LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Holdar que sur le pourvoi incident relevé par la société Dindar autos ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 27 janvier 2016), que la société Dindar autos (la société Dindar) a été mise en sauvegarde par un jugement du 30 mars 2010 et a bénéficié d'un plan de sauvegarde le 14 septembre 2011 ; que le même jour, la société Z... D... et la société AJ Partenaires, administrateurs judiciaires de la société Dindar, ont adressé à la société Holdar, bailleresse, trois lettres l'informant de la résiliation de trois baux consentis à la société Dindar sur des immeubles utilisés par l'entreprise pour son activité ; que la société Holdar a présenté une requête au juge-commissaire aux fins de voir déclarer ces lettres de résiliation inopposables à son égard ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Holdar fait grief à l'arrêt de dire que la résiliation des baux lui est opposable et de rejeter ses demandes alors, selon le moyen, que le ministère public, lorsqu'il est partie jointe, peut faire connaître son avis à la juridiction, soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mises à la disposition des parties, soit oralement à l'audience ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les avocats ont seuls été entendus à l'audience du 7 octobre 2015 ; que l'avis du ministère public visé au dispositif de l'arrêt attaqué n'a donc pas été donné oralement à l'audience, mais par voie de conclusions écrites ; qu'en statuant au vu de cet avis, sans constater que la société Holdar en avait eu communication ni qu'elle avait eu la possibilité d'y répondre, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 16 et 431 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'avis écrit du ministère public, par lequel ce dernier déclare s'en rapporter, étant sans influence sur la solution du litige, n'a pas à être communiqué aux parties ; qu'il résulte du dossier de la procédure qu'est apposée sur la cote de celui-ci la mention "vu et s'en rapporte, le 24 octobre 2014" avec le tampon et la signature d'un magistrat du parquet général près la cour d'appel ; que dès lors cet avis n'avait pas à être communiqué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Holdar fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que l'administrateur, qui décide d'abord de continuer le bail de l'immeuble loué au débiteur en procédure de sauvegarde et utilisé pour l'activité de l'entreprise, ne peut ensuite mettre fin à ce contrat, en dehors des conditions du droit commun, que s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour le paiement du prochain loyer à échoir ; qu'en jugeant que les administrateurs judiciaires de la société Dindar, qui avaient poursuivi pendant dix-huit mois l'exécution des contrats de bail liant cette société à la société Holdar, pouvaient librement mettre fin à ces contrats le dernier jour de la période d'observation, sans avoir à justifier d'une insuffisance de fonds pour le paiement des loyers à échoir, la cour d'appel a violé les articles L. 622-13, II, et L. 622-14, 1°, du code de commerce ;
2°/ qu'aux termes de l'article L. 622-14, 1°, du code de commerce, la résiliation du bail de l'immeuble loué au débiteur en procédure de sauvegarde et utilisé pour l'activité de l'entreprise intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le contrat ; que l'administrateur n'a pas la faculté de différer les effets de sa décision à une date ultérieure ; que l'option de non-continuation exercée par l'administrateur, mais assortie d'un effet différé, est irrégulière dans son principe même, et ne saurait par conséquent entraîner la résiliation du contrat ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 622-14, 1°, susdit ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir énoncé qu'il résulte de l'article L. 622-14, 1°, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, que la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l'activité de l'entreprise intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail, l'arrêt retient exactement que si l'article L. 622-13, II, du même code fait obligation à l'administrateur de résilier un contrat à exécution successive à défaut de fonds suffisants pour acquitter le terme suivant, cette obligation ne lui interdit pas de mettre un terme à tout moment à des contrats de bail, même si les loyers peuvent être payés à l'échéance ;
Et attendu, d'autre part, que la résiliation étant, par application de la loi, effective dès le jour où le bailleur en est informé, le fait que l'administrateur lui ait indiqué que la résiliation n'interviendrait qu'à une date ultérieure, n'a pas eu pour effet de la rendre irrégulière ni d'en différer la date ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Holdar aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à M. Z... et à la société AJ Partenaires, en la personne de M. A..., en leur qualité d'administrateurs de la société Dindar autos, la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Holdar, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré opposable à la SA Holdar la résiliation des trois baux conclus avec la SAS Dindar autos, et d'avoir débouté la SA Holdar de ses demandes ;
Alors que le ministère public, lorsqu'il est partie jointe, peut faire connaître son avis à la juridiction, soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mises à la disposition des parties, soit oralement à l'audience ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que les avocats ont seuls été entendus à l'audience du 7 octobre 2015 ; que l'avis du ministère public visé au dispositif de l'arrêt attaqué n'a donc pas été donné oralement à l'audience, mais par voie de conclusions écrites ; qu'en statuant au vu de cet avis, sans constater que la société Holdar en avait eu communication ni qu'elle avait eu la possibilité d'y répondre, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, 16 et 431 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré opposable à la SA Holdar la résiliation des trois baux conclus avec la SAS Dindar autos, et d'avoir débouté la SA Holdar de ses demandes ;
Aux motifs propres que « l'article L 622-14 1° du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008, dispose : "Sans préjudice de l'application du 1 et du II de l'article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes : 1° Au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail. Dans ce cas, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts" ; que l'article L 622-13 IV du Code de commerce n'étant pas applicable aux baux, l'administrateur peut donc valablement décider de résilier le bail sans requérir l'autorisation préalable du juge commissaire ; que l'article L 622-13 II du Code de commerce prévoit : "(
) S'il s'agit d'un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l'administrateur y met fin s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant (
)"; que selon Holdar, et le juge commissaire, il résulte, a contrario, de cette disposition que seule l'insuffisance immédiate de trésorerie permettait de résilier le contrat de bail , qu'à défaut, celui-ci devait être rompu conformément au droit commun, que le fait que les baux auraient été normalement exécutés pendant la période d'observation, soit en l'espèce durant 18 mois, interdirait aux administrateurs d'user de la faculté offerte par l'article L 622-14 ; mais que si l'article L 622-13 II du code de commerce fait obligation à l'administrateur de résilier un contrat à exécution successive à défaut de fonds suffisants pour acquitter le terme suivant, sous peine d'engager sa responsabilité, elle ne lui interdit pas d'y mettre fin, même si les loyers pouvaient être payés à échéance ; que les administrateurs ont la faculté de résilier les contrats de bail au cours de la période d'observation quand bien même ceux-ci seraient-ils normalement exécutés ; qu'il est donc indifférent que la société débitrice Dindar autos ait disposé des fonds nécessaires, cette circonstance ne faisant aucunement obstacle à la faculté offerte aux administrateurs de résilier les baux sans avoir à justifier d'un quelconque motif » (arrêt attaqué, p. 10, deux derniers §) ;
Et aux motifs propres que « l'article L 622-14 du Code de commerce énonce clairement que la résiliation intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas poursuivre le bail ; que l'article L 622-14 donne le pouvoir exorbitant à l'administrateur de résilier les baux au moment qui lui paraît adéquat, durant la période d'observation, et ce pour que tout soit mis en oeuvre pour assurer la survie de l'entreprise sous sauvegarde ; qu'en l'espèce la résiliation anticipée des baux de location Kolors Saint-Denis et Saint-Pierre + centre de stockage a été envisagée dans une note de C Morel en date du 09/07/2012 dont n'a pas eu connaissance la société Holdar ; que le sort des baux a en réalité été décidé au dernier moment, hors présence de la société Holdar ; que le 08/09/11 à la suite d'une réunion du 02/09/11, la société Dindar autos a écrit aux administrateurs judiciaires pour leur demander de résilier les baux avec un préavis de 6 mois, soit fin mars 2012 ; que l'administrateur n'avait pas la faculté de différer de sa propre autorité (sur demande expresse du débiteur) les effets de cette résiliation ; que cette résiliation a donc été effective conformément au texte dès le jour de l'information du bailleur, et à compter de cette date, la société Dindar autos s'est maintenue dans les lieux, sans droit ni titre, devenant débitrice d'indemnités d'occupation ; que du reste, elle s'est effectivement maintenue dans les lieux au-delà du terme qu'elle avait elle-même fixé ; que la résiliation est donc régulière mais, avec effet au jour de l'information du bailleur, soit le 14 septembre 2011 ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré la résiliation opposable à la société Holdar » (arrêt attaqué, p. 11, dernier § à p. 12, § 1) ;
Et aux motifs réputés adoptés des premiers juges que « la procédure relative à la résiliation des contrats en cours relève de l'article L. 622-13 du Code de Commerce, sauf en ce qui concerne la résiliation des baux commerciaux à laquelle l'article L. 622-14 dudit Code est expressément consacré ; que l'article L. 622-14 ne déroge toutefois pas à l'application du I et du II de l'article L. 622-13, ce qui signifie ipso facto qu'il y déroge pour le surplus ; qu'ainsi, il en résulte clairement pour le cas présent que :
- il revient à l'administrateur judiciaire de décider du sort du contrat de bail, bien qu'il soit néanmoins tenu d'y mettre fin s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant,
- le bailleur n'aura pas à saisir le juge-commissaire pour faire prononcer la résiliation, puisqu'elle interviendra de plein droit du seul fait de l'initiative de l'administrateur de mettre fin au bail,
- la résiliation intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail, la loi n'ayant prévu aucun formalisme particulier pour ce faire ;
qu'en l'espèce, il est établi que la société Holdar, qui n'a d'ailleurs jamais mis les administrateurs judiciaires en demeure d'opter pour la poursuite ou non des contrats litigieux, a été officiellement avisée de la décision par les administrateurs de résilier les contrats litigieux le 14 Septembre 2011, à 13h18, 13h19 et 13h 20, alors que ceux-ci étaient encore en fonction ; que sur le préavis imposé par les administrateurs judiciaires, s'il peut être discuté au regard des dispositions de l'article L. 622-14 du Code de Commerce, le principe même de la résiliation ne saurait l'être : ou bien l'on admet de différer la date d'effet de la résiliation intervenue le 14 Septembre 2011 au 31 Mars 2012, et il y a lieu de considérer que la débitrice a régulièrement payé ses loyers jusqu'à la date d'expiration du préavis, ou bien l'on décide qu'elle s'est illégalement maintenue dans les lieux, et, dans ce cas, elle est redevable d'indemnités d'occupation ; que par ailleurs, ainsi que le lui ont rappelé les administrateurs judiciaires dans leur courrier du 22 Février 2012, la société Holdar avait la possibilité de déclarer au passif son préjudice éventuel conformément aux dispositions de l'article L. 622-14 10 du Code de Commerce ; qu'il convient, en conséquence, de débouter la SA Holdar de sa demande » (jugement entrepris, p. 3, § 3 à p. 4, § 2) ;
Alors d'une part que l'administrateur, qui décide d'abord de continuer le bail de l'immeuble loué au débiteur en procédure de sauvegarde et utilisé pour l'activité de l'entreprise, ne peut ensuite mettre fin à ce contrat, en dehors des conditions du droit commun, que s'il lui apparaît qu'il ne disposera pas des fonds nécessaires pour le paiement du prochain loyer à échoir ; qu'en jugeant que les administrateurs judiciaires de la SAS Dindar autos, qui avaient poursuivi pendant 18 mois l'exécution des contrats de bail liant cette société à la SA Holdar, pouvaient librement mettre fin à ces contrats le dernier jour de la période d'observation, sans avoir à justifier d'une insuffisance de fonds pour le paiement des loyers à échoir, la cour d'appel a violé les articles L. 622-13 II et L. 622-14 1° du code de commerce ;
Alors d'autre part qu'aux termes de l'article L. 622-14 1° du code de commerce, la résiliation du bail de l'immeuble loué au débiteur en procédure de sauvegarde et utilisé pour l'activité de l'entreprise intervient au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le contrat ; que l'administrateur n'a pas la faculté de différer les effets de sa décision à une date ultérieure ; que l'option de non-continuation exercée par l'administrateur, mais assortie d'un effet différé, est irrégulière dans son principe même, et ne saurait par conséquent entraîner la résiliation du contrat ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 622-14 1° susdit.