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12/10/2016 | FRANCE | N°15-20764

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 octobre 2016, 15-20764


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur les deux moyens réunis, ci-après annexés :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 27 avril 2015) qu'en 1992, Mme X..., présentant une récidive d'un cancer du sein, traité en 1988 par curage, chimiothérapie et radiothérapie, a subi une nouvelle irradiation réalisée à l'institut Claudius Regaud, par Mme Z..., médecin radiothérapeute, et a gardé des séquelles de cette irradiation ; qu'en 2012, après avoir sollicité une expertise en référé, elle a assigné en responsabilité et ind

emnisation l'institut Claudius Regaud, assuré par la Société hospitalière d'assura...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur les deux moyens réunis, ci-après annexés :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 27 avril 2015) qu'en 1992, Mme X..., présentant une récidive d'un cancer du sein, traité en 1988 par curage, chimiothérapie et radiothérapie, a subi une nouvelle irradiation réalisée à l'institut Claudius Regaud, par Mme Z..., médecin radiothérapeute, et a gardé des séquelles de cette irradiation ; qu'en 2012, après avoir sollicité une expertise en référé, elle a assigné en responsabilité et indemnisation l'institut Claudius Regaud, assuré par la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), et Mme Z..., en invoquant l'existence de fautes médicales ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'écarter l'existence d'une faute technique et de limiter l'indemnité allouée au titre d'un défaut d'information ;
Attendu, d'une part, que l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, en se fondant sur les constatations de l'expert, que si l'irradiation survenue en 1992, en surimpression sur les zones déjà irradiées en 1988, est à l'origine du préjudice corporel de Mme X..., elle était indispensable au regard de la récidive massive du cancer, que Mme Z... n'a commis aucune faute en s'abstenant de laisser une marge de sécurité entre le champ précédemment irradié et le champ nouvellement irradié, que si une telle marge aurait exclu tout risque de recoupe, il aurait également exclu toute chance de contrôle médical de la récidive et aurait donc consisté en une faute médicale et que le traitement opéré répond aux règles de l'art ; que de ces constatations et énonciations exclusives de toute maladresse, la cour d'appel a pu déduire qu'aucune faute technique n'était établie ;
Attendu, d'autre part, sur le défaut d'information, que c'est sans dénaturation ni contradiction de motifs que la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre aux énonciations des conclusions qui ne tiraient pas de conséquences juridiques des faits qu'elles affirmaient, a statué comme elle l'a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR jugé qu'aucune faute médicale n'était établie à l'égard de l'Institut Claudius Regaud ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « en l'espèce le médecin expert A... exclut expressément l'assimilation de la recoupe à une faute thérapeutique du radiothérapeute (page six du rapport antépénultième paragraphe) et précise que le traitement prodigué par l'Institut répond aux règles de l'art (page six); (…) ainsi en l'absence de faute établie, la demanderesse a été à juste titre déboutée de son action en réparation des préjudices corporels»
AUX MOTIFS PRESUMES ADOPTES QUE : «Le contenu de l'expertise judiciaire : l'expert judiciaire, après avoir retracé l'historique médical de la demanderesse, procédé à son examen clinique, retient que : - En 1988, Mme X... Jocelyne a présenté un carcinome du sein gauche, traité par tumorectomie, curage axillaire, et radiothérapie sus claviculaire ; -Dans le cadre du suivi de sénologie, il sera médicalement constaté en 1990, le blocage de l'épaule gauche, avec douleur à la mobilisation, et un petit lymphoedème ; -En janvier 1992, une récidive axillaire, va justifier un nouveau curage axillaire, avec exérèse de 19 ganglions dont 15 sont massivement envahis, une chimiothérapie (5 cycles effectués sur les 6 prévus du 23 janvier au 14 mai, pour cause de tolérance hématologique), et une nouvelle radiothérapie axillaire. A la suite de quoi vont être observées sur la patiente : -en juin 1993: une capsulite rétractile de l'épaule gauche avec sclérose de la région sus claviculaire, -en décembre 2007 : des ulcérations cutanées au sein de la zone fibreuse sclérosée, -en avril 2009 : une fracture de l'acromion associée à une fracture multifocale de la clavicule, -en avril 2010, diagnostic de récidive, avec diffusion métastatique. L'expert retient que la fibrose massive, l'épaule gelée, les fractures de l'acromion et de la clavicule, les phénomènes de nécrose cutanée avec plaies chroniques, la plexite radique, apparaissent comme des conséquences du surdosage radiothérapie localisé lié à la recoupe des champs d'irradiation (radiothérapie successivement effectuée en 1988, puis 1992). Pour autant, il ne relève aucun manquement aux règles de l'art. C'est ainsi qu'il va retenir que : - l'irradiation de la pyramide axillaire était parfaitement indispensable en 1992, devant cette récidive ganglionnaire massive avec infiltration des parties molles, estimant que la recoupe, limitée de 5 cm sur 15 mm environ, entre dans les champs d'irradiation de 1988 et de 1992, et ne peut être assimilée à une faute thérapeutique ; -cette recoupe involontaire se trouve être la conséquence des limites techniques de l'époque. On est donc en présence d'un aléa thérapeutique. -Le radiothérapeute aurait très bien pu laisser une marge de sécurité de 15 à 20 mm par rapport aux limites du champ sus claviculaire préalablement irradié, dans ce cas le risque de recoupe aurait été nul, mais les chances de contrôle aussi, si bien que la décision du radiothérapeute, de positionner son champ axillaire en jonction du champ sus claviculaire irradié quelques années avant est logique, guidée par l'importance de la récidive axillaire, et apparaît parfaitement justifiée. -il n'y a pas de manquement aux règles de l'art qui puisse être reproché à L'institut Claudius Regaud, pas de faute, pas de négligence et/ou de maladresses, qui puisse être reconnue. - les complications observées, évidentes et totalement inhabituelles, sont la conséquence des irradiations successives, toutes parfaitement justifiées dans son cas survenant sur un terrain particulier (antécédent d'enraidissement de l'articulation de l'épaule en 1990 ; diabète insulinodépendant depuis 2004 ; obésité ; cicatrisation avec tendance aux excroissances de peau se développant sur les cicatrices (chéloïdes) (…) -Les conséquences du surdosage radiothérapique, focalisé, se traduisant par le lymphoedème majeur du membre supérieur gauche, sans aucune tendance à la rétrocession, la plexite radique , l'épaule gelée, les fractures de l'acromion et la clavicule, les phénomènes de nécrose cutanée avec plaies chroniques, sont apparues dès octobre 1992, et ont évolué pour leur propre compte jusqu'en avril 2010, date du diagnostic de la récidive avec diffusion métastatique, événement rendant impossible par la suite l'appréciation des effets secondaires propres à l'irradiation et à la maladie carcinologique. Il note les souffrances endurées à 4/7, ne retient aucune chance d'amélioration. Il considère que ces conséquences préjudiciables correspondent à une perte complète du membre supérieur, ayant rappelé dans le corps de l'expertise, que la patiente subit un blocage complet de l'épaule gauche, n'a plus la fonction du poignet ni des doigts de la main, avec cependant un maintien partiel de la fonction de préhension au niveau des doigts, mais diminutions majeures de la force musculaire à ce niveau, permettant de conclure que le membre supérieur gauche a perdu toute fonctionnalité. Il rappelle, que la demanderesse, qui était une femme active en 1992, est devenue une «handicapée», avec nécessité d'aide par une tierce personne, pour l'habillage, la toilette, les repas (lui couper sa viande), présentant des douleurs intenses et permanentes entraînant un syndrome dépressif réactionnel. L'analyse : (…) la faute médicale : En vertu des règles applicables litige, rappelées ci-dessus, pour que l'action puisse prospérer, il appartient à la demanderesse de démontrer que le Dr B... a commis une faute, et son lien de causalité direct avec le préjudice dont elle demande réparation. (…) Le rapport est pourtant précis, détaillé, circonstanciés, et ne permet pas de retenir un quelconque manquement de L'institut Claudius Regaud, à son obligation de donner des soins consciencieux, attentifs, conformes aux données actuelles de la science. Certes, l'irradiation intervenue en 1992, en surimpression sur les zones déjà irradiées en 1988, est directement responsable du préjudice corporel retenu. Pour autant, cette irradiation était parfaitement indispensable en 1992 devant la récidive massive avec infiltration des parties molles, et les zones de recoupe, limitées, correspondent aux limites techniques de l'époque. Aucun élément objectif médical contraire à l'expertise, ne vient soutenir les critiques exposées à ce titre par la demanderesse. Enfin, l'expert précise que le radiothérapeute n'a commis aucune faute en s'abstenant de laisser une marge de sécurité entre le champ précédemment irradié, et le champ nouvellement irradié, parce qu'une telle marge, qui aurait exclu tout risque de recoupe, aurait également exclu toute chance de contrôle de la récidive massive, et aurait donc consisté en une faute médicale. C'est donc en vain que la demanderesse soutient le contraire. Aucune faute médicale n'est établie à l'encontre de l'Institut Claudius Regaud » ;
ALORS 1°) QUE : un médecin engage sa responsabilité lorsqu'intervenant sur un organe ou un tissu déterminé il blesse, par maladresse fautive, un autre organe ou tissu ; qu'en considérant qu'aucune faute ne serait établie quand il résulte de ses propres constatations que le radiothérapeute avait décidé une irradiation en jonction des zones déjà irradiées quelques années auparavant, et que l'irradiation de zones déjà irradiées était involontaire de sorte qu'elle constituait une maladresse fautive, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil ;
ALORS 2°) QUE l'aléa thérapeutique exclusif de toute faute du médecin procède d'un risque inhérent à l'acte médical pratiqué qui ne peut être maîtrisé ; qu'en considérant qu'aucune faute n'aurait été établie, sans constater que l'irradiation litigieuse de zones précédemment irradiées, et les dommages qui lui sont consécutifs auraient été inhérents à l'irradiation en jonction, sans irradiation des zones précédemment irradiées, qui avait été décidée et n'auraient pu être maîtrisés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR condamné l'Institut Claudius Régaud à payer à madame Jocelyne X... 1.000 euros en réparation du défaut d'information ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : «en application des dispositions l'article 1147 du code civil, le médecin est tenu de donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux soins proposés ; (…) en l'espèce la preuve de l'exécution de cette obligation n'est pas apportée par l'Institut ; mais attendu qu'en l'état de la patiente dont le pronostic vital était engagé par la récidive de cancer, selon l'expert, celle-ci n'aurait pu refuser la radiothérapie indispensable et le risque y afférent; (…) il s'ensuit qu'en l'absence de choix possible pour la patiente, le défaut d'information préalable sur les risques encourus, n'a aucune relation causale avec les préjudices subis ; (…) tout au plus peut-il avoir empêché la patiente de se préparer psychologiquement aux conséquences du risque, comme l'a relevé à juste titre le tribunal dont l'évaluation du préjudice moral à la somme de 1.000 euros doit être confirmée » ;
AUX MOTIFS PRESUMES ADOPTES QUE : « le contenu de l'expertise judiciaire : (…) Il y a certainement un préjudice par manque d'information en 1992, sur les risques encourus compte tenu d'antécédent de radiothérapie en 1988, avec manque d'information du radiothérapeute vis-à-vis de sa patiente sur ce risque de recoupe et donc de surdosage, lequel s'explique probablement par le fait qu'une telle récidive est habituellement de très mauvais pronostic et le plus souvent à assez court terme. Il est très probable que si cette irradiation n'avait pas été faite, Mme X... Jocelyne ne serait plus là aujourd'hui. (…) le défaut d'information : Il ressort de l'expertise judiciaire, que le lymphoedème est une complication classique dans la prise en charge des carcinomes du sein localisés, survenant dans environ 10 % des cas après association de curage axillaire et d'une radiothérapie axillaire. L'expert estime à plus de 50 %, la probabilité de survenance de ce risque dans la situation de la patiente, estimant même que sa survenance était quasi obligatoire, en raison du surdosage radiothérapique involontaire lié à la recoupe entre les champs d'irradiation sus claviculaire de 1988, et les champs d'irradiation axillaire de 1992. En conséquence, il appartenait à l'Institut Claudius Regaud, d'en informer la patiente. Or, aucun élément du dossier ne permet de retenir que ce facteur de risque majoré a été porté à la connaissance de Mme X... Jocelyne, alors même qu'il s'agissait d'un élément important pour permettre à cette dernière un consentement éclairé. En ce sens, le défaut d'information est caractérisé. Il ouvre droit à réparation du préjudice qui en découle, et qu'il convient d'évaluer. À cet égard, les développements de la demanderesse, selon lesquels elle aurait bénéficié d'une option, en janvier 1992, entre une intensification de son traitement médicamenteux, et le choix de la chimiothérapie, avec radiothérapie en corollaire, ne résulte nullement des documents produits. En effet, le bulletin d'hospitalisation du centre Claudius Regaud, du 2 janvier 1992, relatif à la récidive ganglionnaire axillaire gauche, ne mentionne qu'«une proposition d'une intensification chimique à discuter avec la patiente», sans mentionner une quelconque option. Il n'est donc nullement établi, contrairement à ce que soutient la demanderesse, que dûment informée, elle aurait pu faire un autre choix thérapeutique. D'ailleurs, l'expertise judiciaire, qu'aucun élément ne vient contredire, retient que la radiothérapie axillaire, pratiquée en 1992, était parfaitement indispensable, puisqu'à défaut, il retient qu'il est très probable que la patiente serait décédée. En conséquence, les soins critiqués constituaient en l'espèce, des soins indispensables, dont l'absence était de nature à compromettre le pronostic vital. Dans ces conditions, aucun élément du dossier ne permet de retenir que si cette information avait été portée à la connaissance de Mme X... Jocelyne, celle-ci aurait refusé le traitement par radiothérapie. Ainsi, le défaut d'information n'est pas en lien avec le préjudice qui s'est réalisé, pas plus qu'il n'est en lien avec une perte de chance d'échapper à la survenance du préjudice. Le défaut d'information est donc caractérisé, mais n'ouvre droit qu'à une indemnisation du préjudice moral qui est résulté de ce défaut d'information, Madame X... estimant avoir été privée de la faculté de prévoir et de se préparer psychologiquement et matériellement à la survenue quasi certaine du risque et de ses conséquences. Ce préjudice est à relativiser, puisque dans le même temps, le défaut d'information lui a épargné la souffrance morale inhérente à la prévision de survenance d'un tel risque. Au vu de ces éléments, la réparation du préjudice sera fixée à la somme de 1000 € » ;
ALORS 1°) QU' : il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en considérant qu'il n'y aurait pas eu d'autre choix pour madame X... que le traitement par radiothérapie, quand le bulletin d'hospitalisation de l'Institut Claudius Régaud du 2 janvier 1992 mentionnait clairement et précisément une « proposition d'intensification chimique », la cour d'appel a dénaturé ce bulletin d'hospitalisation, en violation de l'article 1134 du code civil ;
ALORS 2°) QU'en constatant d'une part que le radiothérapeute aurait pu laisser une marge de sécurité, sans risque de recoupe, d'autre part l'absence de choix possible pour la patiente, la cour d'appel s'est contredite en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS 3°) QUE le médecin doit informer son patient de la façon dont s'est déroulée son intervention ; qu'en ne répondant pas au moyen tiré de ce que le docteur Z... et l'Institut Claudius Régaud avaient manqué à leur obligation d'informer leur patiente de la façon dont s'était déroulée la radiothérapie litigieuse, lui faisant perdre une chance de trouver un traitement adapté en cas de recoupe, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 15-20764
Date de la décision : 12/10/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 27 avril 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 oct. 2016, pourvoi n°15-20764


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : Me Le Prado, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.20764
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