La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/09/2017 | FRANCE | N°16-20905

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 20 septembre 2017, 16-20905


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Poste Immo ayant lancé un appel d'offres en vue de l'exécution de prestations de rénovation, la société Dasa a été mandatée pour présenter la candidature d'un groupement ; que cette candidature ayant été déclarée irrecevable en raison de la présence dans ce groupement de la société Betalm, co-traitant commun à un autre groupement candidat sur le même lot géographique, la société Dasa a assigné cette dernière en responsabilité, pour lui avoir

fait perdre la chance de conclure le marché ;

Sur le moyen unique, pris en sa de...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Poste Immo ayant lancé un appel d'offres en vue de l'exécution de prestations de rénovation, la société Dasa a été mandatée pour présenter la candidature d'un groupement ; que cette candidature ayant été déclarée irrecevable en raison de la présence dans ce groupement de la société Betalm, co-traitant commun à un autre groupement candidat sur le même lot géographique, la société Dasa a assigné cette dernière en responsabilité, pour lui avoir fait perdre la chance de conclure le marché ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que la faute de la victime n'est exonératoire que lorsqu'elle présente les caractéristiques de la force majeure ou constitue la cause exclusive du dommage ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société Dasa, l'arrêt relève qu'elle a présenté l'offre en qualité de mandataire, qu'il n'apparaît pas qu'elle se soit assurée auprès de ses co-traitants de ce qu'ils remplissaient les conditions requises pour soumissionner au marché litigieux, et qu'elle a ainsi contribué à la réalisation du dommage qu'elle invoque ;

Qu'en statuant ainsi, par un motif impropre à justifier le rejet de l'entière demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt retient que, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres, un candidat ayant présenté une offre irrégulière ne peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le marché du seul fait que l'un de ses co-traitants ne s'est pas conformé aux règles du marché, que seule l'offre écartée étant présentée au soutien de la demande, il ne peut être procédé à aucune analyse de sa valeur au regard de celles qui la concurrençaient, et que la preuve de la perte de l'éventualité favorable ne peut résulter de la seule analyse statistique des résultats obtenus par la société candidate à l'occasion de précédents appels d'offres ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le seul fait de ne pouvoir concourir impliquait la disparition actuelle et certaine d'une éventualité d'obtenir un résultat favorable et que, toute perte de chance ouvrant droit à réparation, il lui appartenait d'indemniser le dommage au regard des probabilités de succès de cette candidature, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Dasa de l'ensemble de ses demandes, et en ce qu'il statue sur les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom, autrement composée ;

Condamne la société Betalm et la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Betalm et la condamne ainsi que la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics à payer à la société Dasa la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Dasa

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Dasa Korus de ses demandes tendant à ce que la société Betalm et son assureur, la SMABTP, soient condamnées à lui verser une somme, en principal, de 829 080 € ;

AUX MOTIFS QU' « au soutien de son action, la société Dasa Korus invoque la faute commise par un préposé de la société Betalm et la perte de chance d'obtenir le marché auquel elle avait répondu ;

Qu'il convient de rappeler qu'il y a perte de chance chaque fois que le dommage a fait disparaître une probabilité qu'un événement positif pour la victime se réalise ou une probabilité qu'un événement négatif ne se réalise pas ; que pour qu'une situation de perte de chance puisse donner lieu à indemnisation, il faut que, par la faute de l'auteur du dommage, la victime ait perdu une éventualité favorable et non hypothétique ou négligeable ; que la perte de chance ne doit pas avoir été causée du fait de la victime ;

Qu'en l'espèce, il est constant que l'offre présentée par la société Dasa Korus était irrégulière dès lors, qu'au mépris des règles du marché, elle intégrait un co-traitant commun avec un autre candidat sur le même lot géographique la rendant ainsi irrecevable ;

Que, néanmoins, dans le cadre d'une procédure d'appel d'offre, un candidat ayant présenté une offre irrégulière ne peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le marché du seul fait que l'un de ses co-traitants ne s'est pas conformé aux règles du marché ;

Qu'en effet, la société Dasa Korus qui a présenté l'offre en qualité de mandataire des membres du groupement (pièce n° 3) n'apparaît pas s'être assurée auprès de ses co-traitants de ce qu'ils remplissaient les conditions requises pour soumissionner au marché litigieux et a ainsi contribué à la réalisation du dommage qu'elle invoque ; que par ailleurs, seul l'offre écartée étant présentée au soutien de la demande il ne peut être procédé à aucune analyse de sa valeur au regard de celles qui la concurrençaient, la preuve de la perte de l'éventualité favorable ne pouvant résulter de la seule analyse statistique des résultats obtenus par la société candidate à l'occasion de précédents appels d'offres ;

Que, dès lors, l'action engagée au titre de la perte d'une chance n'étant pas fondée, la cour, infirmant le jugement déféré, déboutera la société DASA KORUS de l'ensemble de ses demandes » ;

1/ ALORS QUE le mandataire de cotraitants professionnels décidant de soumissionner ensemble à un appel d'offres ne supporte pas l'obligation de s'assurer que chacun des cotraitants connait son obligation de se conformer aux conditions requises pour candidater ; qu'en déboutant pourtant en l'espèce, la société Dasa Korus de sa demande indemnitaire au prétexte qu'elle « a présenté l'offre en qualité de mandataire des membres du groupement » et qu'elle « n'apparait pas s'être assurée auprès de ses cotraitants de ce qu'ils remplissaient les conditions requises pour soumissionner au marché litigieux » (arrêt, p. 6, alinéa 4), cependant que la société Betalm, professionnelle ayant déjà candidaté à des appels d'offres de la Poste devait spontanément se conformer aux exigences de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QU' à la supposer établie, la faute de la victime ne peut produire pour le responsable qu'un effet partiellement exonératoire de responsabilité ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Dasa Korus de sa demande indemnitaire, la cour d'appel a retenu qu'elle « a présenté l'offre en qualité de mandataire des membres du groupement » et qu'elle « n'apparait pas s'être assurée auprès de ses cotraitants de ce qu'ils remplissaient les conditions requises pour soumissionner au marché litigieux » de sorte qu'elle aurait « contribué à la réalisation du dommage qu'elle invoque » (arrêt, p. 6, alinéa 4) ; qu'en statuant ainsi quand, à supposer même que la société Dasa Korus ait commis une faute ayant participé à la réalisation de son préjudice, celle-ci ne pouvait avoir qu'un effet partiellement exonératoire de responsabilité pour la société Betalm, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

3/ ALORS QUE constitue une perte de chance la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; que le simple fait que ne puisse être reconstituée la chance qu'avait effectivement la victime d'obtenir un résultat favorable ne constitue pas un obstacle à la réparation de la perte de chance dès lors que, par définition, le fait imputé au défendeur a empêché à la victime de courir réellement sa chance ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Dasa Korus de sa demande indemnitaire, la cour d'appel a retenu que « seule l'offre écartée étant présentée au soutien de la demande, il ne peut être procédé à aucune analyse de sa valeur au regard de celles qui la concurrençaient, la preuve de la perte de l'éventualité favorable ne pouvant résulter de la seule analyse statistique des résultats obtenus par la société candidate à l'occasion de précédents appels d'offres » (arrêt, p. 6, alinéa 4, in fine) ; qu'elle a ainsi considéré que l'impossibilité de reconstituer les chances qu'avait effectivement la victime d'obtenir le marché faisait obstacle à la réparation ; qu'en statuant ainsi, quand l'indemnisation de la perte de chance donne lieu à une reconstitution statistique des chances perdues, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 16-20905
Date de la décision : 20/09/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Riom, 18 mai 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 20 sep. 2017, pourvoi n°16-20905


Composition du Tribunal
Président : Mme Riffault-Silk (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Jean-Philippe Caston, SCP Odent et Poulet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:16.20905
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award