LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 26 novembre 2015), qu'en 1981, M. X...a donné à bail commercial à la société Joseph Y... et compagnie le hall d'entrée, la salle de cinéma et l'appartement à la suite situés au rez-de-chaussée et au fond d'un immeuble ; que, par acte des 16 et 23 décembre 1982, il a donné à bail commercial à la société Café cinéma du grand balcon (société SCGB) les autres locaux dépendant du même immeuble, de la cave au quatrième étage, pour l'exercice de tous commerces et notamment pour l'exploitation de son fonds de commerce de café, restaurant, hôtel ; que, le 15 juillet 1986, la SCI du Val-de-Saire, devenue propriétaire de l'entier immeuble, a consenti à la société Nouvelle du central cinéma (société SNCC) un bail à construire portant sur l'ensemble des locaux de l'immeuble, les parties à cet acte s'obligeant à consentir conjointement une sous-location à titre commercial à la société SCGB sur une surface de 15 mètres carrés à prendre dans l'immeuble ; que, le 4 décembre 1986, la société SCGB a donné en location-gérance à la société SNCC son fonds de commerce de café limonadier exploité dans l'immeuble ; que, le 30 juillet 1991, à l'occasion d'un plan de cession de la société SNCC, placée en redressement judiciaire, la société Rennaise de diffusion cinématographique (Soredic) a repris l'exploitation du fonds de commerce de cinéma ; qu'à compter du 1er janvier 2006, la commune de Cherbourg venant aux droits de la société Soredic a donné les locaux à usage de cinéma, à bail commercial, à la société Objectif cinémascope ; que la société SCGB, qui a obtenu, par un arrêt devenu irrévocable du 3 juillet 2008, la démolition d'un mur l'empêchant d'accéder à l'espace réservé à l'exploitation du snack-bar et la condamnation de la société Soredic au paiement d'indemnités d'occupation, a assigné la société Objectif cinémascope et la commune de Cherbourg en indemnisation de l'occupation illégale des lieux pour les périodes postérieures et en restitution sous astreinte des locaux indûment occupés, incluant l'intégralité des lieux, tels que décrits dans le bail des 16 et 23 décembre 1982 ;
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société Café cinéma du grand balcon fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de la société CCGB et de l'en débouter ;
Mais attendu qu'ayant retenu que, si aucun contrat de sous-location n'avait été signé en exécution de la clause du bail à construction, la gérance libre de son fonds de commerce de café-limonadier que la société SCGB avait consentie à la société SNCC attestait de la poursuite du bail, support de la location gérance et la finalité du bail à construction et le contenu de la clause prévoyant la sous-location de 15 m ² à la société SCGB établissaient qu'une fois la restructuration réalisée et l'immeuble transformé en cinémas, l'exploitation de cette société se limitait à l'activité de snack-bar sur la superficie circonscrite par le bail à construction, la cour d'appel a pu en déduire que, si le bail initial s'était poursuivi, c'était aux conditions prévues dans l'acte du 15 juillet 1986, soit sur une superficie de 15 m ² pour l'exploitation d'une activité de snack-bar ou de café limonadier, objet de la location gérance consentie par la société SCGB à la société SNCC ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société Café cinéma du grand balcon fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de dommages-intérêts ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Café cinéma du grand balcon était seule responsable de la situation procédurale, que la proximité de représentants légaux entre les sociétés liées par le bail et les sociétés signataires du bail à construire et signataire du contrat de location gérance était exclusive d'une méconnaissance des conséquences des contrats successifs, la cour d'appel, sans méconnaître le droit d'agir en justice, a pu retenir que le nouvel engagement d'une procédure, en contradiction avec les actes passés dont elle n'ignorait rien, devait être considéré comme fautif caractérisant une faute constitutive d'un abus du droit d'agir en justice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Café cinéma du grand balcon aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Café cinéma du grand balcon, la condamne à verser 2 000 euros à la commune de Cherbourg, 2 000 euros à la société Soredic et 2 000 euros à la société Objectif cinémascope ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour la société Café cinéma du grand balcon
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 28 février 2014 par le tribunal de commerce de Cherbourg ayant déclaré irrecevable l'action de la société CCGB et l'en ayant déboutée ;
Aux motifs qu'il résulte de l'arrêt du 3 juillet 2008 de la cour de Caen, ayant autorité de la chose jugée notamment à l'égard de la société Soredic, de la société Objectif Cinémascope et de la Ville de Cherbourg, que le contrat de bail conclu par la société CCGB en 1982, de la cave au quatrième étage de l'immeuble du 51 rue Maréchal Foch à Cherbourg, n'a pas été résilié et s'est poursuivi ; qu'ainsi il a été définitivement jugé à l'égard de toutes les parties en cause que l'objet et l'assiette du bail de 1982 ont été modifiés sans pour autant disparaître ;
Alors que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, ce dernier énonçant sa décision sous forme de dispositif ; qu'en l'espèce, si l'arrêt du 3 juillet 2008 de la cour de Caen a, dans ses motifs, jugé que « l'assiette du bail initial (…) a été modifiée » (p. 6, § 9), il s'est borné, dans son dispositif, à ordonner des mesures de contrainte à l'égard de la société Rennaise de diffusion Cinématographique et, par voie de confirmation du jugement du 24 avril 2006, à faire de même à l'égard de la société Soredic ; qu'en retenant dès lors que l'arrêt susvisé aurait autorité de la chose jugée en ce qu'il a jugé que l'objet et l'assiette du bail de 1982 de la société CCGB avait été modifiés, la cour a violé l'article 1351 du code civil.
DEUXIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 28 février 2014 par le tribunal de commerce de Cherbourg ayant déclaré irrecevable l'action de la société CCGB et l'en ayant déboutée ;
Aux motifs qu'aucun contrat de sous-location n'a été signé en exécution de la clause prévoyant la gérance libre du fonds de commerce de café-limonadier de la société CCGB ; que, s'agissant de l'objet et de l'assiette du bail de la société CCGB, il est acquis que, le 15 juillet 1986, la société Val de Saire a consenti à la société NCC, exploitant le fonds de commerce de cinéma qui lui avait été cédé, au rez-de-chaussée et au fond
de l'immeuble du 51 et 51 bis ru Foch à Cherbourg, un bail à construction, tandis que la société CCGB, bénéficiant d'un bail " tous commerces ", exploitait un fonds de commerce de bar, hôtel-restaurant dans les autres locaux de l'immeuble ; que ce bail à construction visait à restructurer tout l'immeuble pour y créer des salles de cinéma devant être exploitées par la société NCC ; que les parties à ce bail à construction sont convenues que « les locaux (…) sont composés de l'ensemble des locaux appartenant à la SCI du Val de Saire (…) » ; que, « toutefois, et à titre de condition essentielle et déterminante des présentes, le preneur s'oblige à consentir conjointement avec la SCI du Val de Saire une sous-location à titre commercial d'une durée de 12 années, renouvelables par périodes de 9 ans (…) à la SARL Café du Grand Balcon (…) d'une surface de 15 mètres carrés à prendre dans l'immeuble à l'emplacement de l'ancien couloir du cinéma Central (…) » ; que tant la finalité de ce bail que le contenu de cette clause prouvent qu'une fois la restructuration opérée et l'immeuble transformé, la société CCGB ne pouvait et ne devait plus y exploiter le commerce qu'elle y exploitait jusqu'alors sur les quatre niveaux de l'immeuble, son exploitation se limitant désormais à celle d'un snack-bar sur la superficie de 15 m ² circonscrite par le bail de construction ; qu'ainsi le bail de la société CCGB ne s'est pas poursuivi selon ses conditions initiales, sauf à méconnaitre les conséquences matérielles de la restructuration de l'immeuble et ses incidences sur l'objet et l'assiette du bail dont rendent les actes précédemment analysés et sauf à nier l'existence du bail consenti sur les mêmes locaux pour y exploiter un fonds de commerce de cinq cinémas à la société NCC aux droits de laquelle viennent la société Soredic et la société Objectif Cinémascope ; que si le bail s'est poursuivi entre la société CCGB et la société Val de Saire, aux droits de laquelle viennent la société Soredic et la Ville de Cherbourg, c'est uniquement aux conditions prévues par l'acte du 15 juillet 1986, sur une superficie de 15 m ² ; qu'en ce qu'il juge que le bail initial signé les 16 et 23 décembre 1982 s'est poursuivi tout en retenant la même modification de son objet et de son assiette l'arrêt rendu le 3 juillet 2008 par cette cour dans les relations Soredic-CCGB ne dit pas autre chose ; que la société CCGB ne justifie pas avoir payé la contrepartie de la mise à disposition de l'immeuble par le bailleur depuis la restructuration de 1986 ; qu'il est ainsi établi que la société CCGB n'est plus locataire que d'une surface de 15 m ², les autres parties ne faisant plus partie du bail ; que pour avoir occupé illégalement ces 15 m ² la société Soredic a été condamnée à payer à la société CCGB la somme forfaitaire de 57 654 euros et une indemnité mensuelle d'occupation de 915 euros jusqu'à libération totale des lieux par jugement du 22 mars 2002, confirmé par arrêt du 23 octobre 2003 ; que la société CCGB indique en ses dernières écritures que sa revendication ne porte pas sur les 15 m mais sur les autres locaux ; que, cependant, elle n'a pas aucun droit sur eux, ce qui ôte tout fondement à sa demande ;
1° Alors que la société CCGB a conclu avec le propriétaire de l'immeuble, en 1962, un contrat de bail portant sur un bar, une salle de restaurant, une cuisine, des toilettes en rez-de-chaussée, outre quatre étages et deux caves ; que ce contrat de bail, ainsi que l'a admis la cour, s'est poursuivi, liant la société CCGB aux propriétaires successifs ; que le contrat de bail à construction conclu en 1986 entre la société Val de Saire et la société NCC, et portant sur tout l'immeuble, a prévu, comme condition « essentielle et déterminante des présentes », la conclusion d'un contrat de sous-location commercial avec la société CCGB, réduisant l'assiette de son bail à une surface de 15 m ² ; qu'en retenant dès lors que le contrat de bail à construction, auquel elle était étrangère, avait ôté tout droit de la société CCGB sur la surface définie par son propre contrat de bail, hormis sur les 15 m ² qui lui étaient arbitrairement laissés, après avoir pourtant constaté qu'elle n'avait jamais conclu aucun contrat de souslocation sur cette surface, ce dont il résultait qu'elle n'avait jamais conventionnellement consenti à ce que l'assiette de son bail fût substantiellement réduite et que celui-ci n'avait pas été modifiée, la cour a violé les articles 1134 et 1165 du code civil ;
2° Alors qu'en refusant dès lors tout droit d'agir à la société CCGB contre la société Objectif Cinémascope pour son occupation illégale de locaux qui demeuraient dans le champ de l'assiette de son contrat de bail de 1982, non modifié par aucun acte ultérieur, la cour a violé l'article 1382 du code civil ;
3° Alors que pour justifier encore sa décision de rejeter tout droit de la société CCGB à agir contre la société Objectif Cinémascope, en réparation de son occupation des lieux entrant dans le champ du contrat de bail de 1982, la cour a retenu qu'elle ne justifiait pas du paiement des loyers pour les locaux correspondants depuis la restructuration de l'immeuble, issue du contrat de bail à construction ; qu'en se déterminant ainsi quand, d'une part, cet acte n'a eu aucune incidence sur le contenu du contrat de bail de 1982, en particulier sur la définition de son assiette, et quand, d'autre part, la question de savoir si les loyers ont été acquittés ou non n'a aucune incidence directe sur la définition même des lieux loués, la cour, qui s'est ainsi déterminée par des motifs inopérants, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIÈ
ME MOYEN DE CASSATION :
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 28 février 2014 par le tribunal de commerce de Cherbourg dans toutes ses dispositions, à l'exception de celles déboutant la société Objectif Cinémascope de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et, statuant à nouveau sur ce point, d'avoir condamné la société CCGB à payer à la société Objectif Cinémascope la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Aux motifs qu'ayant le même représentant légal que la SCI du Val de Saire en la personne de M. Y... dont l'épouse représentait la société NCC, la société CCGB était à même de mesurer l'incidence de l'opération de restructuration de l'immeuble menée par la SCI et la société NCC sur ses droits de locataire et ne pouvait se méprendre sur l'étendue de ces droits après restructuration de l'immeuble ; qu'en assignant la société Objectif Cinémascope devant le tribunal de commerce de Cherbourg aux fins de voir juger que qu'elle bénéficiait toujours d'un bail commercial sur la totalité de l'immeuble situé au 31 rue Maréchal Foch à Cherbourg, en contradiction avec les actes passés dont elle n'ignorait rien et qui impliquaient la réduction de l'assiette du bail initial à 15 m ² et la modification de son objet par l'abandon de l'activité d'hôtel restaurant au profit de celle de café limonadier, la société CCGB a agi abusivement à l'égard de la société Objectif Cinémascope, de la société Soredic et de la Ville de Cherbourg, qu'elle a contraint leur ayant droit à appeler en garantie ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société CCGB à payer à la société Soredic et à la Ville de Cherbourg, chacune la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; qu'il doit être réformé en ce qu'il a débouté la société Objectif Cinémascope de la demande présentée à ce titre, et la société CCGB doit être condamnée à payer à cette dernière la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
1° Alors que la cassation à intervenir sur les premier et deuxième moyens entraînera, par voie de conséquence, par application de l'article 625 alinéa 2 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a prononcé la condamnation de la société CCGB pour procédure abusive puisque, par hypothèse, cette cassation impliquera la reconnaissance du bien-fondé de sa contestation ;
2° Alors, en toute hypothèse, que le droit d'agir en justice ne doit pas, en principe, être restreint ; que son exercice ne peut être sanctionné que si des circonstances particulières ont fait dégénérer ce droit en abus ; qu'en l'espèce, pour sanctionner la société CCGB en la condamnant au paiement de différentes sommes à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, la cour s'est bornée à retenir qu'elle ne pouvait pas ignorer que la société Val de Saire avait conclu en 1986 avec la société NCC un contrat de bail à construction qui avait réduit l'assiette de son bail à une surface de 15 m ² ; que, cependant, la société CCGB a toujours nié que ce contrat de 1986, conclu par des tiers et qui avait d'ailleurs prévu la nécessité de lui faire signer un contrat de sous-location portant sur cette surface réduite, qui n'est jamais intervenu, ait pu modifier son propre contrat de bail et l'assiette qui entre dans son objet ; qu'en identifiant ainsi à une faute l'action de la société CCGB tendant à voir reconnaître le bien-fondé de son droit, la cour a violé l'article 1382 du code civil