LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1121-1 et L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. [B], engagé le 1er juillet 2007 en qualité de chef comptable par l'association HAD Martinique Les 3S, a été licencié pour faute grave par lettre du 11 juillet 2011 ; que contestant le motif de son licenciement et s'estimant victime d'un harcèlement moral, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ; que par un jugement du 21 juillet 2015, le tribunal de commerce de Fort-de-France a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'association et a désigné M. [P] en qualité d'administrateur judiciaire ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt retient que les termes de la lettre du 27 mai 2011, adressée par le salarié tant à l'employeur qu'aux autorités de tutelle de l'association, outrepassent largement la liberté d'expression de l'intéressé tenu à une obligation de discrétion par ses fonctions et présentent, pour certains (écoutes téléphoniques notamment) un caractère diffamatoire, de nature à discréditer la société auprès des destinataires du dit courrier, ces allégations n'étant d'ailleurs étayées par aucune pièce justificative ;
Qu'en statuant ainsi sans caractériser l'existence, par l'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression dont jouit tout salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit bien fondé le licenciement de M. [B], le déboute de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnités de préavis et de licenciement et le condamne au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 15 juillet 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;
Condamne l'association Had Martinique Les 3 S aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'association Had Martinique Les 3S et condamne celle-ci à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [B]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement fondé et d'AVOIR, en conséquence débouté M. [B] de ses demandes au titre des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE, par courrier du 27 juin 2011, la société prononçait à son encontre [monsieur [B]] une mesure de mise à pied conservatoire : « Nous avons à déplorer votre agissement constitutif d'une faute grave. En effet, le 14 juin 2011, vous m'avez fait parvenir un courrier recommandé daté du 27 mai2011, dont vous aviez adressé le double à : - Mme la directrice générale de l'HAD Martinique les 3 S ; - M. Le directeur de l'agence régionale de santé ; - l'inspection du travail ; - la médecine du travail. Nous tenons à vous faire savoir que nous ne vous reprochons nullement de vous être adressé à l'autorité de tutelle ni aux autres autorités. Cependant les griefs qui vous sont reprochés sont exclusivement ces dénonciations contenues dans votre lettre datée du 27 mai 2011, à savoir : - en votre qualité de chef comptable, vous dîtes détenir des preuves nécessaires et suffisantes sur un certain nombre de dysfonctionnements qui affectent la situation de l'HAD ; - vous dénoncez l'attribution d'indices arbitraires à la directrice administrative financière, le directeur des affaires transversales et deux médecins coordonnateurs ; - vous suspectez des écoutes téléphoniques internes ; - vous dénoncez l'attribution d'une prime à la direction générale égale à 4 fois son salaire du mois de décembre 2009 ; - vous dénoncez l'acquisition d'un nouveau logiciel compta et paye, investissement très coûteux, de l'ordre de 59.000 €, toujours pas opérationnel ; - vous dénoncez l'accumulation de factures dans votre placard faute de pouvoir utiliser le nouveau logiciel ; - vous soutenez que les soldes des organismes payeurs ne sont pas conformes à la réalité ; - vous soutenez l'existence de sommes trop perçues par les libéraux à cause d'une mauvaise organisation dans le système de contrôle des factures ; - vous affirmez un chiffre correspondant au taux de variation du chiffre d'affaires ainsi que les salaires et charges sociales. En effet, ces dénonciations sont la divulgation d'informations et d'éléments pris de manière isolée détenus de par votre fonction qui, sortis de leur contexte laissent penser à des actes anormaux dans notre établissement et de nature à nuire à sa crédibilité. Par ailleurs, elles constituent une violation de l'obligation de discrétion professionnelle qui s'attache aux fonctions que vous exercez dans l'établissement. Enfin certaines d'entre elles constituent des critiques graves contre cet établissement. Il en résulte que les termes de votre lettre excèdent votre droit d'expression et procèdent manifestement de la volonté délibérée de nuire à la direction de l'établissement, dans son autorité vis-à-vis de l'ensemble des autres salariés et dans la qualité de sa gestion. Il est à noter que la fonction de chef comptable que vous occupiez depuis le 19 mars 2007 au sein de notre association (du 19 mars au 30 juin 2007 : mission d'intérim ; contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2007) vous : - étiez le garant de l'application des procédures comptables et fiscales et du respect des délais de clôture des comptes ; - aviez en charge la révision des comptes jusqu'à l'établissement de la liasse fiscale et travailliez en collaboration avec le commissaire aux comptes et l'expert comptable ; - aviez un rôle de conseil auprès de la direction pour laquelle vous avez à réaliser tableaux de synthèse et reporting, outils nécessaires au pilotage stratégique. Malheureusement, les explications recueillies auprès de vous au cours de l'entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation sur les dénonciations et mentionnées dans votre courrier du 27 mai 2011. Du fait de l'extrême gravité de ces dénonciations qui vous sont reprochées et qui constituent une faute grave, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. C'est la raison pour laquelle votre licenciement pour faute grave est prononcé sans indemnité de préavis, sans indemnité de licenciement. Le licenciement prend donc effet dès la première présentation de la présente lettre et met fin à votre mise à pied conservatoire» ; que, sur le licenciement : il ressort des pièces produites que juste après la tenue de l'entretien préalable et seulement 7 jours après l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, (qui constitue l'acte d'engagement de la procédure de licenciement) l'employeur a prononcé une mise à pied conservatoire, dans des termes précis et dénués de toute ambiguïté sur le caractère conservatoire de cette mesure en attendant le prononcé de la mesure de licenciement ; que contrairement à l'appréciation des premiers juges, cette sanction ne constituait pas une sanction disciplinaire invalidant le licenciement ; que sur le bien fondé du licenciement, l'employeur qui envisage de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige ; que la faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que force est de constater que les propos tenus par monsieur [B], tenu à une obligation de discrétion de par ses fonctions, outrepassent largement sa liberté d'expression et présentent, pour certains (écoutes téléphoniques notamment) un caractère diffamatoire, de nature à discréditer la société auprès des destinataires du dit courrier ; que ces allégations ne sont d'ailleurs étayées par aucune pièce justificative ; que ces agissements doivent être considérés comme constitutifs d'une faute grave caractérisée et ils justifiaient le licenciement pour ce motif ; sur les demandes : compte tenu du bien fondé du licenciement pour faute grave, les demandes à titre d'indemnité de préavis, de licenciement, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne pourront prospérer ; que sur la demande pour rupture vexatoire, monsieur [B] ne produit aucune pièce de nature à démontrer l'existence de mesures vexatoires ayant accompagné le licenciement et sa demande sera rejetée ;
1°) ALORS QUE, sauf propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, d'une liberté d'expression qui ne peut justifier son licenciement disciplinaire ; que, pour dire le licenciement pour faute grave justifié, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « les propos tenus par monsieur [B], tenu à une obligation de discrétion de par ses fonctions, outrepassent largement sa liberté d'expression et présentent, pour certains (écoutes téléphoniques notamment) un caractère diffamatoire, de nature à discréditer la société auprès des destinataires du dit courrier » ; qu'en statuant ainsi, sans rappeler les termes du courrier du 27 mai 2011 ni expliquer en quoi ils seraient injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble les article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE, sauf propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, d'une liberté d'expression qui ne peut justifier son licenciement disciplinaire ; qu'en retenant que « les propos tenus par monsieur [B], tenu à une obligation de discrétion de par ses fonctions, outrepassent largement sa liberté d'expression et présentent, pour certains (écoutes téléphoniques notamment) un caractère diffamatoire, de nature à discréditer la société auprès des destinataires du dit courrier », quand les termes de son courrier du 27 mai 2011 n'étaient ni injurieux, ni diffamatoires, ni excessifs, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble les article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS, plus-subsidiairement, QUE la preuve de la faute grave incombe à l'employeur ; qu'en relevant que les faits dénoncés par monsieur [B] ne sont étayés par aucune pièce justificative, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;
4°) ET ALORS, très-subsidiairement, QUE la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'en retenant que les propos tenus par monsieur [B] dans son courrier du 27 mai 2011 rendaient impossible son maintien dans l'entreprise, quand elle constatait que celui-ci avait uniquement été adressé à l'inspecteur du travail, au médecin du travail, à la directrice de l'association et au directeur de l'agence régionale de santé, ce dont il résultait que les propos du salarié n'avaient été divulgués ni au public, ni aux patients et aux autres salariés de l'association, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.