LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 893 et 894 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que [Q] [K] est décédée le [Date décès 1] 2010 en laissant pour lui succéder son époux, M. [C], avec lequel elle était mariée sous le régime de la séparation de biens, et trois enfants issus d'une précédente union, [G], [X] et [V] [D] (les consorts [D]) ; qu'un litige est né au cours des opérations de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux ;
Attendu que, pour dire que la succession de [Q] [K] doit à M. [C] la somme de 76 224,51 euros (500 000 francs), l'arrêt retient que deux virements ont été effectués d'un compte personnel de M. [C] au nom de [Q] [K], pour l'un d'un montant de 1 940,56 euros (12 729,21 francs), pour l'autre de 74 283,95 euros (487 270,79 francs), lesquels, compte tenu de leur importance, relèvent d'une intention libérale et constituent une donation indirecte ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'encaissement de la somme de 74 283,95 euros sur un compte personnel de [Q] [K] ne ressortait d'aucune pièce comptable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la succession de [Q] [K] est redevable envers M. [C] de la somme de 76 224,51 euros au titre de la révocation de la donation indirecte constituée par les deux virements effectués au profit de [Q] [K] le 12 janvier 1995, l'arrêt rendu le 29 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mmes [G] et [X] [D], et à M. [V] [D] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Mmes [G] et [X] [D], M. [V] [D] et l'Association départementale pour l'éducation et l'insertion, action d'aide aux personnes protégées.
Il est fait grief à l'arrêt, confirmatif de ce chef, d'avoir déclaré la succession de [Q] [K] redevable envers M. [C] de la somme de 76 224,51 euros (500 000 francs) au titre de la révocation de la donation indirecte qui résulterait du total de deux virements d'un montant respectif de 12 791,21 francs et de 487 270,79 francs, effectués le 12 janvier 1995 par M. [C] au profit de [Q] [K] ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « sur la créance de M. [C] sur la somme de 76 224,51 euro (500 000 francs) ; qu'il est constant que le 12 janvier 1995 deux virements ont été effectués d'un compte personnel de M. [C] au nom de Mme [K] pour un montant respectif de 12729,21 francs et 487 270,79 francs ; que l'intitulé de ces virements sur le relevé de compte de M. [C] est « virement en faveur de [C] [Q] » (pièce 5 de M. [C]) ; que M. [C] produit un relevé de compte Codevi personnel de [Q] [K] sur lequel apparaît le virement de 12 791,21 francs (pièce 6) ; qu'en revanche, l'encaissement de la somme de 487 270,79 francs sur un compte personnel de [Q] [K] ne résulte d'aucune pièce comptable ; que c'est par des motifs complets et pertinents qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel, au contraire au vu des nouvelles pièces produites, et que la cour adopte et complète que le premier juge a considéré qu'il s'agissait d'une donation indirecte, et révocable compte tenu de ce qu'elle est antérieure au 1er janvier 2005 ; que le fait que cette révocation n'intervienne qu'après le décès et au cours de la procédure judiciaire ne fait pas obstacle à sa validité ; que la circonstance que [Q] [K] ait été, dès avant le mariage, propriétaire d'un patrimoine immobilier au-delà du bien de [Localité 1] acquis en viager en 1981 et servant de domicile conjugal, ne faisait pas obstacle à ce que M. [C], dans le cadre de sa succession et en présence d'enfants d'un premier lit souhaite la gratifier, eu égard à la modestie de ses revenus fixes (retraite) ; qu'en effet, et bien qu'il soit regrettable que cette explication n'apparaisse qu'en appel, M. [C] expose que, fin 1994, âgé de 70 ans, souhaitant anticiper le règlement de sa succession avec ses trois enfants d'un premier lit, il a, dans le cadre d'un pacte de famille (pièces 17,18 et 19), relatif à un immeuble de rapport (entrepôts) évalué 4 632 000 francs constitué en SCI, organisé la répartition de la pleine propriété, de la nue-propriété et de l'usufruit entre ses enfants et luimême, prévoyant par testament 5/24e de l'usufruit à son épouse ; que de ce fait, cet usufruit n'a pas eu à s'appliquer du fait du pré-décès de l'épouse ; que ce pacte de famille a donné lieu à une donation partage de M. [C] à ses enfants par acte notarié du 30 décembre 1994 ; que le pacte de famille prévoyait que [Q] [K] était bénéficiaire au décès de M. [C] de l'assurance-vie d'un montant de 450 000 francs contractée pour garantir le prêt de 700 000 francs contracté pour effectuer des travaux d'agrandissement de l'immeuble propriété de la SCI Entrepôts [C], ainsi que des intérêts sur ce capital. Il prévoyait également qu'en cas de pré-décès de [Q] [K], M. [C] serait en mesure de désigner d'autres bénéficiaires de son choix ; que M. [C] expose que [Q] [K] ayant finalement préféré percevoir l'intégralité de la somme prévue à l'assurance-vie, intérêts compris, il a résilié celle-ci et lui a versée la somme de 500 000 francs représentant le capital de 450 000 francs et les intérêts perçus depuis deux ans ; que cette explication doit être retenue, [Q] [K] n'ayant d'ailleurs pas signé le pacte de famille du 31 décembre 1994 qui prévoyait qu'elle bénéficiait de l'assurance vie ; que de plus, le virement de 500 000 francs est concomitant à un débit correspondant à un virement en faveur d'un autre compte de M. [C] d'un montant de 680 000 francs qu'il explique par la nécessité dans ce contexte de solder le prêt ; qu'il doit donc bien être considéré qu'il s'agissait là d'une donation de M. [C] à son épouse, que cette donation eu égard à sa date, était révocable ad nutum y compris après le décès de la donataire et que d'ailleurs, cette révocation correspond aux mesures envisagées dans le pacte de famille en cas de pré-décès de [Q] [K] ; que le jugement sera confirmé de ce chef » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : « sur les virements en date du 12 janvier 1995 ; qu'il résulte de l'examen du relevé de compte LIVRET-HORIZON CCSO n°[Compte bancaire 1] de M. [C] en date du 14 janvier 1995 que deux virements ont été effectués le 12 janvier 1995 « en faveur de [C] [Q] » d'un montant de 12 729,21 francs et 487 270,79 francs, soit un montant total de 500 000 francs (76 224,51 euros) ; que cependant, en application de l'article 1315 du code civil, la remise de fonds à une personne est à elle seule insuffisante à fonder le principe d'une créance, en l'absence de tout autre fait de nature à justifier la demande, et notamment l'obligation de restituer la somme reçue ; que les créances entre époux visent à compenser les mouvements de valeurs entre les patrimoines propres de chacun d'eux, c'est-à-dire dont il est résulté l'enrichissement du patrimoine propre de l'un des époux et l'appauvrissement corrélatif du patrimoine propre de son conjoint ; que M. [C] qui produit au soutien de sa demande le seul relevé de compte précité, ne rapporte pas la preuve de l'encaissement effectif de ces sommes au seul profit de [Q] [K], de sorte qu'il n'est pas démontré que ces deux virements ont enrichi son patrimoine propre ; que si les arguments des défendeurs relatifs à ces virements selon lesquels ils pourraient correspondre au prix de vente de deux appartements que les époux [C]-[K] possédaient l'un et l'autre, ne sont pas davantage établis, il sera néanmoins relevé qu'un autre virement d'un montant de 680 000 euros a été effectué depuis le même compte « en faveur de [C] [O] » le 9 janvier 1995, soit trois jours avant les virements litigieux ; que M. [C] ne peut par conséquent prétendre au règlement d'une créance dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial sur ce seul fondement ;
que néanmoins, et comme indiqué par les défendeurs eux-mêmes dans leurs écritures, à défaut de cause et de contrepartie établie à ces deux virements, ils ne peuvent, compte tenu de l'importance de leur montant total, résulter que d'une intention libérale de M. [C] au profit de son épouse et doivent de ce fait être qualifiés de donation indirecte ; qu'en application de l'article 47 III de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, les donations faites entre époux avant le 1er janvier 2005 demeurent révocables dans les conditions prévues par l'article 1096 du code civil dans sa rédaction antérieure à cette date ; qu'ayant été consentie en 1995, la donation indirecte constituée par les deux virements litigieux demeure librement et à tout moment révocable par M. [C] ; qu'il est indifférent pour l'exercice de cette faculté légale que M. [C] n'ait jamais fait état de sa volonté de révocation pendant le mariage et avant le décès de [Q] [K] ; qu'ainsi, l'intention de M. [C] de révoquer cette donation résultant de manière non équivoque des termes de ses dernières conclusions, il y a lieu de considérer qu'il est titulaire d'une créance d'un montant de 76 224,51 euros sur la succession de [Q] [K] au titre de la restitution de la donation constituée par les deux virements effectués à son profit le 12 janvier 1995 et révoquée par lui ; que M. [C] n'ayant pas mentionné sa volonté de révoquer cette donation dans l'assignation introductive d'instance, cette somme produira intérêts au taux légal à compter du présent jugement en application des dispositions de l'article 1153 du code civil » ;
ALORS QU'une donation indirecte suppose l'existence d'un élément matériel lequel consiste en une transmission de valeur du patrimoine du disposant au patrimoine du gratifié ; que s'agissant de virements bancaires, cette transmission de valeur ne s'opère que par l'inscription au crédit d'un compte personnel du prétendu donataire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait retenir l'existence d'une donation indirecte, après avoir constaté, par des motifs propres d'une part, que si « deux virements [avaient] été effectués d'un compte personnel de M. [C] au nom de [Q] [K] pour un montant respectif de 12 729,21 francs et 487 270, 79 francs […], l'encaissement de la somme de 487 270,79 francs sur un compte personnel de [Q] [K] ne résult[ait] d'aucune pièce comptable » (arrêt attaqué p.5, §4 et s.) et, par des motifs adoptés d'autre part, que « M. [C] ne rapport[ait] pas la preuve de l'encaissement effectif des sommes virées au seul profit de [Q] [K], de sorte qu'il n'e[tait] pas démontré que ces deux virements [avaient] enrichi son patrimoine propre » (jugement p.6,§2) sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations et violer les articles 893, 894 et 931 du code civil.