LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 3 février 2017), que, suivant acte authentique du 21 juin 1993, M. Philippe Y... et son épouse ont procédé à une donation-partage au profit de leurs enfants, Florence et Emmanuel ; que, dans l'acte, ce dernier a reconnu avoir reçu des donateurs, en août 1989, à titre de don manuel et en avancement d'hoirie, une certaine somme employée au paiement du prix d'un terrain acquis par lui au cours de ce même mois, divisé ensuite en deux parcelles ; qu'il est décédé le [...] , laissant pour lui succéder ses parents et sa soeur (les consorts Y...), en l'état d'un testament olographe du 15 juin 2005, léguant l'une des deux parcelles à Mme X... ; qu'après qu'un acte notarié eut constaté l'exercice du droit de retour conventionnel prévu à l'acte de donation-partage au profit des donateurs, ceux-ci ont vendu les deux parcelles à M. A... et Mme B... (les acquéreurs) ; que Mme X... a assigné les consorts Y... en délivrance de son legs et les acquéreurs en intervention forcée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de dire caduc le legs qui lui a été consenti par Emmanuel Y... et de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que le rapport d'un don manuel consistant en une somme d'argent ayant par la suite été employée pour acquérir un bien immobilier ne peut être exigé en nature, sauf stipulation contraire, et est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ; qu'en jugeant que le rapport du don manuel d'une somme de 234 500 euros dont Emmanuel Y... avait bénéficié antérieurement à la donation-partage et dont il avait fait remploi pour acquérir une parcelle de pâture sise à [...], cadastrée [...] , lieudit « », devait s'effectuer en rapportant cette parcelle en nature à la donation-partage, de sorte que le droit de retour conventionnel stipulé dans l'acte de donation-partage devait s'appliquer à cette parcelle et rendre caduc le legs dont celle-ci était grevée, la cour d'appel a violé les articles 858, 859, 860, 860-1 et 1078-1 du code civil ;
2°/ que le rapport d'une somme d'argent est égal à son montant ; toutefois, si elle a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de ce bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la valeur du bien, qu'elle estimait soumis, en nature, à rapport, à la date à laquelle elle a statué correspondait à sa valeur « à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation », la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 860 et 860-1 du code civil ;
3°/ que l'acte de donation-partage du 21 juin 1993 stipule en des termes clairs et précis que « les parties fixent d'un commun accord la valeur actuelle de l'immeuble acquis en remploi, dans son état à l'époque de l'acquisition, à la somme de 235 000 francs, somme à rapporter par Emmanuel Y... au titre du don manuel sus-énoncé », que la masse des biens donnés et à partager comprend « le rapport de don manuel par M. Emmanuel Y... de la somme de 235 000 francs », et que « le premier lot attribué à M. Emmanuel Y... est composé de : Le rapport de don manuel composant l'article 1 de la masse pour sa valeur de 235 000 francs. » ; qu'en jugeant néanmoins que le rapport du don manuel de la somme de 234 500 francs devait s'effectuer en rapportant en nature la parcelle acquise par le donataire au moyen de cette somme, la cour d'appel a dénaturé l'acte de donation partage et violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°/ que dans le dernier état de ses conclusions, Mme X... faisait valoir que le rapport d'Emmanuel Y... était nécessairement exclu du droit de retour, dès lors que la clause de droit de retour, eu égard à sa formulation dans l'acte, ne s'appliquait qu'aux biens effectivement apportés à la donation-partage par M. et Mme Y... et non au bien fictivement rapporté à la donation-partage par Emmanuel Y... ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en omettant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, qu'après avoir constaté que la donation-partage, qui stipulait un droit de retour conventionnel, en cas de prédécès du donataire, comprenait une somme donnée à titre de don manuel consenti en avancement d'hoirie, la cour d'appel en a exactement déduit, hors toute dénaturation, que la parcelle acquise avec la somme donnée se substituait à celle-ci dans la donation-partage de sorte que le droit de retour conventionnel s'appliquait à ce bien ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. et Mme Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit caduc le legs consenti par testament du 15 juin 2005 par Emmanuel Y... à Mme Annie X... et débouté celle-ci de sa demande de délivrance dudit legs et de toutes ses demandes accessoires en découlant ;
AUX MOTIFS QUE l'acte notarié du 21 juin 1993 expose, préalablement à la donation à titre de partage anticipé, qu'en vue du rapport en moins prenant ci-après effectué, M. Emmanuel Y..., donataire copartagé, reconnaît avoir reçu des donateurs, au mois d'août 1989, à titre de don manuel et en avancement d'hoirie, la somme de 234 500 F ; qu'il déclare que cette somme a été employée par lui, aux termes d'un acte notarié reçu le 10 août 1989 et a servi au paiement du prix et des frais d'acquisition d'une parcelle de pâture sise à [...], cadastrée [...] , lieudit « ... », toujours en sa possession, et que la somme ainsi employée et provenant du don manuel représente la totalité de la somme dépensée pour l'acquisition de cet immeuble ; que l'acte ajoute : « Les parties fixent d'un commun accord la valeur actuelle de l'immeuble acquis en remploi, dans son état à l'époque de l'acquisition, à la somme de 235 000 F, somme à rapporter par M. Emmanuel Y... au titre du don manuel sus-énoncé », puis que M. et Mme Philippe Y... font donation entre vifs à titre de partage anticipé à leurs deux enfants, seuls présomptifs héritiers, donataires par parts égales, des biens ci-après désignés : - la toute propriété du rapport de don manuel par M. Emmanuel Y... de la somme de 235 000 F, - un chalet en bois sis à [...] (Ardennes), évalué 170 000 F, - la nue-propriété, pour y réunir l'usufruit au décès du survivant des donateurs, de deux parcelles de bois, nue-propriété évaluée à 63 000 F ; que le total de la masse des biens donnés est de 468 000 F, dont moitié à chaque donataire, soit 234 000 F ; que le partage est réalisé par attribution à M. Emmanuel Y... du premier lot : le rapport du don manuel de 235 000 F, avec soulte de 1 000 F due à sa copartageante, et par attribution à Mme Florence Y... du second lot : la propriété du chalet, la nue-propriété des parcelles de bois et la somme de 1 000 F à recevoir à titre de soulte ; que l'acte prévoit, en page 7, pour chaque donateur le droit de retour prévu par l'article 951 du code civil, pour le cas où un donataire viendrait à décéder avant eux sans enfants ni descendants : « Pour l'exercice de ce droit de retour, il est formellement convenu que le donateur reprendra les biens dans le lot en faisant l'objet (...) en proportion de son apport dans la masse des biens donnés et à partager » ; que la donation-partage a été publiée au bureau des hypothèques de Charleville-Mézières le 23 juillet 1993, volume 1993 P, n°3033, ainsi que mentionné sur la page de garde de l'acte de donation-partage ; que l'article 1078-1 alinéa 1er du code civil indique que le lot de certains gratifiés pourra être formé, en totalité ou en partie, des donations déjà reçues par eux du disposant, eu égard éventuellement aux emplois et remplois qu'ils auront pu faire dans l'intervalle ; qu'il s'en déduit que la parcelle de pâture acquise avec la somme d'argent donnée est subrogée à cette somme dans la donation-partage et que le droit de retour conventionnel s'applique à cette parcelle ; que selon l'article 952 du code civil, « l'effet du droit de retour est de résoudre toutes les aliénations des biens et des droits donnés, et de faire revenir ces biens et droits au donateur, libres de toutes charges et hypothèques, exceptée l'hypothèque légale des époux (...) » ; que le retour conventionnel joue comme une condition résolutoire anéantissant de façon rétroactive la donation et les droits éventuellement constitués sur le bien qui en est l'objet ; qu'en conséquence, la propriété du bien donné revient aux donateurs par le seul fait du prédécès de M. Emmanuel Y... ; que ce dernier n'a pu transmettre par legs plus de droits qu'il n'en possédait et, qu'en tout état de cause, la question de la publicité de l'acte de donation-partage ne se pose pas à son égard, puisqu'il n'a pas qualité de tiers dans ce contrat.
1/ ALORS QUE le rapport d'un don manuel consistant en une somme d'argent ayant par la suite été employée pour acquérir un bien immobilier ne peut être exigé en nature, sauf stipulation contraire, et est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ; qu'en jugeant que le rapport du don manuel d'une somme de 234 500 euros dont Emmanuel Y... avait bénéficié antérieurement à la donation-partage et dont il avait fait remploi pour acquérir une parcelle de pâture sise à [...], cadastrée [...] , lieudit « ... », devait s'effectuer en rapportant cette parcelle en nature à la donation-partage, de sorte que le droit de retour conventionnel stipulé dans l'acte de donation-partage devait s'appliquer à cette parcelle et rendre caduc le legs dont celle-ci était grevée, la cour d'appel a violé les articles 858, 859, 860, 860-1 et 1078-1 du code civil ;
2/ ALORS QUE subsidiairement, le rapport d'une somme d'argent est égal à son montant ; Toutefois, si elle a servi à acquérir un bien, le rapport est dû de la valeur de ce bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la valeur du bien, qu'elle estimait soumis, en nature, à rapport, à la date à laquelle elle a statué correspondait à sa valeur « à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation », la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 860 et 860-1 du code civil ;
3/ ALORS QUE, l'acte de donation-partage du 21 juin 1993 stipule en des termes clairs et précis que « les parties fixent d'un commun accord la valeur actuelle de l'immeuble acquis en remploi, dans son état à l'époque de l'acquisition, à la somme de 235 000 F, somme à rapporter par Emmanuel Y... au titre du don manuel sus-énoncé », que la masse des biens donnés et à partager comprend « le rapport de don manuel par Monsieur Emmanuel Y... de la somme de 235 000 francs », et que « le premier lot attribué à Monsieur Emmanuel Y... est composé de : - Le rapport de don manuel composant l'article 1 de la masse pour sa valeur de 235 000 francs. » ; qu'en jugeant néanmoins que le rapport du don manuel de la somme de 234 500 francs devait s'effectuer en rapportant en nature la parcelle acquise par le donataire au moyen de cette somme, la cour d'appel a dénaturé l'acte de donation partage et violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieur à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 ;
4/ ALORS QUE dans le dernier état de ses conclusions, Mme X... faisait valoir que le rapport d'Emmanuel Y... était nécessairement exclu du droit de retour, dès lors que la clause de droit de retour, eu égard à sa formulation dans l'acte, ne s'appliquait qu'aux biens effectivement apportés à la donation-partage par le époux Y... (conclusions récapitulatives du 30 novembre 2016, p.14) et non au bien fictivement rapporté à la donation-partage par Emmanuel Y... ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en omettant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir que jugé le droit de retour conventionnel stipulé au sein de l'acte de donation-partage du 21 juillet 1993 était opposable à Mme Annie X... et d'avoir en conséquence dit caduc le legs consenti par testament du 15 juin 2005 par Emmanuel Y... à Mme X... ;
AUX MOTIFS QUE « la donation-partage a été publiée au bureau des hypothèques de Charleville-Mézières le 23 juillet 1993, volume 1993 P, n°3033, ainsi que mentionné sur la page de garde de l'acte de donation-partage » ;
ALORS QU' au sein de ses écritures, Mme X... faisait valoir que les formalités publiées du 1er janvier 1960 au 16 septembre 2010 ne faisaient pas mention de la donation-partage du 21 juin 1993 ni d'un quelconque droit de retour conventionnel, en invoquant la réponse de la conservation des hypothèques à la demande de renseignement en date du 19 octobre 2010 ; qu'en déduisant d'une simple mention de l'acte de donation-partage l'existence d'une publication effective de cet acte, bien que la preuve contraire lui était rapportée par un courrier de la conservation des hypothèques de Charleville-Mézières, sans répondre aux conclusions opérantes formulées en ce sens, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.