fixer le préjudice en découlant, à la somme de 15 000 euros et de débouter Mme X... du surplus de sa demande ;

Mais attendu qu'en retenant l'existence d'une telle perte de chance, sans en déterminer le taux et sans l'appliquer à ses différents chefs de préjudice alors que Mme X... sollicitait l'indemnisation de préjudices qui lui étaient personnels, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Mme Christine Y... et de M. Robert Y... :

CONSTATE la déchéance du pourvois ;

II - Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Mme Nicole X... :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 9 septembre 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-81637
Date de la décision : 12/06/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 09 septembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 jui. 2018, pourvoi n°17-81637


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.81637
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