LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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Mme Ratka X..., épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 6 septembre 2016, qui, dans la procédure suivie, sur sa plainte, contre M. Guillaume Z...et M. Alain A..., des chefs de diffamation publique et complicité de diffamation publique a constaté l'extinction de l'action publique par prescription ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 octobre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle BOUTET et HOURDEAUX et de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 53, 54, 65 de la loi du 29 juillet 1881, 553, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" en ce que l'arrêt attaqué a constaté la prescription de l'action publique et civile ;
" aux motifs propres que selon l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la prescription de l'action publique et de l'action civile pour les infractions prévues par 1a loi sur la presse est de trois mois révolus « à compter du jour où elles auront été commises ou du jour du dernier acte de poursuite, s'il en a été fait » ; qu'il est constant qu'une citation déclarée nulle et un jugement rendu sur une citation nulle ne peuvent avoir pour effet d'interrompre la prescription (Crim., 24 avr. 1979, Bull. crim., n° 142) ; que, de même, selon la Cour de cassation, « une demande d'aide judiciaire et l'enquête qu'elle nécessite ne constituent pas un tel acte et les dispositions du décret précité, texte réglementaire, ne peuvent déroger aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 » (Cass Crim., 7 novembre 1989, pourvoi n° 86-90981) ; que, en l'espèce, l'article incriminé a été publié le 9 octobre 2014 ; que, par jugement, en date du 11 février 2015, le tribunal correctionnel de Montargis a fait droit à l'exception de nullité soulevée, a constaté la nullité de la citation délivrée le 24 novembre 2014 ainsi que l'acquiescement de la partie civile ; que, ce jugement est devenu définitif ; qu'ainsi, entre le 24 novembre 2014 (date de la première citation qui a été annulée) et le 3 avril 2015 (date de la nouvelle citation), il n'y a eu aucun acte interruptif de prescription ; que Mme X...a en effet initié une nouvelle procédure par deux nouvelles citations délivrées à M. Alain A... le 7 avril 2015 etM. Guillaume Z...le 3 avril 2015 ; que l'aide juridictionnelle, accordée à Mme X...le 12 janvier 2015, concernait la procédure initiale résultant de la citation déclarée nulle par le jugement du 11 février 2015 ; que la procédure initiée par les citations des 7 et 3 avril 2015 et pour laquelle une consignation a été déposée, en date du 10 juillet 2015, est une procédure distincte de la première ; que c'est donc par une juste application du droit positif, et par des motifs pertinents que la cour fait siens, que le tribunal correctionnel de Montargis a constaté la prescription de l'action publique et civile ;
" aux motifs adoptés que l'article en cause a été publié le 9 octobre 2014, que M. A..., représentant légal du Journal de Gien et M. Z...ont été cités directement à l'audience du 10 décembre 2014 par Mme X..., épouse Y..., partie civile, par citation délivrée respectivement le 24 novembre 2014 à domicile pour le premier et le 18 novembre 2014 à étude pour second ; que le tribunal correctionnel de Montargis a, par jugement en premier ressort et contradictoirement à l'égard de Mme X..., épouse Y..., le Journal de Gien représenté par MM. A... et Z..., en date du 11 février 2015, fait droit à l'exception de nullité soulevée, constaté la nullité de la citation délivrée le 24 novembre 2014, ainsi que l'acquiescement de la partie civile ; que Mme X..., épouse Y..., avait la possibilité de régulariser dans les délais prescrits ; qu'en matière d'infraction à la loi sur la liberté de la presse, seule la plainte avec constitution de partie civile, le réquisitoire introductif ou la citation directe répondant aux exigences des articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet l881, sont susceptibles de mettre en mouvement l'action publique et de constituer le premier acte interruptif de la prescription ; que le jugement, en date du 11 février 2015, a fait droit à l'exception de nullité soulevée, constaté la nullité de la citation délivrée le 24 novembre 2014, ainsi que l'acquiescement de la partie civile ; que ce jugement est aujourd'hui définitif que 1a nullité de la citation n'a pas été régularisée dans le délai des trois mois prévue par l'article 65 de la Loi du 29 juillet 188 l sur la liberté de la presse ; que Mme X..., épouse Y..., a initié une nouvelle procédure par deux nouvelles citations délivrées à M. A... le 7 avril 2015, pour la première et M. Z...le 13 avril 2015, pour la seconde ; que l'aide juridictionnelle objet de la demande précitée qui a été accordée à Mme X..., épouse Y..., le 12 janvier 2015 concernait la procédure initiée par la première citation directe qui a été déclarée nulle par le jugement du 11 février 2015 ; que la procédure initiée par les citations, en date des 7 et 13 avril 2015 et pour laquelle une consignation n été déposée, en date du 10 juillet 2015, est une procédure distincte de la première ; qu'il y a lieu de dire que l'action publique et civile est éteinte du fait de la prescription de trois mois ;
" 1°) alors que même en cas d'inobservation des délais de distance, la citation délivrée par la partie civile est un acte d'instruction ou de poursuite qui interrompt la prescription ; qu'en refusant, en l'espèce, tout effet interruptif de prescription aux citations délivrées par Mme X...le 24 novembre 2014 ainsi qu'au jugement définitif du 11 février 2015 qui a constaté la nullité de ces citations tout en réservant à Mme X...une possibilité de régularisation dans les trois mois dont elle a fait usage les 3 et 7 avril 2015, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que lorsqu'une action en justice doit être intentée avant l'expiration d'un délai devant la juridiction du premier degré, une telle action est réputée avoir été intentée, dans ce délai, si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant a été adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter de la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; qu'en l'espèce, la prescription aussitôt interrompue par la demande d'aide juridictionnelle de Mme X...a été suspendue jusqu'au 12 janvier 2015, date à laquelle une aide juridictionnelle totale a été accordée à l'intéressée ; qu'en constatant la prescription de l'action régularisée par Mme X...dans les trois mois de la décision du bureau d'aide juridictionnelle au motif inopérant que les actes des 3 et 7 avril 2015 étaient à l'origine d'une procédure distincte de celle ayant abouti au constat de la nullité des citations prématurément délivrées le 24 novembre 2014, quand il lui appartenait de vérifier, comme cela lui était expressément demandé, si ces actes identiques aux précédents tendaient aux mêmes fins, de sorte qu'ils avaient régulièrement interrompu la prescription, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard des textes susvisés ;
" 3°) alors que chacun a droit à un tribunal ; que l'accès au juge ne saurait être entravé dans sa substance même par une interprétation des règles de prescription qui ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts de la victime et ceux de la personne poursuivie ; qu'en accueillant, en l'espèce, l'exception de prescription soulevée en défense, sans prendre en compte l'attitude des prévenus qui avaient délibérément refusé de comparaître à la première audience pour laquelle ils avaient été cités au motif qu'ils ne bénéficiaient pas du délai de distance prévu par la loi mais qui avaient comparu spontanément à l'audience suivante pour demander la nullité des citations qui leur avaient été délivrées tout en invoquant, après régularisation, la prescription de l'action maintenue à leur encontre, la cour d'appel a, par son interprétation excessive des règles en cause, violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que Mme X..., à la suite de la parution le 9 octobre 2014 d'un article dans le Journal de Gien contenant selon elle des imputations diffamatoires à son endroit, a fait citer par actes des 18 et 24 novembre 2014 M. A..., directeur de la publication, et M. Z...à comparaître à l'audience du tribunal correctionnel du 10 décembre 2014 pour y répondre respectivement des chefs de diffamation publique envers un particulier et complicité de ce délit ; que le tribunal, après avoir constaté que les prévenus n'étaient ni présents, ni représentés lors de ladite audience, a renvoyé l'affaire, puis, par jugement du 11 février 2015, désormais définitif, a annulé les citations sur le fondement des dispositions de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 ; que Mme X..., qui avait obtenu l'aide juridictionnelle le 12 janvier 2015 à la suite de sa demande du 14 octobre 2014, a fait délivrer deux nouvelles citations aux intéressés, les 3 et 7 avril 2015 ; que le tribunal, par jugement du 10 février 2016, a constaté la prescription des actions publique et civile ; que la partie civile a interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris et écarter l'argumentation de la partie civile, qui faisait valoir que la prescription avait été interrompue par les citations des 18 et 24 novembre 2014 et n'avait pu courir pendant que sa demande d'aide juridictionnelle était instruite, en sorte que la prescription avait encore pu valablement être interrompue par les nouvelles citations des 3 et 7 avril 2015, lesquelles tendaient aux mêmes fins que les précédentes, l'arrêt relève qu'une citation déclarée nulle ne peut avoir pour effet d'interrompre la prescription, qu'en outre, aucun acte interruptif de la prescription n'est intervenu entre le 24 novembre 2014, date de la première citation qui a été annulée, et le 3 avril 2015, date de la nouvelle citation, qu'enfin la procédure initiée par les secondes citations était distincte de celle introduite par les précédentes, en sorte que l'action était prescrite ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, d'une part, la citation délivrée en violation de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, lorsqu'elle est entachée de nullité, faute pour la partie citée de s'être présentée, ne saisit pas la juridiction répressive et n'interrompt pas la prescription, d'autre part, si une nouvelle citation peut valablement saisir le tribunal, c'est à la condition que cet acte réponde aux exigences des articles 53 et 54 de ladite loi et que le délai de la prescription de l'action publique ne soit pas expiré, le délai accordé pour consigner ou obtenir l'aide juridictionnelle ou la décision accordant cette aide à l'occasion de la première instance étant sans effet sur le délai de prescription au regard de la nouvelle action introduite, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme X...devra payer à M. A... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme X...devra payer à M. Z...au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze décembre deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.