LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. [O] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Mme [Y], assuré auprès de la société GMF ; qu'il les a assignées en indemnisation de ses préjudices ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu que pour condamner Mme [Y] et son assureur à indemniser M. [O] de ses pertes de revenus de la date de l'accident à la date de sa mise à la retraite en janvier 2029, l'arrêt relève que son licenciement est en relation directe de causalité avec l'accident ; qu'il ne peut plus exercer sa profession du fait des séquelles imputables à celui-ci et doit être indemnisé à ce titre, d'autant que, placé en invalidité, il n'a pu trouver l'emploi de bureau qu'il serait apte à exercer ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi M. [O], dont Mme [Y] et son assureur soutenaient qu'il ne subissait aucune perte de revenus consécutive à l'accident et pour lequel l'expert retenait une incapacité temporaire à réévaluer au bout d'un an, serait définitivement dans l'impossibilité de retrouver un emploi de bureau pour lequel elle le reconnaissait apte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu que pour confirmer le jugement ayant indemnisé M. [O] au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt retient qu'il présente des séquelles permanentes liées à la diminution de la force de sa main droite et une diminution de flexion du genou, ainsi qu'un état dysphorique dans le cadre d'un effondrement imputable à l'accident qui ne lui permet pas d'exercer une activité professionnelle, d'autant qu'il se trouve en situation d'invalidité ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui avait déjà indemnisé les pertes de revenus de M. [O] de la date de l'accident à la date de sa retraite, a indemnisé deux fois le même préjudice et violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mme [Y] et son assureur, la GMF à payer à M. [O] la somme totale de 239 931,52 euros, à titre de réparation de son entier préjudice corporel et constate que le recours de la CPAM de l'Allier pourra s'exercer à leur encontre à la hauteur de la somme de 207 128,92 euros pour les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle, l'arrêt rendu le 3 février 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et Mme [Y]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement relativement à la perte des gains professionnels futurs, d'avoir condamné in solidum Mme [Y] et son assureur, la GMF, à payer à M. [O] la somme totale de 239 931,52 euros en réparation de son entier préjudice corporel consécutif à l'accident du 25 mai 2007 et d'avoir constaté que le recours de la CPAM de l'Allier pourrait s'exercer à l'encontre de Mme [Y] et de son assureur à hauteur de la somme de 207 128,92 euros pour les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;
Aux motifs que les pertes de gains professionnels futurs résultaient de la perte de l'emploi ou du changement d'emploi ; que ce préjudice était évalué à partir des revenus antérieurs, généralement le revenu net imposable avant l'accident, en distinguant la période allant de la consolidation à la décision et après la décision ; que l'indemnisation de ce préjudice supposait que la victime de l'accident ait démontré que sa perte d'emploi était la conséquence de l'accident dont le tiers était responsable ; que si, devant le premier juge, M. [O] n'avait pas versé sa lettre de licenciement et les avis du médecin du travail, ce n'était plus le cas en cause d'appel ; qu'en effet, il ressortait très clairement de l'avis du médecin du travail, du 1er juin 2010, que l'appelant avait été victime d'un accident de trajet le 25 mai 2007 et n'avait jamais repris le travail depuis cette date et qu'il était inapte à la reprise de son poste de travail « cuisson » au sein de l'entreprise Goodyear en raison de son incapacité à soulever des charges lourdes, de son impossibilité de maintenir la station debout prolongée et d'effectuer des gestes forcés avec les poignets ; que ce médecin l'estimait uniquement apte à un poste assis ou sans déplacements, par exemple un travail de bureau ; que le second examen du médecin du travail du 18 juin 2010 confirmait cette situation ; que la lettre de licenciement du 29 juillet 2010 rappelait que M. [O] avait été embauché le 1er octobre 2004, qu'il avait été victime d'un accident de trajet le 25 mai 2007 et qu'il n'avait jamais repris son poste depuis cette date, mais aussi qu'il se trouvait dans l'incapacité de le reprendre en raison des deux avis médicaux susvisés et qu'il avait été impossible de lui trouver un emploi correspondant à sa situation d'inaptitude médicalement constatée ; que le sapiteur psychiatre évoquait une décompensation psychiatrique après l'accident se manifestant notamment sur le plan symptomatique par des algies chroniques, une dysphorie mêlant dépressivité, irritabilité et agitation anxieuse dans un contexte d'effondrement narcissique ;
que l'expert judiciaire [R] indiquait que l'appelant n'avait pas d'antécédents psychiatriques avérés avant l'accident et ajoutait que la dysphorie actuelle du blessé inscrite dans le cadre d'un effondrement narcissique imputable à l'accident ne lui permettait pas d'exercer une activité professionnelle, cette incapacité étant à réévaluer ultérieurement ; qu'il était aussi relevé une prise de poids considérable ; que néanmoins, l'apparition d'une fibromyalgie concomitamment à l'accident de la circulation litigieux ne pouvait pas être imputée de manière certaine à cet accident, selon l'expertise du docteur [R] qui n'était pas contredite au moyen d'un élément de même valeur ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il était suffisamment établi que le licenciement de M. [O] était en relation directe de causalité avec l'accident dont il avait été victime le 25 mai 2007 ; qu'en effet, il était indéniable que cet accident l'avait placé dans une situation, physique et psychique, telle qu'il ne pouvait plus exercer son emploi au sein de l'entreprise Goodyear dans son poste d'employé au service « cuisson », peu important à cet égard que la fibromyalgie ne puisse être médicalement imputée à l'accident, car il n'en demeurait pas moins qu'en raison des séquelles imputables à cet accident, M. [O] ne pouvait plus exercer sa profession et devait être indemnisé à ce titre, d'autant que, placé en invalidité, il n'avait pu trouver l'emploi de bureau qu'il serait apte à exercer ; que M. [O] étant né le [Date naissance 1] 1967 et l'accident survenu le 25 mai 2007, la consolidation avait été justement fixée au 22 juillet 2010 par l'expert ; qu'au regard de sa situation actuelle, M. [O] était susceptible de prendre sa retraite à 62 ans en fonction de sa date de naissance et de la législation applicable ; que M. [O] démontrait, par ses déclarations fiscales 2005-2006, qu'il percevait durant les deux dernières années avant l'accident un salaire moyen de 1730 euros ; qu'il y avait dès lors lieu de considérer qu'il aurait pu percevoir ce salaire durant 260 mois entre la date de l'accident et sa date de mise à la retraite en janvier 2009 ; qu'en conséquence, l'indemnisation de M. [O], sous réserve des montants déjà réglés à ce dernier par la CPAM de l'Allier, pouvait être fixée théoriquement à la somme totale de 449 800 euros (260X1730) ; que s'agissant de ses droits à la retraite, M. [O] se livrait à un calcul qui n'était fondé sur aucune pièce probante et sans fournir de réelle explication quant à une éventuelle perte qu'il ne démontrait pas ; que sur l'incidence professionnelle, il n'y avait pas de caractère limitatif à sa définition ; que ce pouvait être une perte de chance professionnelle, la nécessité d'abandonner sa profession à la suite du dommage, c'est-à-dire un déficit de revenus futurs ; qu'il appartenait à la victime de prouver l'incidence professionnelle des lésions qui s'appréciait in concreto ; que par des motifs pertinents que la cour adoptait, le tribunal avait constaté que l'appelant présentait des séquelles permanentes liées à la diminution de la force de sa main droite et une diminution de flexion du genou, ainsi qu'un état dysphorique dans le cadre d'un effondrement narcissique imputable à l'accident qui ne lui permettait pas d'exercer une activité professionnelle, d'autant que M. [O] se trouvait en situation d'invalidité ; que la somme de 25 000 euros allouée par le premier juge serait confirmée ;
Et aux motifs adoptés du tribunal que même en l'absence de perte immédiate de revenus, la victime pouvait subir une dévalorisation sur le marché du travail ; qu'il convenait d'indemniser, à travers ce poste de préjudice, les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle (dévalorisation sur le marché du travail, perte de chance professionnelle, augmentation de la pénibilité de l'emploi occupé auparavant, obligation de reconversion en raison du handicap, frais de reclassement, de formation ou de changement de poste) ; que cette dévalorisation pouvait aussi se traduire par un nouvel emploi aussi bien rémunéré mais de moindre intérêt ; que les frais de reclassement professionnel étaient également à inclure dans l'incidence professionnelle ; qu'il résultait du rapport d'expertise judiciaire que l'accident avait causé à M. [O] des séquelles permanentes physiques et psychologiques ; que la prédisposition pathologique de la victime n'était pas de nature à diminuer son droit à indemnisation ; que ni l'expert judiciaire ni le sapiteur psychiatre ne faisaient de lien entre la fibromyalgie dont souffrait M. [O] et la décompensation psychiatrique relevée ;
Alors 1°) que tout jugement doit être motivé; qu'en ayant fixé les pertes de gains professionnels futurs sur une période de 260 mois entre la date de l'accident, survenu en mai 2007 et la date de mise à la retraite de M. [O], en janvier 2029, quand le rapport d'expertise judiciaire du docteur [R] (p. 11) avait conclu à une simple incapacité temporaire à réévaluer au-delà d'un an et les deux examens du médecin du travail à son aptitude à effectuer un travail assis ou sans déplacements et sans expliquer ce qui aurait empêché M. [O] de trouver l'emploi de bureau qu'il serait apte à exercer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Alors 2°) que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. [O] une somme en réparation de l'incidence professionnelle, en plus des pertes de gains professionnels futurs, en raison de son état dysphorique ne lui permettant pas d'exercer une activité professionnelle, quand les pertes de revenus liées à cette impossibilité d'exercer une activité professionnelle avaient déjà été indemnisées au titre des pertes de gains professionnels futurs, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1382 du code civil.