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12/10/2017 | FRANCE | N°16-18333

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 octobre 2017, 16-18333


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagée le 12 avril 1995 en qualité d'employée de restauration à temps partiel et son contrat ayant fait l'objet d'une reprise par la société Sodexo le 1er mai 2006, Mme X... a été licenciée pour inaptitude le 24 janvier 2012 ;

Attendu que pour décider qu'un harcèlement moral n'était pas caractérisé et débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes contre l'em

ployeur, l'arrêt constate que la salariée établit avoir subi un premier harcèlement en 200...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagée le 12 avril 1995 en qualité d'employée de restauration à temps partiel et son contrat ayant fait l'objet d'une reprise par la société Sodexo le 1er mai 2006, Mme X... a été licenciée pour inaptitude le 24 janvier 2012 ;

Attendu que pour décider qu'un harcèlement moral n'était pas caractérisé et débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes contre l'employeur, l'arrêt constate que la salariée établit avoir subi un premier harcèlement en 2006 qui l'a fragilisée sur le plan psychologique, que des médecins ont attesté à l'époque d'un état dépressif en rapport avec une situation de stress professionnel, que des attestations versées aux débats témoignent de l'existence de propos désobligeants, notamment une attestation indiquant que certains collègues de cette dernière l'appelaient « le boulet » ou déclaraient « moins elle est là, mieux on se porte », une autre attestation mentionnant une agression et une menace verbale d'un collègue qui affirmait lors d'une discussion avec un autre salarié qu'ils « allaient la faire craquer pour qu'elle démissionne », une dernière attestation émanant d'une collègue de la salarié relevant que cette dernière « était persécutée quotidiennement » à propos de son travail, que la situation tendue au sein de cette entreprise apparaît comme une évidence, avec probablement l'existence de clans, et a « nécessairement impacté » la salariée, dont l'état psychologique était fragilisé depuis des années, mais que ces éléments ne permettent pas de se convaincre du franchissement de la frontière entre remarques désobligeantes ponctuelles et harcèlement moral ;

Qu'en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par la salariée, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, et dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toute ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société Sodexo aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Sodexo à payer à Me Bertrand la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir décidé que le dossier ne permettait pas de caractériser un harcèlement moral et d'avoir débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes contre la société Sodexo ;

AUX MOTIFS QUE lorsqu'un salarié amène des éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, il appartient à l'employeur d'en produire d'autres afin d'établir que les faits ne seraient pas constitutifs dudit harcèlement ; qu'après avoir soigneusement examiné toutes les pièces produites au dossier de part et d'autre, la cour entend synthétiser la situation ; que Mme X... a subi un premier harcèlement, soldé fin 2006 mais l'ayant vraisemblablement fragilisée sur le plan psychologique : - le docteur Y..., généraliste, écrivait le 23 mars 2009 qu'elle présentait des troubles anxieux généralisés depuis 2001, en lien selon la salariée avec un harcèlement sur son lieu de travail ; - le docteur Z..., psychiatre, faisait le 13 mars 2009 de troubles, évoluant depuis 2001 en rapport avec une situation de stress professionnel ; - le docteur A..., praticien conseil de la CPAM, faisait état le 16 août 2011 d'épisodes dépressifs constituant une affection de longue durée depuis le 23 octobre 2007 ; il notait un parcours de vie difficile ; - le docteur B..., médecin du travail, écrivait le 9 février 2012 que Mme X... avait fait état d'agressions verbales sur son lieu de travail ; que plusieurs attestations sont discutées, étant rappelé que dans le premier courrier à son employeur, Mme X... n'incriminait que M. C... ; qu'elles sont à corréler avec les observations de l'employeur : - M. D... (3 mars 2011, sans pièce d'identité) dit avoir vu des représailles sur Mme E... par messieurs C... et F... ; cela ne concerne donc pas Mme X... ; Dans une seconde attestation, il dit qu'elle était agressée verbalement, mais ne cite que M. F..., pas M. C... ; et cette attestation, non datée, si elle provient apparemment de la même écriture, ne porte pas la même signature ; Il est par ailleurs à signaler que dans le compte rendu de réunion d'expression des salariés du 2 octobre 2012, M. G... disait que quand il était arrivé dans l'entreprise, M. X... et M. D... mettaient le bazar dans l'équipe ; Cette attestation ne peut être tenue pour significative ; - M. H... (attestation non datée) a entendu de "certains collègues de travail" des propos désobligeants sur Mme X... : "le boulet", "moins elle est là, mieux on se porte" ; Ces faits n'étaient pas dirigés directement contre Mme X... ; Il est à signaler que dans le compte rendu de réunion d'expression des salariés du 2 octobre 2012, plusieurs salariés critiquent son comportement ; - M. I... (21 juillet 2011) a entendu Messieurs C... et F... dire qu'ils allaient faire craquer Mme X..., que M. C... appelait "le boulet" ; ces propos n'étaient cependant pas dirigés directement contre Mme X..., et rien ne démontre dans les faits qu'ils aient été suivis d'effet ; la mère de M. I... atteste qu'il se plaignait auprès d'elle de ses propres conditions de travail insupportables et de propos racistes ; il était malheureux à son travail ; elle ne rapporte cependant aucun propos qu'il aurait énoncé concernant Mme X... ; M. J... (23 février 2012) mentionne une agression et menace verbale par M. C... le 12 mai 2011 ; il entend ce dernier dire avec M. F... qu'ils "allaient la faire craquer pour qu'elle démissionne" ; Rien ne démontre cependant dans les faits que cette annonce ait été suivie d'effet ; Mme K... (attestation non datée, pas de pièce d'identité) parle d'un harcèlement de M. F... sur Mme E..., précisant que d'autres salariés étaient sous pression (elle, Mme X... et M. D...) ; cela est trop peu précis pour être significatif ; Mme E... (12 juin 2011) dit avoir vu plusieurs fois des représailles ; un jour, messieurs C... et F... ont reproché à Mme X... son travail ; elle était persécutée quotidiennement à ce propos ; Mme E... a écrit à l'employeur le 5 mai 2011 pour se plaindre elle-même de messieurs C... et F... : elle y parle aussi de Mme X... ; Il est à noter que l'attestation et le courrier n'ont ni la même écriture ni la même signature, ce qui en diminue la pertinence ; qu'au bout du compte, si l'existence d'une situation tendue au sein de cette entreprise apparaît comme une évidence (avec probablement l'existence de "clans"), et a nécessairement impacté Mme Léa X... dont l'état psychologique était fragilisé depuis des années, les éléments qui précèdent ne permettent pas à la cour de se convaincre du franchissement de la frontière entre remarques désobligeantes ponctuelles et harcèlement moral ; qu'il en découle que le jugement frappé d'appel doit être infirmé et Mme X... déboutée de l'ensemble de ses prétentions (arrêt attaqué pp. 3-4) ;

ALORS QU' aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail de nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que lorsque survient un litige relatif à un harcèlement moral, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en écartant en l'espèce l'existence d'une présomption de harcèlement moral, au motif que seule était établie l'existence d'une situation tendue au sein de l'entreprise, tout en constatant que Mme X... établissait avoir subi un premier harcèlement en 2006 qui l'avait fragilisée sur le plan psychologique, que plusieurs médecins avaient attesté à l'époque d'un état dépressif en rapport avec une situation de stress professionnel, que plusieurs attestations versées aux débats témoignaient de l'existence de propos désobligeants et de menaces proférées à l'égard de Mme X... visant à la "faire craquer" et que la situation tendue au sein de l'entreprise avait "nécessairement impacté Mme Léa X...", la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ces éléments qu'elle constatait, appréciés dans leur ensemble, n'étaient pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1152-1 et L.1154-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 16-18333
Date de la décision : 12/10/2017
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 29 juin 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 oct. 2017, pourvoi n°16-18333


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Bertrand, SCP Boutet et Hourdeaux

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.18333
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