La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/04/2018 | FRANCE | N°17-13513

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 11 avril 2018, 17-13513


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article R. 1455-6 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en matière de référés, que M. Moussa Y... a été engagé par la société SNCF en août 2002 en qualité d'agent de sûreté ; qu'à partir de décembre 2013, il a fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires ; que le 17 décembre 2015, il a fait l'objet d'un dernier avertissement assorti d'une mise à pied de six jours ouvrés et d'un déplacement par mesure di

sciplinaire, dont il a sollicité l'annulation devant la juridiction prud'homale ; qu'il...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article R. 1455-6 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en matière de référés, que M. Moussa Y... a été engagé par la société SNCF en août 2002 en qualité d'agent de sûreté ; qu'à partir de décembre 2013, il a fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires ; que le 17 décembre 2015, il a fait l'objet d'un dernier avertissement assorti d'une mise à pied de six jours ouvrés et d'un déplacement par mesure disciplinaire, dont il a sollicité l'annulation devant la juridiction prud'homale ; qu'il a saisi la formation de référé le 2 mars 2016 d'une demande de suspension de son exécution au motif d'un trouble manifestement illicite ; que l'employeur lui a notifié une nouvelle mesure de mutation disciplinaire le 25 mars 2016, dont l'agent a également sollicité la suspension ;

Attendu que pour déclarer la juridiction des référés compétente pour connaître du litige en présence d'un trouble manifestement illicite, ordonner à la SNCF de suspendre l'exécution des mutations disciplinaires prononcées les 17 décembre 2015 et 25 mars 2016, en ce qu'elles constitueraient un trouble manifestement illicite, l'arrêt énonce que, selon un procédé déjà relevé par l'inspection du travail, le jour même de la notification de cette sanction, la SNCF a adressé à l'agent un courrier pour l'informer de la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure disciplinaire et de son passage devant le Conseil de discipline, pour des faits dont elle avait connaissance depuis plusieurs mois et révélés dans un rapport d'enquête remis le 20 novembre 2015, que cette dernière procédure a d'ailleurs conduit au prononcé, le 25 mars 2016, de la seconde mesure de mutation disciplinaire contestée, que le procédé consistant, sur une période rapprochée, à multiplier les procédures disciplinaires et à faire coïncider les entretiens tenus dans ce cadre avec l'annonce d'une nouvelle procédure, est donc établi et caractérise une volonté de déstabiliser le salarié et de faire pression sur lui, que l'ensemble de ces éléments démontre un dévoiement du pouvoir disciplinaire, portant atteinte aux droits et à la santé du salarié, que les deux mesures de mutations disciplinaires qui s'inscrivent dans ce contexte et visent à évincer M. Moussa Y... de son lieu de travail avec toutes les conséquences financières et familiales que cela implique, sont constitutives d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser, qu'à ce titre, le consentement de l'agent à la mutation proposée en mars 2016, alors qu'il avait déjà engagé une procédure en justice pour en contester l'application, ne saurait valoir acquiescement à ladite sanction et renonciation à faire valoir ses droits en justice ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'après avoir saisi la juridiction prud'homale pour en contester le bien-fondé l'agent avait accepté sa mutation disciplinaire, ce dont elle aurait dû déduire l'absence de trouble manifestement illicite constitué par la mise en oeuvre de cette mutation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;

Condamne M. Moussa Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société SNCF

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la juridiction des référés compétente pour connaître du litige en présence d'un trouble manifestement illicite, et d'avoir ordonné à la SNCF de suspendre l'exécution des mutations disciplinaires prononcées les 17 décembre 2015 et 25 mars 2016, en ce qu'elles constitueraient un trouble manifestement illicite ;

AUX MOTIFS QUE sur le trouble manifestement illicite invoqué et la compétence de la juridiction prud'homale statuant en référé, en application des dispositions de l'article R. 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, il est établi qu'antérieurement au prononcé des deux mesures de mutations disciplinaires litigieuses, M. Moussa Y... a fait l'objet de plusieurs sanctions, prononcées entre décembre 2013 et septembre 2015, allant de l'avertissement au blâme avec inscription ; qu'il convient de préciser que le fait que l'agent n'ait formalisé aucun recours contre ces sanctions ne saurait suffire à en établir le bien-fondé au regard du contexte dans lequel celles-ci s'inscrivent et de la dénonciation par M. Moussa Y... de faits de harcèlement moral ; qu'à ce titre, il est versé aux débats un courrier très circonstancié établi, le 19 février 2016, par l'inspection du travail suite à une enquête réalisée par ses soins dans le cadre de laquelle il a été procédé à l'examen du complet dossier disciplinaire de l'agent ainsi qu'à l'analyse de la situation d'autres agents au sein du service ; qu'aux termes de cet écrit, il est fait le lien entre les premières difficultés constatées entre le salarié et sa hiérarchie et le dépôt de plainte de M. Moussa Y... à l'encontre de M. A..., un de ses collègues, celui-ci ayant, à la diligence du Procureur de la République de Calais, été cité devant le tribunal correction et condamné, le 11 janvier 2011, pour injures non publiques à caractère racial ; qu'il est rapporté qu'en octobre 2013, un incident avec un autre collègue, M. B... a été porté à la connaissance de la direction de la SNCF, M. Moussa Y..., ayant, alors, dénoncé le comportement de son co-équipier consistant à le dénigrer et à lui tenir des propos racistes ; que dans ce cadre, une mesure de conciliation a été mise en place ; qu'il est évoqué par l'inspection du travail, la réaction non dénuée de partialité d'une partie du personnel d'encadrement, suite à cette orientation, et notamment celle de M. C... (responsable d'agence locale), qui, par courriel, en date du 4 octobre 2013, a manifesté son mécontentement de ne pas voir M. Moussa Y... poursuivi au motif qu'il aurait jeté le discrédit sur M. B... ; qu'il est également relevé le délai très bref intervenu entre la signature du procès-verbal de conciliation avec M. B... et la mise en oeuvre, dès le 5 novembre 2013, par M. C... d'une procédure disciplinaire à l'encontre de M. Moussa Y... pour non-conformité de la tenue du cahier d'armement, laquelle a donné lieu à l'avertissement du 4 décembre 2013 ; qu'il est relevé la hâte avec laquelle le responsable d'agence locale a réagi pour déclencher la procédure, alors que selon sa propre pratique, celle-ci n'était mise en oeuvre qu'après trois courriers d'observations sur une période de douze moi glissants, M. Moussa Y... n'en a reçue que deux, tout au plus ; que l'inspection du travail, qui ne remet pas en cause la légitimité de toutes les mesures disciplinaires prononcées à l'encontre de M. Moussa Y... et qui n'allègue à aucun moment qu'il était le seul agent à se voir notifier des sanctions au sein du service, constate ensuite le caractère disproportionné et inédit les deux blâmes avec inscription prononcés les 12 janvier 2015 et le 10 septembre 2015 en se référant à la pratique disciplinaire applicable aux agissements visés ; qu'à ce titre, elle indique que le premier blâme se rapporte à des faits improprement qualifiés de refus de verbalisation (absence de verbalisation d'une personne qui invoquait sa bonne foi), ne revêtant pas nécessairement un caractère fautif au regard de la marge d'appréciation dont dispose chaque agent dans ce domaine ; qu'elle précise qu'en tout état de cause aucune sanction n'a été prononcée à l'encontre d'un membre de la SUGE depuis plusieurs années pour ce type d'agissement ; que même, elle indique que les griefs ayant conduit au prononcé du second blâme, à savoir de « multiples retards », ne reposent sur aucun élément factuel précis, elle observe, sur ce point, que les accusations portées sont démenties par d'autres pièces et informations figurant dans le dossier disciplinaire, ou M. Moussa Y... est décrit comme un agent ponctuel ; qu'or, ces premières constatations, quoique contestées par l'employeur, ne sont pas remises en cause par l'analyse des pièces que celui-ci verse à la procédure ; qu'outre, l'emploi inapproprié du pouvoir de sanction à l'égard de M. Moussa Y... trahissant une différence de traitement par rapport à d'autres agents, en décalage avec les pratiques disciplinaires habituelles, l'inspection du travail point également « l'enchaînement de mesures disciplinaires » de nature à déstabiliser le salarié ; que pour étayer son propos, elle rappelle, ainsi, que sur la seule année 2015 M. Moussa Y... a dû se rendre à trois entretiens disciplinaires ; que reprenant la chronologie des événements, elle souligne qu'à l'issue des entretiens du 8 septembre et du 21 octobre 2015, l'agent a été informé, à chaque fois, de l'engagement d'une nouvelle procédure ; que cette situation qui n'est pas contestable est confirmée par les éléments figurant à la procédure, relatifs aux sanctions prononcées à l'égard de l'agent après septembre 2015 ; qu'en effet, il est constant que M. Moussa Y... s'est vu signifier, le 17 décembre 2015, un dernier avertissement assorti d'une mise à pied de 6 jours ouvrés et d'un déplacement par mesure disciplinaire pour des faits de tentative d'extorsion (signature d'un courrier sous la contrainte) qui auraient été commis le 31 août 2015, à Valenciennes sur le lieu de travail, au préjudice de M. D... (un collègue), ce dernier ayant effectivement déposé plainte auprès du commissariat de police ; que les suites judiciaires données à cette plainte ne sont pas connues et la cour ignore si, à ce jour, l'enquête est clôturée ; qu'en tout état de cause, l'employeur ne rapporte pas avoir attendu les résultats de celle-ci pour se prononcer ; qu'à ce titre, l'analyse des pièces de la procédure permet de retenir que cette sanction a été infligée sur la seule foi des déclarations de M. D... et d'un collègue de la SUGE, M. Philippe E... alors que deux autres agents présents au moment de faits, à savoir M. Laurent F... et M. Rudy G..., attestent n'avoir à aucun moment assisté à un incident tel que décrit par le plaignant ; que surtout, il est justifié par la partie appelante, d'une part, de l'existence, antérieurement à ces événements, d'un litige avec M. D..., en raison de propos discriminatoires et humiliants que celui-ci a échangés en décembre 2014, avec M. Arnaud B... (collègue concerné par la mesure de conciliation intervenue en octobre 2013), sur le compte Facebook de ce dernier, lesquels visaient clairement M. Moussa Y..., d'autre part de la connaissance qu'avait la hiérarchie de cette situation, bien avant les faits du 31 août 2015, situation qu'elle n'a pas souhaité sanctionner ni prendre en compte dans l'appréciation des griefs formulés par M. D... (pièces 9 et 10 bis appelant) ; que ces éléments révèlent, ainsi, un parti pris de la direction dans le choix de sanctionner M. Moussa Y... et dans la nature de la sanction retenue, consistant à vouloir l'évincer du service ; qu'en outre, il importe de relever que, selon un procédé déjà relevé par l'inspection du travail, le jour même de la notification de cette sanction, la SNCF a adressé à M. Moussa Y... un courrier pour l'informer de la mise en oeuvre d'une nouvelle procédure disciplinaire et de son passage devant le conseil de discipline, pour des faits dont elle avait connaissance depuis plusieurs mois et révélés dans un rapport d'enquête remis le 20 novembre 2015 ; que cette dernière procédure a d'ailleurs conduit au prononcé le 25 mars 2016, de la seconde mesure de mutation disciplinaire contestée ; que le procédé consistant, sur une période rapprochée, à multiplier les procédures disciplinaires et à faire coïncider les entretiens tenus dans ce cadre avec l'annonce d'une nouvelle procédure, est donc établi et caractérise une volonté de déstabiliser le salarié et de faire pression sur lui ; que l'ensemble de ces éléments démontre un dévoiement du pouvoir disciplinaire portant atteinte aux droits et à la santé du salarié ; que les deux mesures de mutations disciplinaires qui s'inscrivent dans ce contexte, et visent à évincer M. Moussa Y... de son lieu de travail avec toutes les conséquences financières et familiales que cela implique, sont constitutives d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ; qu'à ce titre le consentement de M. Moussa Y... à la mutation proposée en mars 2016, alors qu'il avait déjà engagé une procédure en justice pour en contester l'application ne saurait valoir acquiescement à ladite sanction et renonciation à faire valoir ses droits en justice ; qu'en outre, les préjudices moral et financier subis par l'argent, du fait de cette situation, persistent à ce jour ; qu'il conviendra donc d'infirmer l'ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite toujours actuel, et d'ordonner en conséquence, la suspension de l'exécution de mesures de mutation disciplinaires prononcées les 17 décembre 2015 et 25 mars 2016 ;

1°) ALORS QUE le juge des référés ne peut, en présence d'une contestation sérieuse, prescrire des mesures conservatoires que pour prévenir un dommage imminent, ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que les règles statutaires propres à la SNCF peuvent conduire à lui imposer l'engagement de procédures distinctes pour des griefs différents découverts successivement par l'employeur ; qu'en retenant pourtant l'existence d'un trouble manifestement illicite aux motifs que « le procédé consistant, sur une période rapprochée, à multiplier les procédures disciplinaires et à faire coïncider les entretiens tenus dans ce cadre avec l'annonce d'une nouvelle procédure, est donc établi et caractérise une volonté de déstabiliser le salarié et de faire pression sur lui. L'ensemble de ces éléments démontre un dévoiement du pouvoir disciplinaire, portante atteinte aux droits et à la santé du salarié » (arrêt, p. 6 § 7 et 8), sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'application de procédures disciplinaires distinctes résultait seulement des règles statutaires propres à la SNCF et ne pouvait caractériser un « dévoiement » du pouvoir disciplinaire de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 1455-6 du code du travail et 3 et 4 du chapitre 9 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel ;

2°) ALORS QUE le juge des référés ne peut, en présence d'une contestation sérieuse, prescrire des mesures conservatoires que pour prévenir un dommage imminent, ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que l'acceptation par le salarié d'une mutation disciplinaire, exécutée, n'empêche pas ce dernier d'en contester le bien-fondé devant le juge du fond ; qu'une telle acceptation empêche cependant le juge des référés de qualifier la sanction de trouble manifestement illicite ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-13513
Date de la décision : 11/04/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 16 décembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 11 avr. 2018, pourvoi n°17-13513


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.13513
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award