LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La commune de [...],
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de RENNES, en date du 16 février 2018, qui, l'a renvoyée devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'homicide involontaire ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motif, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi de la commune de [...] devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc ;
"aux motifs qu'il a été relevé dans l'arrêt du 3 mars 2017, qu'il est constant que Philippe Y... employé communal, a été victime d'une chute mortelle alors qu'il avait entrepris, empruntant une échelle, de remplacer une ampoule à 4 mètres de hauteur dans l'école de la commune ; que l'utilisation d'une simple échelle pour une telle opération était manifestement risquée, ce d'autant que la commune disposait bien d'un échafaudage roulant, équipement adapté aux travaux en hauteur, à disposition de ses employés ; qu'il ressort toutefois des témoignages qu'il aurait fallu démonter l'échafaudage afin d'avoir accès au couloir et que le recours à l'échelle permettait d'aller plus vite ; qu'en outre au moment des faits, un agent technique, M. C... utilisait l'échafaudage ; qu'aucune urgence n'était toutefois signalée pour le remplacement de l'ampoule ; que si Philippe Y... était très expérimenté et disposait non seulement d'un pouvoir d'initiative relativement étendu notamment dans l'organisation de ses interventions de maintenance au sein de l'école publique mais également d'un droit de retrait prévu dans le règlement d'hygiène et de sécurité, force est de constater que l'information a permis de mettre en lumière des manquements de l'employeur quant à la formation spécifique à la sécurité pour les travaux en hauteur, mais aussi quant à la vérification des équipements de travail, n'étant pas contesté que l'échelle en cause aurait dû être retirée ; qu'en application de l'article L. 4121-1 du code du travail l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat pour ce qui concerne la sécurité et la santé physique et mentales des travailleurs ; qu'il ressort en outre des dispositions de l'article R. 4141-1 et suivants du même code, que l'employeur organise et dispense une formation des travailleurs sur les risques, pour la santé et la sécurité et les mesures pour y remédier ; qu'en l'espèce, si quelques formations avaient pu être proposées aux employés communaux, Philippe Y... n'avait bénéficié d'aucune formation spécifique à la sécurité pour les travaux en hauteur et c'est manifestement l'accident dramatique dont il a été victime qui a permis une véritable prise de conscience à ce sujet ; que concernant l'échelle utilisée, ce n'est pas ici sa qualité (les enquêteurs l'ont testée) qui est remise en question, mais le fait que, malgré la décision du maire de [...] de la déclasser, elle est demeurée dans le matériel communal et a ainsi pu être utilisée par la victime ; que l'article R. 4323-22 du code du travail prévoit que l'employeur doit procéder ou faire procéder à une vérification initiale, lors de la mise en service des équipements de travail, en vue de s'assurer qu'ils ont été installés conformément aux spécifications prévues et qu'ils peuvent être utilisés en sécurité ; que de même, l'article R. 4323-23 prévoit des vérifications périodiques de ces équipements ; que l'article 221-5 du code pénal dispose que "le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3", par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation "de prudence, ou de sécurité" imposée par la loi "ou le règlement", la mort d'autrui constitue un homicide involontaire" ; que l'article 121-3 alinéa 2 et 3 du code pénal dispose que "il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; que dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévu par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer" ; que la faute caractérisée désigne une faute dont les éléments sont bien marqués et d'une certaine gravité, ce qui indique que l'imprudence ou la négligence doit présenter une particulière évidence ; qu'elle consiste à exposer autrui, en toute connaissance de cause, que ce soit par un acte positif ou par une abstention grave, à un danger ; qu'en l'espèce, M. François Z..., maire de la [...], qui n'a pas causé directement le dommage, n'a pas pris les mesures permettant d'éviter la réalisation de l'accident ; que, pour autant, les carences relevées ne constituent pas des fautes suffisamment caractérisées pour engager sa responsabilité personnelle (pas plus qu'aucune autre personne physique) au sens de l'article 121-3 alinéa 3 précité. » ; que l'article 221-6 du code pénal dispose que "le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3", par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation "de prudence, ou de sécurité" imposée par la loi "ou le règlement", la mort d'autrui constitue un homicide involontaire" ; qu'il ressort des dispositions de l'article 121-2 que "les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants ; que toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public" ; que la délégation de service public définie par la loi Murceff du 11 décembre 2001 est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service ; que le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ; qu'il existe bien, comme le soutient la commune, une différence fondamentale entre un marché public et une délégation de service public qui résulte du mode de rémunération retenu ; que pour un marché public, le paiement intégral et immédiat est effectué par l'acheteur public tandis que pour une délégation de service public, la rémunération est tirée de l'exploitation du service ; que néanmoins, le juge pénal doit se placer dans une perspective très différente de celle du juge administratif ; que la question qui se pose à lui étant de savoir si l'activité en cause aurait pu faire l'objet d'une délégation de service public, il doit rechercher , non l'existence, mais la possibilité de celle-ci ; que dans cette perspective, le critère tiré de la rémunération du cocontractant, essentiel pour le juge administratif lorsqu'il recherche la nature d'un contrat, est secondaire pour le juge pénal ; que la victime, employé communal, avait pour tâche d'effectuer des travaux d'entretien dans les locaux communaux, de réparation des bâtiments de la commune en général et pas uniquement de ceux de l'école publique ; que l'activité au cours de laquelle M. Y... est décédé n'est pas une activité régalienne indissociable de la puissance publique ni du service public de l'enseignement ; qu'aucun obstacle de droit ou de fait ne permet d'exclure que l'activité liée aux travaux d'entretien des locaux communaux, de réparation des bâtiments de la commune en général puisse faire l'objet d'un mode de financement, de gestion et d'exploitation permettant de générer des recettes pour un éventuel délégataire ; que rien n'interdirait que l'activité liée aux travaux d'entretien des locaux communaux, de réparation des bâtiments de la commune, soit rémunérée de façon plurielle par des redevances des usagers et des subventions publiques ; que les arguments de la commune de [...] relatifs aux dépenses obligatoires et à la gratuité du service public de l'enseignement sont dès lors inopérants ; que par ailleurs, la personne morale mise en examen, ne fait aucune observation quant aux manquements relevés dans l'arrêt du 3 mars 2017 ; que doit dès lors être considéré qu'il résulte de l'information charges suffisantes contre la commune de [...], personne morale d'avoir : - à [...], le 13 octobre 2010, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en n'organisant pas de formation sur les risques des travaux en hauteur et en s'abstenant de vérifier que l'échelle déclassée avait bien été retirée des services communaux, involontairement causé la mort de M. Philippe Y... ;
"alors que la décision de la chambre de l'instruction qui ordonne le renvoi du mis en examen devant la juridiction de jugement doit contenir une motivation propre, permettant de s'assurer que les juges ont personnellement apprécié l'existence de charges suffisantes ; qu'une apparence de motivation fait peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction et méconnaît les exigences du droit à un procès équitable ; que l'arrêt attaqué, pour retenir l'existence de charges suffisantes à l'encontre de la commune, s'est borné à citer in extenso l'arrêt du 3 mars 2017 par lequel la chambre de l'instruction avait estimé que le maire de [...] ne pouvait être personnellement renvoyé à défaut de faute suffisamment caractérisée de sa part et à constater l'absence d'observation de la commune sur les manquements relevés par cet arrêt ; qu'en s'abstenant ainsi de porter une appréciation personnelle sur l'existence de charges suffisantes à l'encontre de la commune, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 13 octobre 2010, Philippe Y..., agent de la commune de [...], a fait une chute mortelle depuis une échelle qu'il avait déployée dans les locaux de l'école publique de la commune, afin de changer une ampoule située à quatre mètres du sol ; que ses ayants-droits, Mme Michèle Y..., MM. Yann et Guillaume Y..., ont déposé plainte avec constitution de partie civile ; que le juge d'instruction a prononcé un non-lieu au bénéfice de la commune, dont les parties civiles ont, seules, relevé appel ;
Attendu qu'après avoir procédé à un complément d'information, et mis en examen le maire actuel, M. A..., en tant que représentant de la commune, la chambre de l'instruction, pour ordonner le renvoi de cette dernière devant le tribunal correctionnel, reproduit les motifs d'un arrêt qu'elle avait rendu le 3 mars 2017, constatant les carences, pour n'avoir pas pris les mesures permettant d'éviter le dommage, de M. Z..., maire de la commune au moment des faits, lesquelles ne constituaient toutefois pas les fautes caractérisées permettant d'engager sa responsabilité pénale en tant que personne physique au sens de l'article 121-3 alinéa 3 du code pénal ; que les juges, après avoir exposé en quoi l'activité au cours de laquelle l'accident est survenu serait susceptible de faire l'objet d'une convention de délégation de service public au sens de l'article 121-2 du même code, relèvent que la personne morale ne fait aucune observation quant aux manquements relevés dans l'arrêt du 3 mars 2017 ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, la chambre de l'instruction, qui ne s'est pas bornée à reprendre les motifs de son précédent arrêt, a considéré, à défaut d'éléments nouveaux avancés par la personne morale mise en examen, qu'il existait à son encontre des charges suffisantes d'homicide involontaire ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Fossier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.