LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Jean-François Paget,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 9 juin 2016, qui, pour infraction à la législation sur les contributions indirectes et omission de tenir une comptabilité matière, l'a condamnée à des pénalités fiscales et au paiement des droits fraudés ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 juin 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général VALAT ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, 302 D bis du code général des impôts, 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 27 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 34 et 37 de la Constitution, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, du 4 novembre 1950, 112-1 du code pénal, 1 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation du principe de légalité des délits et des peines, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Jean-François Paget coupable des faits d'exercice irrégulier de l'activité d'utilisateur d'alcool exonéré de droits d'accises et l'a condamnée au paiement d'une amende de 400 euros, d'une somme de 4 600 euros à titre de pénalité fiscale et d'une somme de 14 078 euros au titre des droits fraudés ;
"aux motifs que, sur l'exonération en vertu de l'article 27 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012 ; ainsi qu'il l'a été rappelé plus haut, la directive communautaire du 19 octobre 1992 posant le principe de la taxation de l'alcool pur prévoit des exonérations pour l'utilisation de l'alcool à des fins médicales dans les hôpitaux ainsi que les pharmacies, directive transposée par l'ordonnance du 29 août 2001, qui crée dans le code général des impôts un article 302 D bis g prévoyant une exonération à cette taxation pour les alcools utilisés "à des fins médicales ou pharmaceutiques dans les hôpitaux ou établissements similaires ainsi que dans les pharmacies" ; […] que cet article 302 D bis g a été modifié par l'article 27 de la loi n° 2012-354 de finances rectificative pour 2012 du 14 mars 2012 au terme duquel l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine est exonéré dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration, cette disposition ayant un effet rétroactif au 31 mars 2002 ; que le contingent annuel n'a jamais été fixé en raison selon l'administration des douanes et droits indirects de l'incompatibilité de cet article 27 de la loi du 14 mars 2012 avec l'article 27 de la directive communautaire du 19 octobre 1992 ; […] que la loi de finance rectificative pour 2011 avait apporté une modification similaire au code général des impôts à celle introduite par la loi de finances pour 2012, mais le conseil constitutionnel dans une décision du 28 décembre 2011 a déclaré l'article en cause contraire à la Constitution car l'ajout apporté par le législateur "élargit le champ de l'exonération......en prévoyant une exonération supplémentaire et nouvelle" ; […] que suite à la publication de l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012, une procédure d'infraction a été initiée par la commission européenne à l'encontre de la France enjoignant à ce pays de modifier l'article 27 précité en raison de son incompatibilité avec le régime d'exonération des droits d'accise prévu par la directive communautaire du 19 octobre 1992 ; que suite à cette procédure d'infraction la loi de finance rectificative pour 2014 du 29 décembre 2014, a rétabli l'article 302 D bis dans sa rédaction initiale et a abrogé l'article 27 de la loi de finances rectificative pour 2012 du 14 mars 2012 ; […] que dans ces circonstances la société Jean-François Paget, qui est poursuivie pour des faits ayant eu lieu en 2008, 2009, 2010 et 2011, ne saurait prétendre bénéficier de l'exonération de l'article 27 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012, car d'une part, aucun contingent annuel n'a été fixé par l'administration, si bien que lors des débats parlementaires de la loi du 29 décembre 2014 il a été constaté qu'en pratique la modification législative apportée par l'article 27 de la loi du 14 mars 2012 n'était pas applicable, et d'autre part, elle ne peut invoquer une disposition législative contraire à une disposition communautaire, norme supérieure, d'autant plus que l'exonération invoquée n'existait pas au moment des faits litigieux ; qu'ainsi les allégations de la demanderesse, selon laquelle l'exonération prévue par l'article 302 D bis du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur durant les années 2008 à 2011 lui est applicable, n'est pas fondée ; […] que l'arrêt rendu le 3 février 2016 par la chambre criminelle de la Cour de cassation ne présente aucun intérêt dans la solution du litige, puisque la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait été censurée pour avoir appliqué directement les dispositions d'une directive communautaire à l'encontre des prévenus, alors qu'en l'espèce la culpabilité de la société Jean-François Paget, après que l'application de l'article 27 de la loi 2012-354 du 14 mars 2012 ait été écartée, est fondée sur l'article 302 D bis g du code général des impôts tant dans sa rédaction au moment des faits qu'actuellement ;
"1°) alors que l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 a exonéré des droits mentionnés aux articles 302 B et suivants du code général des impôts, l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine entre le 31 mars 2002 et le 12 mai 2011, dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration au titre du g du II de l'article 302 D bis dudit code ; que cependant, la cour d'appel a condamné la pharmacie à une amende, à une pénalité fiscale et au paiement du montant des droits prétendument fraudés en raison de l'absence de versement de droits d'accises pour de l'alcool vendu entre avril 2008 et avril 2011 ; qu'en statuant ainsi bien que, par application de l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, aucun droit ne fût dû, la cour a violé les textes susvisés ;
"2°) alors qu'il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne (notamment CJCE, 26 février 1986, Marshall, aff. 152/84) qu'une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre ; qu'en particulier, dans le contexte spécifique d'une situation où une directive est invoquée à l'encontre d'un particulier par les autorités d'un Etat membre dans le cadre de procédures pénales, la cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'une directive ne peut pas avoir comme effet, par elle-même et indépendamment d'une loi prise pour sa mise en oeuvre, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions (notamment CJCE, 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen BV, aff. 80/86) ; que cependant, pour condamner la pharmacie à une amende, à une pénalité fiscale et au paiement du montant des droits prétendument fraudés, la cour d'appel a écarté l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 au motif que la pharmacie ne pouvait pas « invoquer une disposition législative contraire à une disposition communautaire, norme supérieure », en l'occurrence l'article 27 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ; que lorsque le législateur adopte une loi ayant pour effet d'abroger rétroactivement une incrimination, manifestant ainsi l'absence de nécessité d'une sanction, cette abrogation ne peut être remise en cause par la carence de l'administration à fixer les règles d'application de la loi ; que le législateur, afin de mettre rétroactivement un terme à toute sanction relative au défaut de paiement des droits d'accises sur l'alcool dans les pharmacies, a, par l'article 27 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, exonéré de ces droits, l'alcool pur acquis par les pharmaciens d'officine entre le 31 mars 2002 et le 12 mai 2011, dans la limite d'un contingent annuel fixé par l'administration ; qu'en retenant cependant que la pharmacie ne pouvait bénéficier de cette exonération en raison de l'absence de fixation du contingent annuel par l'administration, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 112-1 du code pénal ;
Attendu qu'il doit être fait application au prévenu de la loi la plus favorable, lorsque, postérieurement à une infraction commise sous l'empire d'une première loi, est entrée en vigueur une deuxième loi d'incrimination moins sévère qui est ensuite remplacée par une troisième disposition plus sévère ;
Attendu que, pour écarter l'application de l'article 302 D bis II g du code général des impôts issu de l'article 27 de la loi du 14 mars 2012 qui a prévu rétroactivement entre le 31 mars 2002 et le 12 mai 2011, une exonération des droits sur l'alcool vendu en pharmacie à hauteur d'un contingent annuel fixé par un décret à venir, la cour d'appel a retenu que cette disposition ne pouvait trouver application car, d'une part, elle n'était jamais entrée en vigueur en raison de l'absence de définition d'un contingent par l'administration des douanes et d'autre part, elle était incompatible avec la Directive européenne de 1992 ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'article 27 de la loi du 14 mars 2012, entré en vigueur, conformément à l'article 1er du code civil, le lendemain de sa publication, nonobstant le fait que le décret d'application, à la publication duquel il n'était pas expressément subordonné et qui constituait une simple modalité du contingent à fixer par l'Administration, n'a pas été pris, a prévu qu'étaient exonérés de droits, non plus seulement les alcools utilisés à des fins médicales ou pharmaceutiques dans les pharmacies, mais aussi l'alcool pur acquis par les pharmaciens, la cour d'appel, qui , par ailleurs, ne pouvait faire produire à une directive un effet direct à l'encontre du prévenu, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que par application de l'article 27 de la loi du 14 mars 2012, aucun droit n'était dû ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 9 juin 2016, mais en ses dispositions relatives à la condamnation pour infraction aux contributions indirectes, seules les dispositions relatives à l'omission de tenir une comptabilité matière étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juillet deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.