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12/09/2017 | FRANCE | N°6C-RD058

France | France, Cour de cassation, Commission reparation detention, 12 septembre 2017, 6C-RD058


COUR DE CASSATION 16 CRD 058
Audience publique du 13 juin 2017
Prononcé au 12 septembre 2017

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

A U N O M D U P E U P L E F R A N C A I S

La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Cadiot, président, Mme Moreau, Mme Isola, conseillers référendaires, en présence de Mme Le Dimna, avocat général et avec l'assistance de Mme Boudalia, greffier, a rendu la décision suivante :

Accueil partiel du recours formé pa

r M. Hicham X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Lyon en date ...

COUR DE CASSATION 16 CRD 058
Audience publique du 13 juin 2017
Prononcé au 12 septembre 2017

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

A U N O M D U P E U P L E F R A N C A I S

La commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Cadiot, président, Mme Moreau, Mme Isola, conseillers référendaires, en présence de Mme Le Dimna, avocat général et avec l'assistance de Mme Boudalia, greffier, a rendu la décision suivante :

Accueil partiel du recours formé par M. Hicham X..., contre la décision du premier président de la cour d'appel de Lyon en date du 23 novembre 2016 qui lui a alloué une indemnité de 37 539,80 euros en réparation du préjudice matériel, de 34 000 euros en réparation du préjudice moral et de 10 334 euros au titre des frais d'avocat sur le fondement de l'article 149 du code précité ainsi que la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile AR ;

Les débats ayant eu lieu en audience publique le 13 juin 2017, les avocats du demandeur ne s'y étant pas opposés ;

Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;

Vu les conclusions de Me Cormier avocat au barreau de Lyon et de Me Reviron avocat au barreau d'Aix-en-Provence représentant M. X... ;

Vu les conclusions de l'agent judiciaire de l'État ;

Vu les conclusions du procureur général près la Cour de cassation ;

Vu les conclusions en réponse de M. X... ;

Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à ses avocats, à l'agent judiciaire de l'Etat et à son avocat, un mois avant l'audience ;

Attendu que M. X... ne comparaît pas personnellement ; qu'il est représenté à l'audience par Me Cormier et Me Reviron conformément aux dispositions de l'article R. 40-5 du code de procédure pénale ;

Et, sur le rapport de Mme le conseiller Moreau, les observations de Me Cormier et Me Reviron, avocats représentant le demandeur M. X... et de Me Lécuyer, avocat représentant l'agent judiciaire de l'Etat, les conclusions de Mme l'avocat général Le Dimna, les avocats du demandeur ayant eu la parole en dernier ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;

LA COMMISSION NATIONALE DE REPARATION DES DETENTIONS,

Attendu que M. Hicham X..., né le 21 juin 1984 à Denain (Nord), déjà condamné, célibataire, a été mis en examen et placé en détention provisoire, le 6 mai 2010, par un juge d'instruction au tribunal de Lyon, des chefs d'assassinat et tentative de ce crime ; qu'acquitté par arrêt de la cour d'assises du Rhône le 16 juin 2013, il a été remis en liberté ; que cet acquittement, confirmé par arrêt du 20 novembre 2015 de la cour d'assises de la Loire, est devenu définitif ;

Attendu qu'en réparation du préjudice subi à raison de cette détention provisoire d'une durée de 1133 jours, il a saisi le premier président de la cour d'appel de Lyon qui, par ordonnance du 23 novembre 2016, l'a déclaré recevable en sa demande et lui a alloué les sommes de :

- 34 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 3 325,80 euros au titre de la perte de chance de constituer des points retraite,
- 31 814,20 euros au titre de la perte de salaires,
- 10 334 euros en remboursement des frais de défense pénale ;

Attendu que M. X..., qui a formé, 1er décembre 2016, un recours personnel contre cette décision, fait valoir, par un mémoire parvenu le 28 décembre 2016, que le premier président a sous-estimé son préjudice moral dès lors qu'incarcéré à l'âge de 25 ans, il jouissait d'une vie professionnelle et personnelle stable après avoir purgé trois précédentes peines d'emprisonnement ; qu'il expose avoir subi sa détention dans une maison d'arrêt vétuste, éloignée de ses bases familiales, dans laquelle les conditions de vie étaient difficiles ; qu'il souligne encore que le choc carcéral a été aggravé par un sentiment d'injustice, son implication dans la procédure pénale résultant d'une machination policière, ainsi que l'a relevé la cour d'assises d'appel ayant prononcé son acquittement, et par la circonstance qu'il a été privé de toute possibilité de solliciter la contre-expertise d'une expertise vocale ordonnée par le magistrat instructeur, de sorte qu'il sollicite la somme de 223 201 euros en réparation de son préjudice moral ; qu'il évalue son préjudice économique à hauteur de 38 812,64 euros contestant la période de référence, mais non les modalités de calcul, retenues par le premier président pour la détermination de l'indemnité réparatrice ainsi que de celle compensant la perte de points de retraite complémentaire ; que chiffrant ses frais de défense pénale à la somme de 27 270,24 euros, il souligne que ceux induits par les visites en maison d'arrêt sont nécessairement liés au contentieux de la détention ; qu'il demande, en dernier lieu, que les sommes qui lui seront allouées portent intérêt à compter de sa date de libération ;

Que par écritures déposées le 26 janvier 2017, l'Agent judiciaire de l'Etat, qui conclut au rejet du recours, relève que le premier président a justement apprécié le préjudice économique subi par le requérant au titre de la perte de salaire et relève que la preuve d'un lien de causalité entre la liquidation de l'entreprise de l'employeur de M. X... et l'incarcération de ce dernier n'est pas établie ; qu'il indique, quant aux frais de défense pénale, que M. X... ne produit pas d'éléments permettant de rattacher avec certitude les visites en détention de ses avocats au contentieux de la détention ; que, s'agissant des demandes du requérant au titre du préjudice moral, il rappelle son lourd passé carcéral de nature à minorer l'indemnisation et fait valoir que les conditions de détention dégradées ont été prises en compte par le premier président et que c'est sur son propre souhait que l'intéressé, qui, au contraire de ses affirmations, n'était pas dans les liens d'une relation sentimentale stable lors de son incarcération, n'a pas reçu de visite de ses parents ; que le sentiment de n'avoir pu se faire entendre des juges, malgré ses protestations d'innocence, ne découle pas directement de la détention et ne peut dès lors être pris en considération dans l'appréciation du préjudice moral ; que, de même, la manipulation policière alléguée, mais non démontrée, ainsi que le débat sur l'expertise vocale échappent aux prévisions de l'article 149 du code de procédure pénale, se rapportant exclusivement au fond de l'affaire ; qu'enfin, la demande tendant à ce que les sommes allouées portent intérêt légal à compter de la libération doit être écartée ;

Attendu que par conclusions civiles du 31 mars 2017, Mme l'avocat général soutient que le premier président a justement apprécié les préjudices subis par M. X... du fait de sa détention à l'exception des sommes allouées en remboursement des frais de défense pénale ; qu'à cet égard, il souligne que les frais liés aux visites de l'avocat en maison d'arrêt, même fréquentes, et qui sont seuls en cause, peuvent être indemnisés comme étant en rapport direct avec la détention, mais relevant qu'aucune justification particulière n'est donnée au déplacement concomitant de deux avocats le 21 et le 31 mai 2013, les frais facturés par Me Reviron à hauteur de 1 556,24 euros doivent être rejetés ; qu'il constate que la demande de M. X... tendant à ce que les sommes allouées soient assorties d'intérêts à compter de sa libération ne peut qu'être écartée ;

Que dans ses écritures en réplique du 28 avril 2017, le requérant précise :

- que la commission, contrairement aux affirmations de l'Agent judiciaire de l'Etat, indemnise le sentiment d'injustice ;
- que la teneur des échanges entre un avocat et son client étant secrètes, il n'est pas possible de justifier les raisons ayant conduit au déplacement de deux avocats les 21 et 31 mai 2013 ;

SUR CE,

Vu les articles 149 à 150 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée, à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que cette indemnité en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral directement causé par la privation de liberté ;

Sur le préjudice moral

Attendu que l'indemnisation du préjudice moral doit tenir compte de l'âge du requérant lors de l'écrou, du fait qu'il disposait alors d'un contrat de travail à durée indéterminée, de la peine encourue ainsi que d'une détention provisoire de plus de trois années, subie, pour l'essentiel, dans un établissement vétuste dans lequel les conditions de vie étaient difficiles ; qu'en revanche, l'exécution antérieure de plusieurs peines d'emprisonnement, dont une de quatre années, est de nature à minorer le choc carcéral ; que, pour le surplus, M. X... ne rapporte pas la preuve d'une relation sentimentale stable, contemporaine de son incarcération dont celle-ci l'aurait privé, ses déclarations sur ce sujet ayant varié au cours de l'information selon ses interlocuteurs ; que si, sur sa demande, ses parents ne lui ont pas rendu visite en détention, il a reçu, en revanche, des visites régulières de ses frères à la maison d'arrêt ; qu'enfin, ses protestations d'innocence au cours de la procédure pénale comme le sentiment d'injustice éprouvé de n'être pas entendu ne découlent pas directement de la détention et donc ne peuvent être pris en compte dans l'appréciation du préjudice moral lié à celle-ci ;

Qu'en conséquence, l'indemnité réparatrice sera fixée à la somme de 55 000 euros ;

Sur le préjudice économique et la perte de points de retraite complémentaire

Attendu que c'est à juste titre que le premier président a retenu, pour déterminer les indemnités réparant la perte de rémunération et de points de retraite complémentaire, la période écoulée entre la date de l'écrou et la liquidation de l'entreprise dès lors que l'attestation produite par l'employeur, qui ne contient aucun élément économique, ne suffit pas à démontrer un lien de causalité entre cette liquidation et l'incarcération du salarié ; qu'il y a lieu de rejeter de ce chef les demandes de M. X... ;

Sur les frais de défense pénale

Attendu que les honoraires d'avocat, qui ne sont pas limités à un seul conseil dès lors que l'assistance de plusieurs est effective, ne sont toutefois pris en compte au titre du préjudice causé par la détention que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté ; que la nécessité pour l'avocat de s'entretenir avec son client à l'établissement pénitentiaire, faute de pouvoir le faire à son cabinet, n'est directement liée à la détention que par les frais de déplacement qu'elle génère ;

Qu'en l'espèce, les visites en détention facturées sous forme d'honoraires sans indication précise ne sauraient être prises en compte, seuls pouvant être retenus les frais de déplacement d'Aix-en-Provence à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas individualisés dans deux factures par l'un des conseils ;

Que les frais de défense pour un appel interjeté contre une ordonnance de prolongation de détention, datée 29 avril puis du 4 mai 2011 selon les pièces produites mais nécessairement unique, ayant été facturés deux fois pour la même somme les 20 et 26 mai 2011, seule l'une d'elles sera retenue ;

Que le total de la facturation des diligences directement imputables à la détention s'établissant à la somme de 9 113,40 euros, inférieure à celle allouée par le premier président à hauteur de 10 334 euros, cette dernière demeure acquise au requérant en l'absence de recours de l'Agent judiciaire de l'Etat ;

Sur les intérêts légaux

Attendu qu'il résulte, d'une part, des articles R. 40 et R. 40-20 du code de procédure pénale que, seule, la décision d'accorder la réparation en autorise le paiement, d'autre part, de l'article R. 40-1 du même code que le paiement est soumis aux règles de la comptabilité publique, et, comme tel, exclusif des dispositions civiles relatives aux intérêts légaux ; d'où il suit que la demande n'est pas fondée ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Attendu qu'il apparaît conforme à l'équité d'accorder à M. X... une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la commission nationale ;

PAR CES MOTIFS :

ACCUEILLE pour partie le recours de M. X... ;

Lui ALLOUE la somme de 55 000 euros (cinquante cinq mille euros) en réparation de son préjudice moral et celle de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE ses demandes pour le surplus DAR ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 12 septembre 2017 par le président de la commission nationale de réparation des détentions ;

En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.

Le président Le rapporteur
Christian Cadiot Christine Moreau

Le greffier
Rania Boudalia


Synthèse
Formation : Commission reparation detention
Numéro d'arrêt : 6C-RD058
Date de la décision : 12/09/2017
Sens de l'arrêt : Accueil partiel du recours

Analyses

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION - Préjudice - Préjudice matériel - Réparation - Préjudice économique - Frais d'avocat - Limites - Indemnisation des frais de conseil liés au contentieux de la détention - Domaine d'application - Frais de déplacement à l'établissement pénitentiaire

Les honoraires d'avocat ne sont pas limités à un seul conseil dès lors que l'assistance de plusieurs est effective mais ne sont toutefois pris en compte au titre du préjudice causé par la détention que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté. La nécessité, pour l'avocat, de s'entretenir avec son client à l'établissement pénitentiaire, faute de pouvoir le faire à son cabinet, n'est directement liée à la détention que par les frais de déplacement qu'elle génère


Références :

article 149 du code de procédur epénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 23 novembre 2016

Sur l'indemnisation des frais d'avocat liés au contentieux de la détention, à rapprocher :Com. nat. de réparation des détentions, 13 janvier 2015, n° 14 CRD 034, Bull. crim. 2015, n° 2 (rejet), et les arrêts cités


Publications
Proposition de citation : Cass. Commission reparation detention, 12 sep. 2017, pourvoi n°6C-RD058, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Cadiot
Avocat général : Mme Le Dimna
Rapporteur ?: Mme Moreau
Avocat(s) : Me Cormier, Me Reviron, Me Lécuyer

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:6C.RD058
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