LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
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Mme Marie-France X...,
M. Jean-Luc Y...,
M. Patrice Z...,
M. Jocelyn Y..., parties civiles,
contre l'arrêt n° 45 de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 2 mars 2017, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 8 juillet 2015, n° 14-80.818), dans la procédure suivie, sur leur plainte, contre Mmes Laura A..., Sophie B... et M. Erick C..., du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller Parlos, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général E... ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire, commun aux demandeurs, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur l'action civile, a débouté MM. Jean-Luc Y..., Patrice Z..., Jocelyn D... et Mme Marie-France X... Y... de leurs prétentions comme étant mal fondées,
"aux motifs que Mme Laura A..., M. Eric C... et Mme Sophie B... excipent de leur bonne foi, notamment en ce qu'ils n'ont fait que relater les informations recueillies auprès du parquet de Pointe-à-Pitre ; qu'aux termes d'un communiqué de presse, en date du 10 février 2011, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a fourni les informations suivantes : "La station-service Valkanaers située à Gourbeyre, tenue depuis 2004 en location gérance sous marque TOTAL par une SARL SO DIS CA réunissant neuf associés anciens salariés et conservant huit salariés, est en grande difficulté de fonctionnement depuis plusieurs mois ; que sa taille et son activité auraient dû lui assurer une rentabilité identique aux autres stations comparables et il était découvert des éléments laissant soupçonner des détournements par certains de ses associés et gérants ; que courant mai 2010, une enquête préliminaire était initiée en conséquence par le parquet près le tribunal de grande instance de Basse-Terre puis récemment par celui de Pointe-à-Pitre. La section économique et financière de la DIPJ Antilles-Guyane et le GIR de la Guadeloupe étaient saisies) de l'enquête. Comme l'expertise comptable effectuée parallèlement à la demande du parquet, cette enquête confirmait les suspicions initiales de détournements susceptibles de constituer des abus de biens sociaux importants ; que ceux-ci étaient à l'origine d'un état de cessation des paiements de l'entreprise depuis décembre 2009 avec des pertes évaluées à plus de 1,3 millions d'euros dont une créance (de) plus de 900 000 e vis-à-vis de la compagnie TOTAL ; que le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre était saisi de cette situation qui sera évoquée lors de l'une de ses prochaines audiences ; que l'enquête établissait pour l'essentiel que le produit des détournements commis au préjudice de l'entreprise avait été consacré au montage et à la création d'une exploitation agricole par les mêmes associés à l'encontre desquels il n'était par ailleurs pas établi d'enrichissements personnels substantiels ; que les quatre mis en cause deux associés étaient placés en garde à vue le 8 février 2011 pour s'expliquer sur ces faits qualifiés d'abus de biens sociaux, complicités et recels d'abus de biens sociaux ; qu'entendus, ils affirmaient que les opérations financières en cause étaient régulières ; que les quatre personnes étaient déférées le 10 février 2011 au parquet qui ouvrait une information avec désignation de deux juges d'instruction ; qu'il était requis le placement sous contrôle judiciaire notamment avec interdiction de gérer" ; que les propos tenus dans le cadre des journaux télévisés des 10 et 11 février 2011 susvisés ne sont, dans leur substance, ni plus ni moins que la reprise du communiqué de presse du procureur de la République de Pointe-à-Pitre ; que cette circonstance est de nature à établir l'existence d'une démarche sérieuse et de prudence ; que les propos dont s'agit sont mesurés qui ne recèlent aucune animosité personnelle ; que ce partant, ils s'inscrivent dans un légitime souci d'information du lecteur ; que, dans ces conditions, que Mme A..., M. C... et Mme B..., qui peuvent se prévaloir de leur bonne foi, n'ont commis aucune faute de nature à ouvrir droit à indemnisation ;
"1°) alors qu'un communiqué publié par le procureur de la République dans le cadre de son droit de communication ne dispense pas les journalistes de toute enquête contradictoire ; qu'en décidant que la seule reprise du communiqué du procureur de la République était de nature à établir l'existence d'une démarche sérieuse et de prudence, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2°) alors que s'agissant, en guise de travail journalistique, de se contenter de reprendre le communiqué de presse du procureur de la République mettant en cause les parties civiles pour des détournements pénalement qualifiés, le seul fait, à défaut d'avoir contacté directement les intéressés, de n'avoir point repris le passage de ce communiqué faisant état de leurs déclarations quant à la parfaite régularité des opérations financières en cause, était exclusif d'une démarche sérieuse et de prudence; qu'en l'absence de motif permettant de s'en assurer et de renverser la présomption légale de mauvaise foi pesant sur les prévenus, l'arrêt attaqué manque de base légale" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que MM. Y..., Z..., D... et Mme X... ont porté plainte et se sont constitués parties civiles du chef de diffamation publique envers des particuliers, en raison de la diffusion, les 9, 10 et 11 février 2011, dans les journaux télévisés de la chaîne Guadeloupe première, à la suite d'un communiqué de presse du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, d'informations les mettant en cause, en considérant que ces propos, qui leur imputaient des détournements de fonds commis à l'occasion de la gestion d'une station-service, et faisaient état de poursuites à leur encontre, portaient atteinte à leur honneur et à leur considération ; qu'au terme de son information, le juge d'instruction a renvoyé du chef susénoncé Mme A..., M. C... et Mme B..., journalistes, devant le tribunal correctionnel, qui les a relaxés et a déclaré irrecevables les parties civiles, lesquelles ont, seules, relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour admettre les journalistes au bénéfice de la bonne foi, l'arrêt énonce que les propos tenus dans le cadre des journaux télévisés des 10 et 11 février 2011 ne sont, dans leur substance, ni plus ni moins que la reprise du communiqué de presse du procureur de la République de Pointe-à-Pitre, ce qui est de nature à établir l'existence d'une démarche sérieuse et de prudence ; que les juges ajoutent que ces propos, mesurés, qui ne recèlent aucune animosité personnelle, répondent au but légitime de l'information du lecteur sur une affaire judiciaire en cours ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans constater que, si les journalistes avaient respecté l'exigence d'enquête sérieuse en puisant leurs informations dans le communiqué du procureur de la République, diffusé en application de l'article 11 du code de procédure pénale et devant comporter des informations objectives tirées de la procédure judiciaire, ils s'étaient aussi conformés à celle de prudence dans l'expression, en reprenant fidèlement, même en substance, non seulement les charges présentées par le ministère public, mais aussi les éléments à décharge que contenait son communiqué et qui, soit résultaient des investigations, en l'absence d'enrichissement personnel des mis en cause constaté à ce stade de l'enquête, soit étaient invoqués par les intéressés pour leur défense en contestant ce qui leur était reproché, et qu'ainsi, les propos poursuivis reposaient sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 2 mars 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.