LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Darbo,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PAU, en date du 24 octobre 2017, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de blessures involontaires, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bonnal,, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle MARLANGE et DE LA BURGADE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 2 février 2018, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de plusieurs explosions survenues le 11 avril 2012 dans l'enceinte de l'usine de la société Darbo à Linxe (Landes), qui ont fait plusieurs blessés, cette société, ainsi que la société Endel, ont été mises en examen des chefs susvisés ; que la société Darbo a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de pièces de la procédure ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 199, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte des termes de l'arrêt attaqué que « les jour et heure de l'audience, le dossier complet a été déposé sur le bureau de la cour, ont été entendus :
M. Legrand, Président, en son rapport.
Maître Fenni, en ses observations pour la société Darbo.
Maître Ponsonnaille, substituant Maître Dalmasso, en ses observations pour la société Endel.
Maître C..., substituant Maître Lahitete, en ses observations pour M. Z... E..., partie civile.
Maître F..., en ses observations pour X.... G... Y..., partie civile, M. Jeol, Substitut Général, en ses réquisitions » ;
"alors qu'il se déduit des dispositions de l'article 199 du code de procédure pénale et des principes généraux du droit que, devant la chambre de l'instruction, la personne mise en examen doit avoir la parole en dernier lorsqu'elle est présente aux débats et qu'il en est de même de son avocat lorsqu'il a demandé à présenter des observations ; qu'a violé ce principe la chambre de l'instruction dont il apparaît, à la lecture des mentions de l'arrêt attaqué, qu'elle a entendu d'abord la société mise en examen, ensuite les parties civiles, et enfin le ministère public" ;
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 199 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il se déduit des dispositions de ces textes et des principes généraux du droit que, devant la chambre de l'instruction, la personne mise en examen ou son avocat doivent avoir la parole les derniers ;
Attendu que les mentions de l'arrêt, exactement reproduites au moyen, dont il résulte qu'ont été successivement entendus, en leurs observations, les avocats de la société Darbo, de l'autre personne mise en examen et des parties civiles, puis, en ses réquisitions, le ministère public, ne permettent pas à la Cour de cassation de s'assurer que le principe ci-dessus rappelé a été respecté ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
"et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 170, 171, 173, 197, 199, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable la requête en nullité de la société Darbo ;
"aux motifs que sur le problème de la recevabilité de la requête en nullité déposée par la société Darbo, société en liquidation judiciaire depuis jugement du tribunal de commerce de Dax du 24 octobre 2016 ; qu'il résulte des dispositions de l'article 706-43 alinéa 3 et alinéa 4 du code de procédure pénale, que la personne chargée de représenter la personne morale doit faire connaître son identité à la juridiction saisie, par LRAR, qu'il en est de même en cas de changement du représentant légal en cours de procédure, ce qui n'a pas été le cas dans ce dossier alors même que la société Darbo SAS a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Dax le 24 octobre 2016 ; qu'en outre, le nom et les coordonnées de ce représentant légal ne figurent pas dans la requête en nullité déposée par la société Darbo SAS, société présentée comme étant "en cours de liquidation judiciaire", puisque seule la mention" prise en la personne de son représentant légal" apparaît, sans autre précision ; que le fait qu'à l'audience du 3 octobre 2017, le conseil de la société Darbo SAS ait produit et versé au dossier un courrier en date du 20 septembre 2017 signé par M. Stéphane H..., se présentant comme "verwaltungsrat (gérant) de la société Gorlink AG, représentante légale de la société Darbo, courrier par lequel il donne mandat à la Selas Boize1, Dubois, Fenni (BAUM et Compagnie) pour représenter la société Darbo dans le cadre de la requête en nullité actuellement pendante ne peut couvrir rétroactivement ce non respect initial des dispositions du texte précité ; qu'au surplus, cette pièce a été déposée tardivement puisque le jour même de l'audience en cours de plaidoirie par le conseil de la société Darbon SAS, n'a donc pu être visée par le greffe, et n'a pas été soumise en temps au ministère public et aux autres parties afin d'assurer tant la régularité de la procédure devant la chambre de l'instruction que le contradictoire des débats ; que la cour, enfin, souligne qu'elle ne disposerait aucunement à partir de ce seul courrier des moyens juridiques de faire un lien entre la société Gorlink AG et la société Darbo SAS ; qu'en conséquence, l'irrecevabilité de la requête en nullité présentée par le conseil de la société Darbo SAS sera t'elle constatée » ;
"1°) alors qu'en vertu de l'article 173 du code de procédure pénale, « si l'une des parties ou le témoin assisté estime qu'une nullité a été commise, elle saisit la chambre de l'instruction par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d'instruction qui transmet le dossier de la procédure au président de la chambre de l'instruction ; que la requête doit, à peine d'irrecevabilité, faire l'objet d'une déclaration au greffe de la chambre de l'instruction ; qu'elle est constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat » ; que satisfait aux exigences de ce texte la requête en annulation formée par l'avocat d'une personne morale mise en examen, sans que soit mentionné l'organe qui la représente (Crim.; 6 novembre 2002, Bull. Crim.; n° 201) ; qu'en déclarant irrecevable la requête en nullité déposée par la société demanderesse, en sa qualité de mise en examen, en raison de l'absence prétendue de mention de l'identité de son représentant légal, la chambre de l'instruction a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et violé l'article précité ;
"2°) alors que depuis la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, l'article L. 641-9, II, du code de commerce maintient les dirigeants sociaux en fonction lors du prononcé du jugement de liquidation judiciaire ; que c'est dès lors sur la base d'un motif erroné et inopérant que la chambre de l'instruction s'est appuyée, pour exiger la précision du nom du représentant légal dans le cadre de la requête en nullité, sur le fait que « la société Darbo SAS a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Dax le 24 octobre 2016 » ;
"3°) alors qu'en outre, à titre subsidiaire, il résulte de l'examen des éléments de la procédure que par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au juge d'instruction le 6 février 2017 (Production réception adressée au juge d'instruction le 6 février 2017 (Production n° 1), l'avocat de la société Darbo a informé le juge d'instruction non seulement de la procédure liquidation judiciaire, mais également de l'identité de son nouveau représentant légal ; que par mail en date du 19 septembre 2017, son avocat a encore adressé au greffe de la juridiction les noms et coordonnées du mandataire et du représentant légal de la société, ainsi qu'un extrait liquidateur et du représentant légal de la société, ainsi qu'un extrait Kbis datant du 26 juillet 2017 ; que dans ces conditions, la chambre de l'instruction ne pouvait considérer qu'elle ne disposait pas des informations utiles relatives au représentant légal de la société ;
4°) alors que de plus, le « courrier en date du 20 septembre 2017 signé courrier en date du 20 septembre 2017 signé par M. Stéphane H..., se présentant comme« verwaltungsrat (gérant) de la société Gorlink AG, représentante légale de la société Darbo, courrier par lequel il donne mandat à la SELAS Boizel, Fenni (BAUM et Compagnie) pour représenter la société Darbo dans le cadre de la requête en nullité actuellement pendante » a été communiqué par fax à la chambre de l'instruction avant l'audience (Production n°3), ainsi qu'aux conseils des parties adverses par mail; qu'en conséquence, c'est à tort que la chambre de l'instruction a jugé que « cette [dernière] pièce a été déposée tardivement puisque le jour même de l'audience en cours de plaidoirie par l'avocat de la société Darbo SAS, n'a donc pu être visée par le greffe, et pas été soumise en temps au ministère public et aux autres parties afin d'assurer tant la régularité de la procédure devant la chambre de l'instruction que le contradictoire des débats ;
"5°) alors qu'enfin, il découle des articles 6 et 13 de la Convention européenne que les juridictions internes qui appliquent les règles de procédure doivent éviter tout « excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure » ; qu'en empêchant définitivement la société Darbo SA, mise en examen, de solliciter l'annulation d'actes de l'information judiciaire, la chambre de l'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif au sens de la jurisprudence européenne et méconnu son droit au recours" ;
Vu l'article 173 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, la requête en annulation d'actes de la procédure est constatée par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat ; que, lorsque l'un ou l'autre de ces derniers ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffe peut être faite au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;
Attendu que, pour déclarer la requête irrecevable, l'arrêt énonce que l'identité du représentant légal de la personne morale requérante n'apparaît pas dans la requête en nullité, qui mentionne seulement que la société Darbo est en liquidation judiciaire et qu'elle est prise en la personne de son représentant légal ; que les juges ajoutent que l'avocat de la société n'a justifié qu'à l'audience, par des pièces qui n'ont pu être soumises au débat contradictoire, du mandat qui lui a été donné par une personne se présentant comme le gérant de la société Gorlink AG, représentante légale de la société Darbo, et qu'en tout état de cause, ce seul courrier ne leur permet pas de faire un lien entre ces deux sociétés ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, satisfait aux exigences du texte susvisé la requête en annulation formée par l'avocat d'une personne morale mise en examen, sans que soit mentionné l'organe qui la représente, d'autre part, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, l'avocat de la société Darbo avait régulièrement avisé en cours de procédure le juge d'instruction, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, conformément aux exigences de l'alinéa 4 de l'article 706-43 du code de procédure pénale, du changement de son représentant légal, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau, en date du 24 octobre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq juin deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.