LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., engagé le 15 octobre 2001 en qualité de chaudronnier par la société Papeteries du Léman, a été victime d'un accident du travail survenu le 14 octobre 2011 ; qu'ayant été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue de deux examens des 12 et 27 février 2013, il a été licencié le 16 mai 2013 pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé, hors toute dénaturation du plan de sauvegarde de l'emploi, que les possibilités de permutation du personnel n'étaient pas restreintes aux sociétés du groupe PVL, en sorte que l'employeur ne pouvait limiter ses recherches de reclassement à ces seules entreprises, la cour d'appel, sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 1235-4 du code du travail, en sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu qu'après avoir condamné l'employeur au paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail, l'arrêt ordonne le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ne sont pas applicables au licenciement intervenu en violation des règles particulières aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle prévues par les articles L. 1226-10 et L. 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Papeteries du Léman le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. Y... dans la limite de six mois, l'arrêt rendu le 7 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef relatif au remboursement des indemnités de chômage ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Vu l'article 629 du code de procédure civile, condamne la société Papeteries du Léman aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Papeteries du Léman à payer à M. Y... la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Pion, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, en l'audience publique du trente et un janvier deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Papeteries du Léman.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le licenciement de Monsieur Y... dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société PAPETERIES DU LEMAN à verser à Monsieur Y... la somme de 37.080 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la société PAPETERIES DU LEMAN à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Monsieur Y... dans la limite de six mois d'indemnités ;
AUX MOTIFS QUE « Attendu, en premier lieu, que la circonstance que le licenciement de trois salariés protégés ait été autorisé par l'autorité administrative est sans incidence sur l'appréciation du caractère réel et sérieux de la rupture du contrat de travail de l'intéressé ; Attendu, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail : "Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin de travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il forme sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. (...) / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail" ; Que l'avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise délivré par le médecin du travail ne dispense pas l'employeur de rechercher une possibilité de reclassement au sein de l'entreprise et le cas échéant du groupe auquel celle-ci appartient, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail ; Que c'est à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyens, et de rapporter la preuve de l'impossibilité de reclassement qu'il allègue ; Attendu que, ainsi que le conseil de prud'hommes l'a retenu, le périmètre de reclassement doit être fixé non seulement au groupe PVL, à savoir les sociétés PDL, PDV et PVL, mais également à la société Républic Technologies France (RTF) située en France ainsi qu'aux sociétés situées en Autriche , en Allemagne, en Espagne, au Royaume Uni, au Canada et aux Etats Unis pour lesquelles l'entreprise a elle-même reconnu, aux termes du projet de licenciement économique et du plan de sauvegarde de l'emploi au comité d'entreprise, qu'il existe par rapport à ces filiales des deux sociétés holdings américaines détentrices die capital de PVL une permutabilité du personnel en raison de la proximité de leurs activités ; que l'effectivité d'une permutabilité est en effet une condition suffisante à la définition du groupe de reclassement ; que la cour observe notamment que l'ensemble-des sociétés visées dans le plan social interviennent sur le marché du tabac et que, s'agissant de PDL et RTF plus particulièrement, les deux entreprises ont des activités complémentaires en ce qu'elles sont spécialisées dans la fabrication et le conditionnement de papier fin ; Or attendu que M. Ali Y... soutient sans être contredit que la SAS PDL a limité ses recherches de reclassement aux seules sociétés PDL, PDV et PVL ; que l'entreprise ne communique par ailleurs aucun livre d'entrée et de sortie du personnel des sociétés du groupe ci-dessus visées ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère sérieux des recherches effectuées au sein même du groupe PVL, la cour retient que la SAS PDL a failli à son obligation de reclassement ; Attendu que, à défaut pour la SAS PDL d'avoir satisfait à son obligation de reclassement, la rupture du contrat de travail de M. A... Y... doit être déclarée comme étant dépourvue de cause réelle et sérieuse ; Attendu qu'il ressort des dispositions de l'article L. 1226-15 du code du travail que, lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues à l'article L. 1226-10 du même code, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; qu'en cas de refus de la réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à douze mois de salaire, qui se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L. 1226-14 du même code ; Attendu que, la SAS PDL ayant méconnu les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, la demande de M. Ali Y... tendant à l'allocation d'une indemnité pour licenciement doit être regardée comme tendant à l'octroi de l'indemnité prévue par les dispositions susvisées ; qu'au moment du licenciement l'intéressé avait 11 ans et demi d'ancienneté et percevait un salaire mensuel brut de 3 090 euros ; que son droit à indemnisation par Pôle Emploi est épuisé depuis le 7 novembre 2015 ; qu'il touche deux rentes de 1 000 et 894,66 euros par mois ; que son préjudicie a été justement évalué par le conseil de prud'hommes à la somme de 37 080 euros ; Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y a lieu d'ordonner le remboursement par la SAS PDL à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. Ali Y... à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « il est constant que la SAS Papeteries du Léman n'a recherché le reclassement du salarié que parmi les postes administratifs, considérant que tous les postes en atelier étaient incompatibles avec les restrictions posées par les certificats d'inaptitude rédigé comme suit : "l'intéressé serait apte à un poste plutôt à temps partiel sans charge physique, sans travail en hauteur ou à proximité de machines dangereuses, sans exposition aux champs magnétiques. Un poste sur informatique serait possible" ; qu'ainsi, l'employeur soutient que l'ensemble de l'atelier est exposé aux champs magnétiques créés par la rotation des machines, de sorte que tous les postes "opérationnels" sont exclus et que seul un poste administratif pouvait être proposé ; que cette position n'est cependant étayée par aucun élément alors que la défenderesse aurait pu soit faire procéder à une étude en ce sens, soit consulter le médecin du travail sur ce point ; que cet argument ne pourra donc être retenu et il convient d'étudier, pour chaque poste, sa compatibilité avec les restrictions médicales ; qu'il est par ailleurs établi par les registres d'entrée et de sortie du personnel qu'à la période du licenciement de Monsieur Ali Y..., plusieurs embauches ont eu lieu à des postes de laborantin, sécheur, aide-sécheur, trancheur, emballeur et aide-bobineur, postes auxquels le salarié soutient qu'il aurait pu être reclassé, au besoin à l'aide d'aménagements ; Que le poste de laborantin est incompatible avec les qualifications professionnelles du demandeur ; que, quant aux autres postes, la SAS Papeteries du Léman produit les fiches de certains d'entre eux ; qu'il en ressort que le poste d'aide-bobineur est effectivement incompatible avec les restrictions de la médecine du travail dans la mesure où il implique la manipulation d'une scie à mandrin, machine dangereuse (pièce 41 de la SAS PDL), qu'il en va de même pour les postes de trancheur (utilisation de la trancheuse) et d'emballeur (changement des couteaux de la coupeuse, pièce 42) ; Qu'aucun élément n'est en revanche produit par la SAS Papeteries du Léman concernant les postes de sécheur et aide-sécheur alors qu'il lui aurait été aisé de produire les fiches de poste correspondantes, ou tout autre élément permettant d'en évaluer l'adéquation avec les restrictions médicales ; Qu'ainsi, la SAS Papeteries du Léman faillit à rapporter la preuve du respect de l'obligation de reclassement qui lui incombait ; Que le licenciement de Monsieur Ali Y... sera donc considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse sans qu'il soit nécessaire d'étudier la question du périmètre de l'obligation de reclassement » ;
1. ALORS QUE le juge a l'interdiction de dénaturer les éléments de la cause ; que le plan de sauvegarde de l'emploi distingue le « reclassement au sein du groupe PVL » (p. 43 et s.) et le « reclassement au sein des sociétés RTF et d'autres sociétés ayant une activité proche » (p. 53 et s.) ; qu'il est précisé, d'une part, que « conformément à ses obligations, Papeteries du Léman s'engage à rechercher les postes disponibles au sein de PDL et dans les autres sociétés du Groupe (PVL et PDV), afin qu'ils soient proposés en priorité aux salariés concernés par le Plan de Sauvegarde de l'Emploi », et, d'autre part, que l'extension des recherches de reclassement à des sociétés détenues par des trusts dont bénéficie la famille B... et « dépourvues de tout lien juridique avec le groupe PVL » a été « décidé » par la Direction « afin de favoriser au maximum le reclassement » ; qu'il est précisé, à cet égard, qu' « il a été décidé de rechercher des solutions de reclassement au sein de certaines de ces sociétés, dont les activités sont proches de celle de PDL et sont susceptibles, de ce fait, d'envisager une permutabilité du personnel » ; qu'il en résulte que la société PAPETERIES DU LEMAN s'est volontairement engagée à étendre ses recherches de reclassement au-delà du groupe PVL, aux seules sociétés dont les activités permettent d'envisager la permutation de leur personnel ; qu'en affirmant cependant que la société PAPETERIES DU LEMAN aurait reconnu dans ce plan qu'il existait par rapport à ces sociétés une permutabilité du personnel en raison de la proximité de leurs activités et qu'elle devait étendre ses recherches de reclassement à ces sociétés, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du plan de sauvegarde de l'emploi, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
2. ALORS QUE l'engagement de l'employeur d'étendre ses recherches de reclassement au-delà du groupe auquel il appartient, dans le cadre de la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement collectif, ne bénéficie qu'aux salariés concernés par cette procédure de licenciement collectif ; qu'en l'espèce, il est constant que le licenciement de Monsieur Y... est fondé sur l'inaptitude de ce dernier à occuper son emploi ; que le plan de sauvegarde de l'emploi précise par ailleurs que la société PAPETERIES DU LEMAN a décidé d'étendre ses recherches de reclassement au-delà du groupe PVL « afin de favoriser au maximum le reclassement de tout salarié de PDL qui ferait l'objet d'une procédure de licenciement économique » ; qu'en retenant qu'au regard de l'engagement pris dans le plan de sauvegarde de l'emploi mis en oeuvre parallèlement à la déclaration d'inaptitude de Monsieur Y..., la société PAPETERIES DU LEMAN aurait dû rechercher des solutions de reclassement pour Monsieur Y... au-delà du groupe PVL, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
3. ALORS, AU SURPLUS, QUE l'employeur n'est tenu d'étendre ses recherches de reclassement qu'aux entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel ; que la proximité ou la complémentarité des activités de deux entreprises, qui n'appartiennent pas à un même groupe au sens du droit des sociétés, mais sont indirectement détenues par les mêmes personnes physiques, est à elle seule insuffisante à caractériser une permutabilité de leur personnel ; qu'en l'espèce, la société PAPETERIES DU LEMAN démontrait que, parmi les papiers minces qu'elle produit, les papiers à cigarette représentent une part minoritaire, qu'elle les vend à plusieurs clients concurrents de la société REPUBLIC TECHNOLOGIES FRANCE, que cette dernière assure quant à elle la production d'articles pour fumeurs très divers et qu'il n'existe aucune direction commune, ni aucune politique commune entre elles ; qu'en se bornant à relever que les sociétés visées dans le plan de sauvegarde de l'emploi interviennent sur le marché du tabac et que les sociétés PAPETERIES DU LEMAN et REPUBLIC TECHNOLOGIES FRANCE ont des activités complémentaires, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une permutabilité effective de leur personnel et a, en conséquence, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-10 du Code du travail.
4. ALORS, ENFIN, QUE le juge est tenu d'examiner l'ensemble des éléments de preuve versés aux débats par les parties ; que les premiers juges avaient estimé que la société PAPETERIES DU LEMAN n'apportait pas la preuve du respect de l'obligation de reclassement, faute de produire, d'une part, une étude sur l'exposition des postes de production aux champs magnétiques et, d'autre part, les fiches des postes de sécheur et aide-sécheur ou tout autre élément permettant d'apprécier l'adéquation de ces postes avec les restrictions émises par le médecin du travail ; qu'en cause d'appel, la société PAPETERIES DU LEMAN avait versé aux débats les fiches de fonction correspondant à ces postes de sécheur et aide-sécheur (pièces n° 51 et 52), ainsi qu'un rapport d'essai de mesures de champs électromagnétiques (pièce n° 53), qu'elle visait expressément dans ses conclusions d'appel (p. 15 et 16) ; qu'à supposer qu'elle ait adopté les motifs du jugement, la cour d'appel, qui n'aurait pas alors examiné ces pièces nouvelles en cause d'appel, aurait en conséquence méconnu les exigences de motivation de l'article 455 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
, SUBSIDIAIREIl est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société PAPETERIES DU LEMAN à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Monsieur Y... dans la limite de six mois d'indemnités ;
AUX MOTIFS QUE « Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y a lieu d'ordonner le remboursement par la SAS PDL à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. Ali Y... à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois » ;
ALORS QUE les dispositions de l'article L. 1235-4 du Code du travail ne sont pas applicables au licenciement intervenu en violation des règles particulières aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, prévues par les articles L. 1226-10 et L. 1226-15 du même code ; qu'en l'espèce, le licenciement de Monsieur Y... a été jugé sans cause réelle et sérieuse, en raison du manquement de la société PAPETERIES DU LEMAN à l'obligation de reclassement préalable prévue par l'article L. 1226-10 du Code du travail ; qu'en ordonnant à la société PAPETERIES DU LEMAN de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Monsieur Y..., la cour d'appel a violé les articles L. 1235-4, L. 1226-10 et L. 1226-15 du Code du travail.