LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- La société Laguerre Chimie,- La société Générali IARD, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 12 février 2015, qui, dans la procédure suivie contre la première des chefs de blessures involontaires et infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs l'a relaxé, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 25 octobre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Dreifuss-Netter, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DREIFUSS-NETTER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, et de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi de la société Laguerre Chimie :
Attendu que la société Laguerre Chimie ayant été relaxée par l'arrêt attaqué et n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation civile, n'avait pas qualité pour se pourvoir en cassation ;
D'où il suit que le pourvoi est irrecevable ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu, qu'il résulte l'arrêt attaqué et des pièces de procédure, que la société Ceinet HP, spécialisée dans le démontage d'installations industrielles, ayant été sollicitée pour intervenir sur le site des sociétés Laguerre Chimie et Etablissements Laguerre afin d'y surélever un bâtiment pour y installer une nouvelle chaîne de production, l'un de ses salariés, M. Boris X..., âgé de 23 ans, a fait une chute de six mètres alors qu'il se trouvait sur le toit du bâtiment adjacent, pour acheminer un morceau de tôle de bardage, une plaque de fibro-ciment ayant cédé sous son poids ; qu'il est demeuré tétraplégique ; que les sociétés Laguerre Chimie, Etablissements Laguerre et Ceinet HP, ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires aggravée, la société Generali Iard, assureur des sociétés Laguerre Chimie et Etablissements Laguerre, étant appelées en la cause ; que le tribunal a déclaré les prévenues coupables des faits reprochés et les a condamnées à des peines d'amende, et, sur l'action civile, a notamment déclaré les sociétés Etablissements Laguerre et Laguerre Chimie entièrement et solidairement responsables des préjudices subis par M. X..., les a condamnées à indemniser plusieurs membres de sa famille qui s'étaient constituées parties civiles, et dit que la société Generali Iard devrait garantir ses assurées des condamnations mises à leur charge ; que les prévenues ont interjeté appel ainsi que le procureur de la République ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation pour la société Generali Iard ;
Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que les griefs allégués ne sont pas de nature à permettre l'admission du moyen ;
Sur le second moyen de cassation pour la société Generali Iard, pris de la violation des articles 1134 et 1964 du code civil, L. 113-1 du code des assurances, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de mise hors de cause de la société Generali Iard, dit que l'arrêt est commun et opposable à la société Generali Iard quant aux condamnations civiles de la société Etablissement Laguerre ; dit que la société Generali devra garantir ses assurées des condamnations mises à leur charge par la présente décision, débouté la société Generali du surplus de ses demandes ;
" aux motifs qu'il résulte des pièces de la procédure que les Etablissements Laguerre sont garantis auprès de la société France Iard, aux droits de laquelle vient Generali Iard, par une police d'assurance responsabilité civile chef d'entreprise suite à un contrat conclu le 1er janvier 1987 ; que ce contrat portait sur l'ensemble des établissements de l'entreprise et avec une garantie applicable quelle que soit la nature de la responsabilité civile engagée et quelles que soient les causes du dommage ; que la société Generali Iard soutient que lors de la conclusion du contrat d'assurance, le 1er janvier 1987, avec les établissements Laguerre, aux termes des conditions générales et des conditions particulières, la garantie se limitait, selon les propres termes de son contrat, en page 6, " en sa qualité de chef d'une entreprise de fabrication et vente de peintures, vernis, d'alcools, solvants et produits d'entretien et produits chimiques, employant du personnel variable " et que les premiers juges avaient procédé à une dénaturation de la police d'assurance pour dire que la société Generali Iard couvrait l'ensemble des activités de l'assuré ; que si, effectivement, en page 6 du contrat, sous le titre " définition du risque ", il existe cette mention indiquant la nature de l'activité professionnelle de l'assuré, il convient de se reporter aussi aux conditions générales dites 033-51, et en particulier en son article 2 qui, pour l'application du contrat, liste les définitions retenues par l'assureur, et qu'ainsi, en paragraphe 17, il est indiqué que les locaux de l'entreprise sont les constructions ou terrains qui regroupent les installations nécessaires au fonctionnement de l'entreprise occupés à titre permanent pour l'exercice des activités décrites aux conditions particulières ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure que les établissements Laguerre occupaient plusieurs locaux appartenant à la société LAG dont elle était la seule locataire, mettant à disposition certains bâtiments à Laguerre Chimie, que ces locaux servaient à son activité déclarée, à savoir la fabrication de peintures et autres solvants ; que si le bâtiment à partir duquel la victime avait chuté n'était plus en activité de production en raison de l'incendie d'une partie des locaux, il n'en restait pas moins nécessaire au fonctionnement de l'entreprise, servant d'entrepôt, comme le montrent les photographies prises par les services de police le jour de l'accident, et ainsi, ces locaux étaient toujours occupés à titre permanent ; que, de plus, cette argumentation, qui s'analyse en une exception de suspension des effets du contrat d'assurance, n'est pas recevable, dans la mesure, d'une part, où le contrat d'assurance valable à l'époque de l'accident ne comportait aucune stipulation prévoyant une suspension des garanties en cas d'arrêt partiel et momentané de l'activité pour des raisons totalement extérieures à la volonté de l'assuré, et, d'autre part, faute de l'avoir notifiée, conformément aux dispositions du code des assurance, en son article L. 113-3 ; que la société Generali Iard soutient aussi que le contrat d'assurance n'aurait pas présenté d'aléa, en ce sens que le dommage résulterait d'un acte volontaire de l'assuré, d'une faute intentionnelle ou dolosive de celui-ci ; que là aussi, cette argumentation ne saurait prospérer, dans la mesure où l'assuré, à savoir les établissements Laguerre, sont poursuivis pénalement en tant que personne morale pour des blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à trois mois dans le cadre d'un accident du travail, qu'il est constant que la faute intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est celle qui suppose la volonté de causer le dommage et non seulement d'en créer le risque ; qu'ainsi, la cour constate que la demande de mise hors de cause de la société Generali Iard est sans fondement et qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré sur ce point ;
" 1°) alors que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, le contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle liant la société Generali Iard à la société établissements Laguerre stipulait clairement qu'il couvrait exclusivement les locaux servant aux activités de l'entreprise, comprenant, aux termes du contrat, la « fabrication et vente de peintures et vernis, d'alcools, solvants et produits d'entretien et produits chimiques » ; qu'en rejetant la demande de mise hors de cause de l'assureur après avoir pourtant constaté, d'une part, que le contrat d'assurance stipulait qu'il ne couvrait que les activités « de fabrication et vente de peintures et vernis, d'alcools, solvants et produits d'entretien et produits chimiques », et d'autre part, que l'accident litigieux était survenu à l'occasion de travaux de rehaussement d'immeubles, étrangers aux activités décrites dans la police, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil ;
" 2°) alors que distincte de la faute intentionnelle, la faute dolosive de l'assuré excluant la garantie de l'assureur ne requiert pas l'intention de son auteur de réaliser le dommage tel qu'il est survenu, mais s'entend d'un comportement délibéré rendant inéluctable la réalisation du dommage, altérant ainsi le caractère aléatoire du contrat ; qu'en se bornant à relever que la faute intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est celle qui suppose la volonté de causer le dommage et non seulement d'en créer le risque, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les circonstances de l'accident ne caractérisaient pas à tout le moins une faute dolosive, distincte de la faute intentionnelle en ce qu'elle ne requiert pas la preuve de la volonté de son auteur de commettre le dommage tel qu'il s'est réalisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 du code des assurances et 1964 du code civil ;
" 3°) alors que, s'agissant d'une assurance de responsabilité civile professionnelle, la faute intentionnelle de l'assuré exclusive de garantie, s'étend à la violation délibérée de règles de sécurité dont l'auteur a conscience des risques qui en résultent, sans toutefois exiger une volonté de réaliser le dommage ; qu'en écartant toute faute intentionnelle de l'assurée au motif inopérant qu'elle était poursuivie pénalement du chef de blessures involontaires, cependant que cette circonstance n'excluait pas la faute intentionnelle au sens du droit des assurances, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances, ensemble, l'article 1964 du code civil par refus d'application " ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que, par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des clauses du contrat litigieux rendait nécessaire, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que le contrat d'assurance conclu par la société établissements Laguerre avec la société Generali Iard ne comportait aucune limitation liée à une déclaration d'activité préalable ou spécifique et portait sur l'ensemble des établissements de l'entreprise, la garantie s'appliquant quelle que soit la nature de la responsabilité civile engagée et quelles que soient les causes du dommage ;
D'où il suit que le grief n'est pas fondé ;
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Attendu que, pour rejeter la demande de mise hors de cause de la société Generali Iard, dire que l'arrêt est commun et opposable à cette société quant aux condamnations civiles de la société Etablissements Laguerre et qu'elle devra garantir son assurée des condamnations mises à sa charge, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'il résultait de ses constatations que l'assuré n'avait ni volontairement causé le dommage ni supprimé l'aléa inhérent au contrat par un manquement délibéré à ses obligations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui, en sa troisième branche, critique des motifs surabondants, n'est pas fondé ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi de la société Laguerre chimie :
Le DECLARE IRRECEVABLE ;
II-Sur le pourvoi de la société Generali Iard :
Le REJETTE ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.