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08/06/2017 | FRANCE | N°15-24869

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 08 juin 2017, 15-24869


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'obligation pour le juge ne pas dénaturer les documents de la cause ;

Attendu selon l'arrêt attaqué, que Mme X...épouse Y..., engagée par la société Almexama Kashmeer le 1er septembre 2006 en qualité de Voyageur Représentant Placier exclusif, a été licenciée le 14 mai 2011, pour détournement d'essence, manque de motivation et désintérêt dans le travail, primauté des convenances personnelles sur les intérêts de la société, effondrement des résultats ; qu'ell

e a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la rupture de son contrat d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu l'obligation pour le juge ne pas dénaturer les documents de la cause ;

Attendu selon l'arrêt attaqué, que Mme X...épouse Y..., engagée par la société Almexama Kashmeer le 1er septembre 2006 en qualité de Voyageur Représentant Placier exclusif, a été licenciée le 14 mai 2011, pour détournement d'essence, manque de motivation et désintérêt dans le travail, primauté des convenances personnelles sur les intérêts de la société, effondrement des résultats ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de la rupture de son contrat de travail ;

Attendu que pour décider que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave, l'arrêt retient que la société n'invoquait pas dans la lettre de licenciement la nécessité et le motif de procéder immédiatement à la rupture des relations contractuelles de travail et que le licenciement devait être en conséquence abordé sous la qualification d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

Qu'en statuant ainsi alors que la lettre de licenciement comportait en objet " notification de licenciement pour faute grave " et mentionnait qu'à " réception de la présente lettre ou à la date de sa première présentation, vous serez libre de tout engagement à notre égard ", la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Almexama à payer à Mme X... épouse Y..., les sommes de 7 653, 21 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 765, 32 euros pour les congés payés, l'arrêt rendu le 3 juillet 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne Mme X..., épouse Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Almexama.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement de Mme Y... fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave et d'avoir en conséquence condamné la société ALMEXAMA à payer à celle-ci l'indemnité de préavis et les congés payés y afférents ;

Aux motifs que « En l'espèce, les motifs pour licencier sont mixtes. D'une part, le licenciement est de nature disciplinaire en ce qu'il prétend sanctionner des fautes, à savoir des vols d'essence et, d'autre part, il est motivé par une insuffisance professionnelle caractérisée par une chute des résultats, ce qui ressortit de la mauvaise exécution contractuelle.

L'insuffisance de résultats ne justifie le licenciement que si elle résulte d'une insuffisance professionnelle ou d'une faute du salarié ;
l'insuffisance professionnelle ne peut relever de la faute grave ;

En tout état de cause, force est de constater en l'espèce que la société ALMEXAMA n'invoque pas dans ce courrier la nécessité et le motif de procéder immédiatement à la rupture des relations contractuelles de travail ;

Le licenciement doit être en conséquence abordé sous la qualification d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse » ;

Alors qu'il résulte de l'article L. 1232-6 du code du travail que, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception et que cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; qu'il appartient au juge de qualifier les faits invoqués dans cette lettre de licenciement ; qu'en affirmant, en l'espèce, que le licenciement de la salariée ne peut être fondé que sur une cause réelle et sérieuse, et non sur une faute grave, après avoir relevé que la lettre de licenciement ne mentionne pas la nécessité et le motif de procéder immédiatement à la rupture des ruptures du contrat de travail, quand cette lettre énonçait pourtant que la rupture du contrat prenait effet à la date de notification de ce licenciement, ce dont il résultait que l'employeur refusait à la salariée l'exécution du préavis et entendait donc se prévaloir de sa faute grave, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Alors, en tout état de cause, qu'il est fait obligation aux juges de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement mentionne de manière claire et précise, en objet, « notification de licenciement pour faute grave », de sorte qu'en retenant que l'employeur n'invoque pas dans ce courrier la nécessité et le motif de procéder immédiatement à la rupture des relations contractuelles de travail pour en déduire que le licenciement ne peut pas être fondé sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse, la Cour d'appel a dénaturé ce document en violation du principe susvisé, ensemble l'article 1134 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement de Mme Y... fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave et d'avoir en conséquence condamné la société ALMEXAMA à payer à celle-ci l'indemnité de préavis et les congés payés y afférents ;

Aux motifs que « Sur le fond, Mme Y... conteste toute attitude déloyale de sa part ; relevant que les détournements qui lui sont imputés portent sur quelques litres, elle soutient que toutes ses explications antérieures ont été validées par l'employeur qui n'avait pas donné suite à ses premières interrogations qui n'avaient été suivies d'aucune sanction ;

Elle explique ensuite que, renseignements pris, il est avéré que la capacité théorique du réservoir (45 litres) n'est indicative et qu'elle a pu vérifier et faire vérifier par huissier que celui du véhicule de son mari, une Peugeot 206 dépassait de plus de cinq litres la capacité certifiée par la Direction de la société ;

Cependant un tel débat technique n'a pas d'incidence réelle dès lors qu'il ne découle pas d'une mesure d'expertise complète portant sur le véhicule Polo concerné ;

Surtout, ce débat occulte la réalité des faits, s'agissant du comportement global de Mme Y... et des interrogations légitimes qu'il soulève ;

Force est de constater en effet que Mme Y... a, dans l'usage de sa carte d'essence, multiplié les incidents suscitant des interrogations et suspicions de la part de son employeur ; les réponses qu'elle a apportées ont, ainsi que le souligne ce dernier, varié, et ce de manière peu convaincante ;

Il est en premier lieu remarquable que Mme Y... ait été en permanence contrainte, malgré sa peur affichée de ne pas tomber en panne, de faire un plein d'essence au minimum de son réservoir, ce qui implique que la limite indiquée par l'avertisseur était constamment dépassée au risque de ne pas pouvoir atteindre une station de la marque TOTAL – ou tout autre station ;

S'agissant ensuite des premiers incidents de novembre 2009, ont été en cause une double erreur sur la nature (gas oil) et la quantité du carburant que Mme Y... a, dans un courrier du 24 novembre, expliquée par une faute du pompiste qui se serait trompé de pompe ;

S'en est suivi un deuxième incident à Chamonix, toujours dû à une erreur de pompiste : Mme Y... a, de ce fait, selon ses dires, fait établir « un papier d'erreur », provoquant ainsi « une énorme queue à la caisse » mais elle a jeté cette pièce, comme elle explique singulièrement le faire pour tous les autres tickets ; se pose naturellement, outre la coïncidence malheureuse et répétée d'avoir été servie par du personnel, en outre particulièrement incompétent, de l'intérêt de se séparer d'éléments de contrôle fiables, et spécifiquement dès lors que, au prix d'un incident, Mme Y... prétendait avoir obtenu la preuve d'une erreur ;

Mme Y... ne saurait affirmer que les explications qu'elle a ainsi fournies à l'époque « ont été parfaitement acceptées par la société »
qui ne l'a pas sanctionnée ni mise en garde : si aucune réponse n'a en effet été apportée, l'employeur était libre de juger de la crédibilité de ces versions des faits tout en ne donnant pas suite dans l'espoir qu'il s'agissait d'incidents isolés ;

Doit être relevé que, à cette époque, Mme Y... ne donnait pas d'autres explications qu'une erreur de pompiste ;

Dès lors que ce phénomène s'est reproduit en avril 2010, la réponse de Mme Y... a été la suivante : « pour les prélèvements, il m'arrive d'être en réserve critique, d'où des montants qui peuvent dépasser d'un litre ou deux les 45 l mentionnés » ; cette réponse n'en est pas pour autant cohérente dès lors que ce qui constitue problème est de rouler jusqu'à annonce de la réserve, non de tenter ensuite de dépasser la capacité maximum du réservoir ;

A l'issue de son congé maternité, Mme Y... a de nouveau été interpellée sur l'importance de ses pleins ; elle a alors invoqué une explication nouvelle, tenant à l'usage d'un jerricane, qu'elle a très peu utilisé et dont la présence a été rendue nécessaire du fait de plusieurs pannes subies sur le véhicule Polo : climatiseur qui a dû être changé intégralement en août 2009, fuite d'eau et panne en Suisse le 9 février 2011 ;

Elle explique ainsi que, « s'agissant d'un petit véhicule, de plus de dix ans, avec plus de 230. 000 km au compteur, (ces) pannées … l'ont poussée à prendre la décision de se munir d'un jerricane à l'intérieur de sa voiture » ;

Elle mentionne qu'en Suisse, son véhicule s'est arrêté de manière brutale à la sortie d'un tunnel, hors secteur, « dans un pays étranger » et que, après « cette expérience, un peu traumatisante », « elle a préféré se rassurer et emporter un jerricane dans sa voiture, en particulier quand elle était contrainte de sortir de son secteur habituel » ;

Force est cependant de constater qu'il est difficile de comprendre en quoi la présence de cet objet, rempli de carburant, puisse avoir un lien et une quelconque utilité en regard d'une panne de climatiseur ou d'une fuite d'eau ; que la mention de la Suisse, pays certes « étranger » mais hautement développé, ne saurait constituer un élément pertinent dans un tel débat ;

Il s'évince de ce qui précède qu'en réalité, confrontée à des interrogations concrètes sur l'usage de sa carte de carburant, Mme Y... n'a jamais su apporter de réponses crédibles et que, tout au contraire, ses explications successives ne font que confirmer ce manquement à son obligation de rendre compte de l'usage de cet avantage ; le débat qu'elle entend initier par projection en référence au véhicule de son mari, sur la capacité d'un réservoir, n'a de ce fait aucune portée réelle au regard des faits précis qui lui sont opposés ;

Sans qu'il y ait lieu d'aborder les autres griefs, le licenciement est en conséquence validé de ce chef » ;

Alors que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que constitue une telle faute l'utilisation abusive, à des fins personnelles, par le salarié de la carte mise à sa disposition par l'employeur et destinée à l'acquisition de carburant pour son véhicule de fonction ; qu'en jugeant, en l'espèce, ce fait établi mais constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement et non d'une faute grave, la Cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15-24869
Date de la décision : 08/06/2017
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 03 juillet 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 08 jui. 2017, pourvoi n°15-24869


Composition du Tribunal
Président : Mme Vallée (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:15.24869
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