Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2015, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de M. Gheorge X... du chef d'importation en contrebande de marchandises prohibées ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 octobre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, de la société civile professionnelle DELVOLVÉ et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 38, 215, 215 bis, 369, 392, 414, 419, 432 bis, 435, 436, 438 du code des douanes, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt a confirmé le jugement ayant relaxé M. X... des fins de la poursuite ;
" aux motifs que M. X..., âgé de 59 ans, dont tant le casier judiciaire national que le casier judiciaire européen sont néants, est chauffeur routier depuis trente ans ; qu'il précise qu'il est chauffeur routier international depuis quinze ans et n'a jamais rencontré le moindre problème dans le cadre de son activité professionnelle qu'il exerce toujours comme salarié de l'entreprise irlandaise qui l'embauchait au moment des faits et qui lui a établi un contrat à durée indéterminée en août 2014 pour un salaire mensuel de l'ordre de 2 000 euros ; qu'il indique à la cour ne rentrer en Roumanie que deux fois par an pour les vacances d'hiver et d'été ; que le 21 mai 2014, il s'apprêtait vers 21 heures à embarquer à Cherbourg sur un ferry à destination de Poole (Grande-Bretagne) quand l'ensemble routier qu'il conduisait a été contrôlé par les services des douanes ; que l'examen approfondi de la remorque de cet ensemble routier permettait la découverte, au milieu d'une des 27 palettes de jus de fruit qu'il transportait, d'une cavité au sein de laquelle étaient cachés 210 sachets en plastique thermo-soudés contenant au total un peu plus de 123 kilogrammes de résine de cannabis ; que M. X... qui a toujours affirmé qu'il ignorait qu'il transportait ces stupéfiants a constamment déclaré que, sur instructions de son employeur irlandais qui correspondait avec lui par sms sur un téléphone portable dédié à cela, il avait chargé sa cargaison à Séville (Espagne) dans la matinée du 19 mai 2014 ; qu'il a expliqué qu'il avait été surpris de constater que l'entrepôt où il se rendait pour la première fois était vide, à l'exception des 27 palettes de jus de fruit qui se trouvaient dans une remorque frigorifique d'où elles ont été déchargées pour être mises dans celle de son camion ; qu'il a aussi toujours indiqué qu'il avait été surpris de constater que son camion avait été chargé par un anglais et un irlandais ; qu'il a toujours dit qu'il n'avait pas assisté à tout le chargement de sa remorque, s'étant absenté à un moment donné pour aller prendre un café dans la cabine de son camion ; qu'il a déclaré qu'il avait aperçu les palettes de jus de fruit, ce qui correspondait à ce qui était consigné sur la lettre de voyage ; que comme à l'issue du chargement sa remorque était pleine, il n'a pu voir que les palettes entreposées à l'arrière étant observé que toutes les palettes étaient intégralement filmées ; que c'est lui qui a apposé les scellés sur le chargement ; que s'il est surprenant que M. X..., professionnel aguerri de la route, n'ait pas cru devoir assister à l'intégralité du chargement de la remorque de l'ensemble routier qu'il conduisait alors même que son attention avait pourtant été attirée par les conditions de cette cargaison (par un anglais et un irlandais dans un entrepôt vide de Séville), il n'en demeure pas moins que le ministère public ne rapporte pas la preuve qu'il savait qu'il transportait des produits stupéfiants dont il conviendra de rappeler qu'il a fallu un examen approfondi de la remorque par les services des douanes pour en permettre la découverte, la résine de cannabis se trouvant dans des sachets thermo-filmés dans une cavité creusée à l'intérieur d'une palette qui était, comme toutes les autres, intégralement thermo-filmée ; que comme l'a décidé le tribunal, les infractions pénales poursuivies contre le prévenu ne sont pas établies ; que les infractions douanières ne le sont pas plus ; que le comportement de M. X..., qui a toujours fait les mêmes déclarations et qui a comparu à l'audience devant la cour, établissent sa bonne foi ; que s'il s'est absenté quelques instants pour prendre un café dans son camion, c'est après avoir constaté que les palettes qui étaient chargées dans la remorque de son ensemble routier étaient toutes filmées ; que même s'il avait assisté à tout le chargement, il n'aurait pas été en mesure de constater que se trouvait 123 kg de cannabis contenus dans divers sacs thermo-soudés dissimulés au milieu d'une palette elle-même, comme toutes les autres, enveloppées dans un film ; que, par suite, le jugement frappé d'appel doit être confirmé en toutes ses dispositions ;
" 1°) alors que le détenteur de la marchandise étant réputé responsable de la fraude, la seule constatation de la détention de la marchandise de fraude suffit à engager sa responsabilité ; qu'en entrant en voie de relaxe tout en constatant que M. X... était chauffeur d'un ensemble routier à bord duquel ont été découverts 210 sachets en plastique thermo-soudés contenant au total un peu plus de 123 kilogrammes de résine de cannabis et que la seule détention de cette marchandise suffisait à engager sa responsabilité du chef des délits douaniers poursuivis, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés ;
" 2°) alors que le détenteur d'une marchandise de fraude ne peut combattre la présomption de responsabilité que l'article 392 du code des douanes fait peser sur lui qu'en établissant sa bonne foi ; qu'en renvoyant M. X... des fins de la poursuite au motif qu'il a toujours affirmé qu'il ignorait qu'il transportait des stupéfiants et que le ministère public ne rapporte pas la preuve qu'il savait qu'il transportait des produits stupéfiants alors que la charge de la preuve de la bonne foi pèse sur le détenteur de la marchandise et que la protestation d'ignorance de l'existence de la marchandise fraude est impropre à établir cette preuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 3°) alors qu'il pèse sur le détenteur, qui accepte un chargement, un devoir de vigilance quant à la régularité de la marchandise transportée et que pour s'exonérer, il doit rapporter la preuve qu'en dépit des actes positifs démontrant les diligences accomplies, il ne pouvait soupçonner la fraude ; qu'en accordant à M. X... le bénéfice de la bonne foi au motif que s'il est surprenant que M. X..., professionnel aguerri de la route, n'ait pas cru devoir assister à l'intégralité du chargement de la remorque de l'ensemble routier qu'il conduisait alors même que son attention avait pourtant été attirée par les conditions du chargement de cette cargaison (par un anglais et un irlandais dans un entrepôt vide de Séville), il s'est absenté quelques instants pour prendre un café dans son camion, après avoir constaté que les palettes qui étaient chargées dans la remorque de son ensemble routier étaient toutes filmées et que même s'il avait assisté à tout le chargement, il n'aurait pas été en mesure de constater que se trouvaient 123 kg de cannabis contenus dans divers sacs thermo-soudés dissimulés au milieu d'une palette elle-même, comme toutes les autres, enveloppées dans un film alors que les soupçons nés des conditions du chargement auraient dû conduire M. X... soit à demander un examen approfondi de son chargement soit à refuser le transport d'une marchandise à l'égard de laquelle il nourrissait un sérieux soupçon de fraude en sorte qu'il ne pouvait prétendre au bénéfice de la bonne foi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des textes susvisés " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 392 du code des douanes ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, selon le second de ces textes, le détenteur de la marchandise est réputé responsable de la fraude ; qu'il ne peut combattre cette présomption qu'en rapportant la preuve de sa bonne foi ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'occasion du contrôle de l'ensemble routier conduit par M. Gheorghe X... qui s'apprêtait à embarquer à Cherbourg sur un ferry à destination de Poole (Grande-Bretagne) les agents de douanes ont découvert au milieu d'une des palettes de jus de fruit qu'il transportait, une cavité au sein de laquelle étaient cachés des sachets en plastique thermo-soudés contenant au total un peu plus de 123 kilogrammes de résine de cannabis ;
Attendu que, pour relaxer M. X..., poursuivi, notamment, pour importation en contrebande de marchandises prohibées, l'arrêt retient que le prévenu a toujours affirmé qu'il ignorait transporter ces stupéfiants, qu'il est surprenant qu'en tant que professionnel aguerri de la route il n'ait pas cru devoir assister à l'intégralité du chargement de la remorque de l'ensemble routier qu'il conduisait alors même que son attention avait été attirée par les conditions de cette cargaison, que le ministère public ne rapporte pas la preuve qu'il savait qu'il transportait des stupéfiants et que ceux-ci n'ont été découverts qu'à la suite d'un examen approfondi de la remorque par le service des douanes ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans relever que le prévenu ait établi sa bonne foi en rapportant la preuve des diligences effectuées pour s'assurer de la nature des marchandises transportées, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses dispositions relatives aux infractions douanières, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 18 novembre 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.