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17/01/2018 | FRANCE | N°14-13351

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 janvier 2018, 14-13351


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 11 décembre 2009, Mme Y... a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha (la société), producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices consécutifs à son exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES), à la suite de la prise de ce médicament, par sa mère, au cours de la grossesse ; que le mari et la mère de l'intéressée sont intervenus volontairement aux fins d'obtenir la réparation de

s préjudices par eux personnellement éprouvés ; que l'expertise judiciaire ord...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 11 décembre 2009, Mme Y... a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha (la société), producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices consécutifs à son exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES), à la suite de la prise de ce médicament, par sa mère, au cours de la grossesse ; que le mari et la mère de l'intéressée sont intervenus volontairement aux fins d'obtenir la réparation des préjudices par eux personnellement éprouvés ; que l'expertise judiciaire ordonnée en cours d'instance a conclu que l'état de santé de Mme Y... était consolidé en avril 2003 ; que la société a opposé la prescription de l'action, en faisant valoir que la consolidation était acquise depuis 1994, date à laquelle elle avait cessé toute thérapeutique, et contesté sa responsabilité ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'article 2226 du code civil ;

Attendu que, pour fixer la date de consolidation de Mme Y... en 1994 et déclarer l'action irrecevable comme prescrite, après avoir énoncé que la notion de consolidation relève de la matière médicale et que sa détermination est confiée au corps médical, l'arrêt retient qu'après plusieurs fausses couches de 1989 à 1991 et cinq procédures de fécondation in vitro en 1992 et 1993 restées inefficaces, démontrant une stérilité secondaire, Mme Y... n'a pas entrepris de nouveaux traitements en vue de vaincre son infertilité ; qu'il en déduit que son état clinique se trouvait stabilisé en 1994 et qu'en l'absence de preuve d'un changement ultérieur de cet état, les composantes de l'état d'infertilité se trouvaient alors acquises et pouvaient être considérées comme réalisant un préjudice définitif ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs pris du choix de Mme Y... de cesser tout traitement contre l'infertilité, impropres à caractériser la consolidation de son état, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société UCB Pharma aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. et Mme Y... et à Mme Z... la somme globale de 3 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

.

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y... et Mme Z....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par Mme Z..., épouse Y..., M. Olivier Y... et Mme Nicole A..., épouse Z... ;

AUX MOTIFS QUE l'action engagée par les consorts Y..., qui est de nature délictuelle (...) a été introduite le 11 décembre 2009 ; qu'en application de la loi applicable depuis le 17 juin 2008, la prescription est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte ; que selon l'article 2226 du code civil en sa nouvelle rédaction postérieure à la réforme « l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé » ; que le point de départ de la prescription est en conséquence la date de la consolidation ; (...) que la notion de consolidation, qui permet de déterminer le ou les préjudices, élément nécessaire à la présence d'une responsabilité, se réfère à la constatation de l'état physique ou mental d'un individu ; que supposant une comparaison avec l'état de l'individu qui n'a pas subi d'atteinte anormale et une connaissance de l'évolution des anormalités constatées, cette notion relève de la matière médicale ; que la consolidation, selon la chambre sociale, « est le moment où la lésion est stabilisée et prend un caractère permanent » ; que pour la Commission Dintilhac, la date de consolidation de la victime s'entend de la date de stabilisation de ses blessures constatées médicalement ; que cette date est généralement définie comme « le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire si ce n'est pour éviter une aggravation et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif » ; qu'elle ne peut dépendre de décisions de l'individu dans une situation médicale inchangée ; que sa détermination est d'ailleurs confiée au corps médical ; que l'état d'infertilité de Madame Y... ne peut être assimilé au cas d'une contamination VIH ou consécutif à l'exposition à l'amiante ou à la maladie de Creuzfeld-Jacob en ce qu'elle serait insusceptible de réelle consolidation avant la ménopause alors que l'infertilité ne connaît pas le même type d'évolution et notamment une possibilité de détérioration mais seulement de rupture par la présence d'une grossesse aboutissant à une naissance ; que par ailleurs, retenir la ménopause comme date de consolidation rendrait irrecevable toute demande d'indemnisation intégrale antérieure à ce moment et notamment celle de Madame Y... ; que la notion de consolidation intègre, à titre essentiel, la présence d'un état qui n'est plus susceptible d'amélioration et se trouve « stabilisé » ; qu'en l'occurrence, Madame Y..., mariée en 1988, a suivi, après plusieurs fausses couches de 1989 à 1991, cinq procédures de fécondation in vitro de 1992 à 1993 restées inefficaces démontrant une stérilité secondaire ; qu'il n'est pas apporté d'élément montrant qu'ultérieurement, elle a suivi de nouveaux traitements ; qu'il est seulement justifié d'examens de contrôle échographiques pelviens ou hormonaux à partir de 2009 et la prescription de contraceptifs sans but thérapeutique relatifs à la stérilité secondaire ; que si Madame Y... a, de façon progressive psychologiquement intégré qu'elle n'arrivait pas à donner naissance à un enfant et a adopté un premier enfant en 1998 puis un second en 2003, l'acceptation de l'adoption ne correspond pas à des éléments médicaux et ne peut être retenue comme élément trop incertain pour fixer une date de consolidation comme le prouve le fait qu'il y a eu successivement deux décisions d'adoption ; qu'il ne peut pas davantage être pris en compte comme date de consolidation le fait qu'elle ait décidé de prendre un contraceptif alors que cette situation n'est pas une circonstance d'ordre subjectif, reste incertaine par sa remise en cause possible ; qu'au surplus, en l'occurrence, elle est intervenue alors que les constatations physiques restaient inchangées ; qu'en effet, Mme Y... avait cessé toute tentative de fécondation in vitro depuis 1994 où avait échoué le cinquième essai ; qu'aucun traitement ou autre mesure en vue d'améliorer et de vaincre l'infertilité jusqu'alors constatée, n'avait été mise en oeuvre depuis cette période ; que l'état clinique de Madame Y... se trouvait stabilisé ; qu'il n'est apporté aucune preuve d'un changement de cet état après 1994 ; que les composantes de l'état d'infertilité se trouvaient alors acquises de sorte qu'il était possible de les apprécier en tant que réalisant un préjudice définitif ; qu'en conséquence, la date de consolidation de l'état de Mme Y... doit être fixée en 1994, période qui a marqué la fin de tout traitement thérapeutique relatif à l'état d'infertilité de Mme Y... ; que l'action des consorts Y... introduite le 11 décembre 2009, soit plus de dix ans après la date de consolidation est prescrite ;

1°) ALORS QUE l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ; que la consolidation s'entend d'un état de la lésion corporelle stabilisée et permanente ; qu'il s'ensuit que la prescription de l'action tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'infertilité commence à courir au jour où cette infertilité devient définitive ; qu'en considérant que la ménopause, qui caractérise l'état physiologique propre à la femme mettant un terme définitif à sa capacité à procréer, ne peut en soi constituer le moment de la consolidation du dommage d'infertilité, sans prendre en considération les possibilités d'amélioration spontanée ou provoquée par un traitement médical de la victime jusqu'à cet événement, possibilités faisant obstacle au caractère définitif de l'infertilité, cependant qu'elle constatait elle-même que des traitements médicaux pouvaient faire évoluer positivement l'état d'infertilité, la cour d'appel a violé l'article 2226 du code civil ;

2°) ALORS QUE la consolidation du dommage doit résulter de constatations médicales ; qu'en faisant dépendre le caractère stabilisé et permanent de l'état d'infertilité de Mme Y... de ses initiatives personnelles, consistant en l'abandon de la poursuite d'un traitement contre l'infertilité, et non d'un constat médical de son incapacité définitive à procréer, la cour d'appel a violé l'article 2226 du code civil ;

3°) ALORS QUE, dans ses conclusions d'appel, Mme Y... soutenait que compte tenu de son âge, elle était physiquement apte à concevoir un enfant, que si sa première grossesse extra-utérine avait conduit à une salpingectomie gauche, elle conservait sa trompe droite, qu'il lui était encore possible de s'inscrire dans un parcours de procréation médicalement assisté, que le protocole de fécondation in vitro est de six tentatives et que, par conséquent, en l'état, il n'était pas possible de conclure à une infertilité définitive ; qu'en se bornant à affirmer que la consolidation devait être fixée au moment où Mme Y... a cessé tout traitement thérapeutique contre l'infertilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2226 du code civil ;

4°) ALORS QUE le préjudice d'anxiété n'est pas soumis, par nature, à un processus de stabilisation ; que le point de départ de l'action tendant à son indemnisation ne peut, par conséquent, être fixé par référence à une hypothétique consolidation, telle que prévue par les dispositions de l'article 2226 du code civil ; que dans ses conclusions d'appel, Mme Y... demandait l'indemnisation de son préjudice d'anxiété résultant des risques de cancers auquel elle est exposée du fait de son exposition in utero au distilbène, impliquant une surveillance médicale accrue et anxiogène, réanimant de manière récurrente la crainte de contracter une pathologie engageant le pronostic vital ; qu'en estimant que l'action tendant notamment à l'indemnisation de ce préjudice moral aurait commencé à se prescrire à compter du jour de la consolidation du préjudice d'infertilité, en 1994, la cour d'appel a violé l'article 2226 du code civil ;

5°) ALORS QU'en ne recherchant pas si le préjudice d'anxiété invoqué ne constituait pas, comme il était soutenu, un préjudice indépendant du dommage d'infertilité dont elle demandait par ailleurs la réparation en ses divers chefs de préjudices, et n'échappait pas, par conséquent, à la prescription invoquée par la société UCB Pharma, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2226 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-13351
Date de la décision : 17/01/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Action en responsabilité - Prescription - Point de départ - Préjudice corporel - Date de consolidation de l'état de la victime - Détermination

PRESCRIPTION CIVILE - Prescription décennale - Article 2226 du code civil - Délai - Point de départ - Préjudice corporel - Date de consolidation de l'état de la victime - Détermination

La date de la consolidation d'un dommage résultant d'une infertilité, à compter de laquelle se prescrit l'action en la responsabilité prévue par l'article 2226 du code civil, ne peut être fixée en fonction du choix de la victime de cesser tout traitement contre l'infertilité


Références :

article 2226 du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 05 décembre 2013

Sur une autre application du même principe, à rapprocher :2e Civ., 3 novembre 2011, pourvoi n° 10-16036, Bull. 2011, II, n° 204 (cassation partielle)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 17 jan. 2018, pourvoi n°14-13351, Bull. civ.Bull. 2018, I, n° 9
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, I, n° 9

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:14.13351
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