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12/10/2016 | FRANCE | N°15-17681

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 octobre 2016, 15-17681


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 15 avril 2015), que par délibération du 26 février 2014, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'association des amis et parents d'enfants inadaptés (l'Adapei) de Haute-Saône a décidé la désignation d'un cabinet d'expertise concernant les risques psycho-sociaux ; que contestant la nécessité de cette mesure, l'employeur a saisi le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des réf

érés, d'une demande d'annulation de la délibération et à titre subsidiaire, ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 15 avril 2015), que par délibération du 26 février 2014, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'association des amis et parents d'enfants inadaptés (l'Adapei) de Haute-Saône a décidé la désignation d'un cabinet d'expertise concernant les risques psycho-sociaux ; que contestant la nécessité de cette mesure, l'employeur a saisi le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, d'une demande d'annulation de la délibération et à titre subsidiaire, de limitation de la mission de l'expert au seul établissement concerné ;
Attendu que l'Adapei de Haute-Saône fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'annulation de cette délibération, alors, selon le moyen, que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé qu'au constat d'un risque grave et actuel ; qu'ayant constaté qu'un plan triennal de sensibilisation et de prévention des risques psychosociaux était en cours, la cour d'appel, qui a rejeté la demande d'annulation de la décision de désignation d'un expert sans caractériser l'insuffisance de cette prise en charge du risque, a violé l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant retenu que de nombreux éléments, parmi lesquels un rapport d'inspection établi en 2013 par le CHSCT, une lettre de l'inspecteur du travail adressée le 4 mars 2014 au directeur de l'association, un courrier d'alerte du médecin du travail du 11 juin 2013, des compte-rendus de réunion des délégués du personnel, des rapports d'enquête réalisés par le CHSCT entre octobre et février 2014 et des témoignages de salariés, établissaient l'existence d'une menace sérieuse sur la santé morale, psychologique et physique, ou la sécurité des salariés, identifiée et actuelle, et que le plan de sensibilisation et de prévention mis en place par l'employeur n'avait pas, selon les conclusions du comité de suivi des risques psycho-sociaux, mis un terme aux difficultés rencontrées, la cour d'appel a pu en déduire l'existence d'un risque grave au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Adapei de Haute-Saône aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros au CHSCT de l'Adapei de Haute-Saône ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour l'association Adapei de Haute-Saône.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté l'Association ADAPEI de Haute-Saône de sa demande d'annulation de la délibération du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en date du 26 février 2014 ;
AUX MOTIFS QU'en application de l'article L 4614-12 du code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail ou une maladie à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement ; que ce risque grave s'entend d'un risque identifié et actuel (Soc. 14 novembre 2013, n° pourvoi :12-15206) ; que ce texte n'exige pas que la décision du CHSCT soit elle-même formellement motivée ; que l'ADAPEI ne peut donc utilement prétendre que la décision du 26 février 2014 est nulle pour défaut de motivation ; que l'ADAPEI prétend par ailleurs qu'il n'existe pas de risque grave au sens de l'article L 4614-12 du code du travail ; que le risque grave doit s'entendre d'une menace sérieuse sur la santé ou la sécurité des travailleurs, identifiée et actuelle ; que le CHSCT fait état : – d'un rapport d'inspection faite par lui en 2013 dans les quatre sites de Gray, Héricourt, Lure et au, siège à Besançon, duquel il résulte une forte souffrance des salariés au siège social et à l'IME de Gray et une augmentation des arrêts maladie par rapport à 2012 ; – d'un courrier de l'inspecteur du travail adressé le 4 mars 2014 au directeur de l'ADAPEI de la Haute-Saône, qui relate une dégradation des conditions de travail et des tensions sur les quatre sites, dont les causes résideraient dans l'organisation du management, le caractère incertain des règles de pratiques professionnelles, l'organisation de la durée du travail, la surcharge de travail dans certains services, – pour le siège social à Besançon : d'un courrier d'alerte du médecin du travail, le Docteur Colette X..., du 11 juin 2013, de courriers nominatifs ou anonymes de salariés (pas de relations de confiance avec la direction, demande aux salariés de travailler pendant les arrêts maladie, en dehors des règles d'organisation du travail, appel des salariés à leur domicile, sur leur temps libre, accusations à tort et à travers des salariés, pleurs des salariés sur le lieu de travail, absence de soutien technique, de soutien en cas de difficultés professionnelles, attitude irrespectueuse envers le personnel, constantes menaces de sanctions, opposition à une déclaration d'accident de travail pour une salariée tombée dans les escaliers sur son lieu de travail) ; - pour l'IME d'Héricourt : d'un rapport d'enquête fait par lui le 13 février 2014 sur la situation de souffrance au travail depuis de nombreuses années d'une salariée, Mme Z..., de plaintes anonymes (malaise, stress, dénigrement, changements réguliers des horaires de travail, déstabilisation psychique du personnel, désorganisation), d'une augmentation des arrêts maladie de 56 % en 2013 par rapport à 2012, selon tableau produit par l'ADAPEI (pièce n° 4.3), d'un courrier de trois salariées adressé le 27 septembre 2013 à la directrice et à la chef de service, faisant état de coups portés sur elles par un résident (coups réguliers de pied, de poing, de tête, jets d'objets, volonté de les tirer par les bras, de chercher à les faire tomber dans l'escalier, hématomes pour elles sur l'ensemble du corps, douleurs au bras, aux épaules, au dos), - pour l'IME de Gray : d'un compte rendu de réunion des délégués du personnel du 22 octobre 2013, produit par l'ADAPEI (pièce 7.1) qui fait état d'une situation du groupe cascade complexe (lieu anxiogène et manque de communication), du malaise provoqué par le licenciement de deux professionnels chez les salariés, qui expriment leur angoisse d'être également licenciés et demandent à être rassurés, d'une augmentation d'arrêts de travail en mi-temps thérapeutique de 558 % en 2013 par rapport à 2012 (pièce 4.3 produite par l'ADAPEI), d'un rapport d'enquête faites par lui en octobre 2013 (méfiance envers la direction de l'établissement et la direction générale, peur d'être licencié, questionnement du sens du travail, perte de sens, autoritarisme de la direction, manque de dialogue et d'ouverture, discours culpabilisant en direction des membres du personnel, pleurs des salariés), du témoignage d'un salarié handicapé, M. A..., qui déclare avoir subi des pressions morales et des menaces physiques pour aboutir à son licenciement, d'un compte-rendu d'une réunion des délégués du personnel tenue le 27 mars 2014, qui relate de nombreux problèmes d'organisation du travail au sein de l'établissement, - pour le Foyer de vie MAS de Lure : d'un rapport d'enquête réalisé par lui en octobre et décembre 2013 reprenant les témoignages des salariés sur une trop faible présence du directeur et une absence de dialogue avec lui, une attitude déplacée de la chef de service à l'égard des salariés et un manque de disponibilité, une augmentation des situations de violence de la part des résidents sans soutien de la hiérarchie, une peur des sanctions et des licenciements éprouvée par les salariés, de tensions et conflits lors des réunions d'équipe, d'un compte-rendu des questions des salariés du 12 décembre 2013 qui fait état d'une constante augmentation des actes de violence d'un résident plaçant en très grande difficulté le personnel d'encadrement, de propos déplacés de la direction lors de la réception d'arrêts maladie de certains salariés portant atteinte à la vie privée de ces derniers, de tension, fatigue du personnel avec accidents du travail répétés, absence de la direction, communication et coordination défaillantes, d'un compte rendu de réunion des délégués du personnel du 20 novembre 2013 qui reprend les mêmes plaintes, de témoignages anonymes de cinq salariés qui font état, notamment, de multiples rapports d'incidents non suivis d'effet, d'une banalisation de la violence, d'une multiplication d'arrêts maladie, de défaut de transmission des informations, d'une impossibilité d'évoquer les difficultés sous peine de représailles (sanction, licenciement) ; que ces nombreux éléments établissent l'existence d'une menace sérieuse sur la santé, morale, psychologique et physique, ou la sécurité (violences physiques régulières des résidents) des salariés, identifiée et actuelle ; qu'en réponse, l'ADAPEI réplique que depuis 2009, elle s'est engagée dans l'identification et la prise en compte des risques psychosociaux et qu'elle a choisi en 2010, sur appel d'offres, le cabinet CMF Conseil et Formation pour réaliser une étude sur ces risques au sein de ses différents établissements, qui s'est réalisée de mai 2010 à avril 2011, avec la mise en place de six groupes pluridisciplinaires de travail ; qu'à l'issue de travaux avec un comité de pilotage, en septembre 2012, elle a mis en place un plan de sensibilisation et de prévention de trois ans portant sur la période 2013-2015 ; qu'ensuite, un comité de suivi des risques psychosociaux a été mis en place, dont la première réunion s'est tenue le 17 mars 2014 ; qu'il ressort cependant du compte rendu de cette réunion du 17 mars 2014 que, si un programme d'action est prévu pour améliorer les questions de communication, cohésion, confiance, respect et organisation du travail, ces difficultés ne sont pas réglées ; que par ailleurs, l'ADAPEI ne démontre pas que le risque grave constaté dans les quatre établissements a disparu, et ce d'autant plus que rien ne semble prévu pour apporter une solution à l'accroissement des violences des résidents sur les salariés ; que l'ordonnance de référé du 20 mai 2014 sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté l'ADAPEI de sa demande d'annulation de la délibération du CHSCT du 26 février 2014, en ce qu'elle dit que la mission de l'expert concernerait le pôle enfance de Gray, le pôle enfance d'Héricourt, le Foyer de Vie/MAS de Lure, le siège social de l'ADAPEI, dans lesquels un risque grave a été constaté, ainsi qu'en ses autres dispositions, non contestées ; et AUX MOTIFS ADOPTES QUE le recours à une mesure d'expertise suppose la constatation d'un risque grave au sein de l'établissement ; qu'en l'espèce, l'ADAPEI de la Haute-Saône considère avoir mis en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour identifier les risques psychosociaux et notamment un plan de prévention pour la période 2013/2015 ; que si un comité de pilotage a été créé et que des réunions ont pu avoir lieu, il n'est pas justifié par la requérante de la nature des suites données qu'elle aurait données à ce plan conformément à la conclusion générale apparaissant dans un document établi le 9 octobre 2012 ; que la preuve que le CHSCT ait été associé aux réunions du comité de pilotage ou à la restitution de l'avancement des travaux du cabinet mandaté par la requérante n'est pas rapportée ; que de plus, le fait pour l'employeur de mettre en place un plan de prévention ne prive pas au CHSCT le droit de faire procéder à l'expertise d'un risque grave, pour son propre compte et de manière indépendante par rapport à l'employeur ; que dans le compte rendu de la réunion que le CHSCT a tenue le 30 septembre 2013, il est noté que M. B... (membre élu) « pose le problème des RPS » et fait état de « décisions arbitraires qui font que les salariés ne travaillent plus du tout sereinement » ; que lors de la réunion du CHSCT en date du 2 décembre 2013, M. B... a signalé « que de plus en plus de personnes du siège sont en souffrance » ; qu'il est également constaté que « quasiment tous les mois de 2013 sont supérieurs en nombre d'arrêts maladie par rapport à l'année précédente » et qu'une analyse de l'ensemble des indicateurs devait intervenir ; que dès cette époque, M. B... sollicitait une expertise concernant les RPS sur plusieurs établissements, le siège, Gray… ; que dans un courrier adressé le 4 mars 2014, au Directeur Général de l'ADAPEI de la Haute-Saône l'inspecteur du travail rappelle au directeur général de l'ADAPEI, que lors du CHSCT du 26 février 2014, une alerte des membres élus a été faite sur la base d'une enquête auprès des personnels de plusieurs établissements ; qu'il mentionne qu'une dégradation des conditions de travail et des tensions sont constatées par le CHSCT résidant en partie dans : – l'organisation du management, – le caractère incertain des règles de pratiques professionnelles, – l'organisation de la durée du travail, – la surcharge de travail dans certain service ; que dans un document intitulé « Témoignages de Mathias C... » (pièce n° 5), il est noté que : « L'ambiance au siège est déplorable, aucune communication n'est possible avec la Direction, qui semble toujours être dans le conflit, et faire peser la menace de sanction. Tout le monde se plaint, mais personne ne l'exprime, et la direction se réfugie derrière cela pour dire que tout va bien » ; que cette situation a donné lieu à un courrier d'alerte du médecin du travail, pour l'ensemble du personnel, le 11 juin 2013 ; que dans un courrier électronique adressé au secrétaire du CHSCT le 24 juin 2013, Madame Kathy D... souligne que les conditions de travail au siège social se sont nettement dégradées depuis le départ de Mme E...… ; qu'il n'existe aucune relation de confiance…qu'elle (Mme F...) manipule les uns et les autres… ; que les salariés ont beaucoup de mal à exprimer leur mal-être et beaucoup n'osent pas… ; que la mesure d'enquête réalisée par les membres du CHSCT à la MAS Les Sources de Lure les 22 octobre et 3 décembre 2013 met en évidence une dégradation des conditions de travail en raison notamment : – d'une trop faible présence de son Directeur et d'une absence de dialogue, – d'une attitude hostile et déplacée de la part de la chef de service à l'égard des salariés, – d'une augmentation des rapports d'incidents concernant des situations de violence sans le soutien de la hiérarchie, – de menaces de sanctions et de représailles, – de situations de conflits, de tension au sein de l'équipe ; que dans un courrier, qu'il a adressé au CHSCT le 10 octobre 2013, Monsieur Guy A..., moniteur éducateur l'Aurore à Gray, fait état de pressions subies de la part du Directeur ; qu'il a le sentiment que celui-ci cherche à lui nuire par des menaces de licenciement ; qu'il se dit tourmenté et privé de sommeil…travailler devient pour lui une source de stress démesuré ; que la mesure d'enquête réalisée le 24 mars 2014 par 2 membres du CHSCT, au Pôle Enfance d'Héricourt, fait état d'une dégradation des rapports avec la direction, d'un sentiment de persécution, de harcèlement et d'abandon ; qu'au vu de ces éléments, il convient de constater qu'il existe bien des risques graves, identifiés et actuels, fondés sur des éléments objectifs, nécessitant le recours à une expertise par un organisme extérieur agréé ; que l'ADAPEI de la Haute-Saône sera déboutée de sa demande tendant à l'annulation de la délibération du CHSCT en date du 26 février 2014 ;
ALORS QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne peut faire appel à un expert agréé qu'au constat d'un risque grave et actuel ; qu'ayant constaté qu'un plan triennal de sensibilisation et de prévention des risques psychosociaux était en cours, la cour d'appel, qui a rejeté la demande d'annulation de la décision de désignation d'un expert sans caractériser l'insuffisance de cette prise en charge du risque, a violé l'article L 4614-12 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15-17681
Date de la décision : 12/10/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon, 15 avril 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 oct. 2016, pourvoi n°15-17681


Composition du Tribunal
Président : Mme Lambremon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.17681
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