LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Vu les articles 375 et 375-5 du code civil, ensemble les articles L. 112-3 et L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que la protection de l'enfance a pour but, notamment, de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge ; que si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge des enfants ; que, lorsque celui-ci est saisi de la situation d'un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, il prend sa décision en stricte considération de l'intérêt de l'enfant ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le mineur Leonardo Y..., né le [...] en Albanie, a été pris en charge en foyer d'urgence à compter du 6 mars 2017 ; que, le 10 mars, le procureur de la République, après avoir ordonné son placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance, a saisi le juge des enfants d'une requête en assistance éducative ;
Attendu que, pour donner mainlevée de ce placement, l'arrêt retient, d'une part, que l'arrivée de Leonardo Y... sur le territoire français résulte d'une décision de ses parents, aucune situation de danger n'étant constatée à son encontre en Albanie, et qu'il reste soumis à l'autorité parentale qu'ils exercent depuis ce pays, d'autre part, qu'il dispose de relations sociales et familiales en France, de sorte qu'il ne relève pas de la protection des mineurs non accompagnés ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si le mineur disposait d'un représentant légal sur le territoire national ou était effectivement pris en charge par une personne majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Léonardo Y....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 23 mars 2017 rendu par le juge des enfants de Chambéry ayant ordonné la mainlevée du placement de Leonardo Y... auprès de la Direction de la Vie sociale à compter du 27 mars 2017 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « le parcours de Leonardo Y... démontre qu'il a été accompagné par un titulaire de l'autorité parentale jusqu'à Milan puis pris en charge par des personnes auxquelles le titulaire de l'autorité parentale l'a volontairement confié ;
Que l'arrivée de Leonardo Y... sur le territoire national français relève d'un choix des titulaires de l'autorité parentale, aucune situation de danger n'étant objectivée à son encontre en Albanie ; que les titulaires de l'autorité parentale ont délibérément choisi de permettre à Leonardo Y... de séjourner en France sous couvert de tiers auxquels ils l'ont volontairement confié et dans l'espoir de sa prise en charge par le dispositif ouvert aux réels mineurs non accompagnés ;
Qu'il est constant que la mère de Leonardo Y... suit et organise le séjour de son enfant, lui adressant régulièrement divers plus ou documents par courrier international ;
Que Leonardo Y... n'est pas en situation d'isolement dès lors que ses représentants légaux suivent et organisent à distance son séjour en France et exercent ainsi en conscience l'autorité parentale sur leur enfant ; qu'il ne saurait être tiré argument du fait que les parents s'abstiennent volontairement de faire toute démarche permettant aux tiers auxquels ils ont confié Leonardo Y... d'en assurer juridiquement la charge ; que l'intention dolosive de ses parents ne saurait conférer à Leonardo Y... le statut de mineur non accompagné eu égard à la réalité de sa situation et au constat selon lequel il n'est pas livré à lui-même sur le territoire national mais au contraire toujours soumis aux décisions de ses parents et à l'autorité parentale qu'il[s] continuent d'exercer ;
Que c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que Leonardo Y... ne saurait relever de la protection des mineurs non accompagnés ; que la décision entreprise sera dès lors confirmée » ;
AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Leonardo Y..., né le [...] en Albanie a été pris en charge au Foyer d'Urgence d'[...] à compter du 6 mars 2017, sur le fondement de l'article 375-5 du Code civil ;
Qu'une requête en assistance éducative a été déposée auprès du juge des enfants par le Procureur de la République, en date du 10 mars 2017 ;
Que le rapport de la Direction de la Vie sociale du 8 mars 2017 indique à l'occasion d'une première évaluation que des incohérences dans le récit du jeune ont été relevées, avec un discours stéréotypé, le tout nécessitant un second entretien pour évaluer la minorité et l'isolement de ce jeune ;
Qu'en conclusion du second entretien, les référentes indiquent que la minorité du jeune n'est pas remises en cause ; qu'en revanche, il est relevé que le jeune a menti au cours du premier entretien sur ses liens familiaux et son parcours migratoire, et que son isolement n'est pas avéré ;
Que lors de son dernier entretien auprès de la Vie sociale, le jeune indique qu'il a fait le trajet jusqu'à Milan en compagnie de sa mère, puis a été pris en charge par un couple d'Albanais à la gare de Milan, ce qui était prévu ; que ce couple serait une « connaissance » de ses grands-parents et résiderait près de Chambéry ([...]) depuis 10 ans ;
Qu'avec ce couple, ils seraient all[é] dormir chez des cousins ;
Qu'à l'audience, le jeune Leonardo s'exprime sans difficulté en anglais, en l'absence d'interprète en albanais ; qu'il indique qu'il a connu le couple [...] en Albanie ; qu'il précise qu'il a des amis dans la région, un à Chambéry, et un autre dont la famille est à [...] ;
Qu'il ressort tant des conditions dans lesquelles le jeune est arrivé en France (conduit par sa mère puis pris en charge par des compatriotes depuis la gare de Milan jusqu'à [...]), que de ses connaissances avérées dans la région, que ce dernier n'est pas isolé ;
Que malgré ses dénégations, le jeune dispose sur place de relations sociales et familiales qui ne le font pas entrer dans la catégorie des mineurs non accompagnés ;
Qu'il convient dès lors de prononcer la mainlevée de son placement auprès de la Direction de la Vie sociale ».
1°/ ALORS QUE les mesures de protection de l'enfance s'appliquent aux mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ; qu'est privé d'une telle protection le mineur isolé, quelle que soit sa nationalité ; que le mineur est isolé lorsque aucune personne majeure n'en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l'enfant, notamment en saisissant le juge compétent ; que pour juger en l'espèce que « Leonoardo Y... n'est pas en situation d'isolement », la cour d'appel a tout d'abord relevé que les représentants légaux de l'exposant « suivent et organisent à distance son séjour en France » et ensuite que « les parents s'abstiennent volontairement de faire toute démarche permettant aux tiers auxquels ils ont confié Leonardo Y... d'en assurer juridiquement la charge » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 375 et 375-5 du code civil, ensemble les articles L. 112-3 et L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;
2°/ ALORS QUE les mesures de protection de l'enfance s'appliquent aux mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ; qu'est privé d'une telle protection le mineur isolé, quelle que soit sa nationalité ; que le mineur est isolé lorsque aucune personne majeure n'en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l'enfant, notamment en saisissant le juge compétent ; qu'en l'espèce, pour juger que l'exposant ne saurait relever de la protection des mineurs non accompagnés, la Cour d'appel a relevé par motifs propres et adoptés que « l'arrivée de Leonardo Y... sur le territoire national français relève d'un choix des titulaires de l'autorité parentale, aucune situation de danger n'étant objectivée à son encontre en Albanie », « qu'il est constant que la mère de Léonardo Y... suit et organise le séjour de son enfant, lui adressant régulièrement divers plis ou documents par courrier international », qu'il « n'est pas livré à lui-même sur le territoire national mais au contraire toujours soumis aux décisions de ses parents et à l'autorité parentale qu'il[s] continuent à exercer » ou encore qu'il « dispose sur place de relations sociales et familiales » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer que Leonardo Y..., mineur et seul sur le territoire français, n'était pas isolé, la cour d'appel a violé les articles 375 et 375-5 du code civil, ensemble les articles L. 112-3 et L. 221-2-2 du code de l'action sociale et des familles ;
3°/ ALORS QUE le juge des enfants doit, pour tout ce qui concerne l'assistance éducative, toujours se prononcer en stricte considération de l'intérêt de l'enfant ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel, pour juger que l'exposant ne saurait relever de la protection des mineurs non accompagnés, s'est appuyée sur l'attitude prétendument dolosive de ses parents, sans jamais prendre en compte l'intérêt de Leonardo Y... à bénéficier d'une mesure de placement ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé les articles 375-1 et 375-5 alinéa 4 du code civil, ensemble l'article 3-1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.