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28/09/2016 | FRANCE | N°15-16529

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 28 septembre 2016, 15-16529


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salari

és entrant dans le champ d'application de ce secteur ; qu'AG2R prévo...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que les représentants des employeurs et des organisations syndicales représentatives des salariés du secteur de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie, soumis à la convention collective nationale étendue des entreprises artisanales relevant de ce secteur, ont conclu, le 24 avril 2006, un avenant n° 83 à cette convention collective par lequel ils ont décidé de mettre en oeuvre un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé pour les salariés entrant dans le champ d'application de ce secteur ; qu'AG2R prévoyance a été désignée aux termes de l'article 13 de cet avenant pour gérer ce régime et l'article 14 a imposé à toutes les entreprises entrant dans le champ d'application de l'avenant n° 83 de souscrire les garanties qu'il prévoit à compter du 1er janvier 2007 ; que l'accord a été étendu au plan national, par arrêté ministériel du 16 octobre 2006, à toute la branche de la boulangerie et de la boulangerie-pâtisserie ; qu'AG2R prévoyance a été désigné par les partenaires sociaux, pour une nouvelle durée de cinq ans, comme unique gestionnaire du régime, aux termes d'un avenant n° 100 du 27 mai 2001 étendu par arrêté du 23 décembre 2011 ; que M. X... ayant refusé de s'affilier au régime géré par AG2R prévoyance, celle-ci a saisi un tribunal d'instance pour obtenir la régularisation de son adhésion et le paiement des cotisations dues au titre des années 2007 et 2008 ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles 56, 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 912-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige et l'avenant n° 83 du 24 avril 2006 à la convention collective nationale de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 ;
Attendu que pour débouter AG2R prévoyance de ses demandes, le jugement retient qu'AG2R prévoyance a été désignée selon une procédure méconnaissant les dispositions des articles 102 et 106 du TFUE et exploite ainsi de façon abusive une position dominante sur le marché des services de prévoyance du secteur de la boulangerie ; que la clause de désignation contenue dans l'avenant du 24 avril 2006 à la convention collective du 19 mars 1976 est contraire aux dispositions impératives du TFUE ;
Attendu cependant que la Cour de justice de l'Union européenne a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011 (AG2R prévoyance, C-437/09) que l'affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l'ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme à l'article 101 du TFUE ; qu'elle a jugé, par le même arrêt, pour autant que l'activité consistant dans la gestion d'un régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé tel que celui en cause devait être qualifiée d'économique, que les articles 102 et 106 du TFUE ne s'opposaient pas, dans des circonstances telles que celles de l'affaire, à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer ce régime, sans aucune possibilité pour les entreprises du secteur d'activité concerné d'être dispensées de s'affilier audit régime ;
Attendu ensuite que la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 17 décembre 2015 (C-25/14 et C-26/14) a dit pour droit que c'est l'arrêté d'extension de l'accord collectif confiant à un unique opérateur, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire obligatoire au profit des salariés qui a un effet d'exclusion à l'égard des opérateurs établis dans d'autres Etats membres et qui seraient potentiellement intéressés par l'exercice de cette activité de gestion ; qu'il apparaît que, dans un mécanisme tel que celui en cause, c'est l'intervention de l'autorité publique qui est à l'origine de la création d'un droit exclusif et qui doit ainsi, en principe, avoir lieu dans le respect de l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du TFUE ; qu'il en résulte que les accords collectifs de branche instituant un régime de protection sociale complémentaire ne relèvent donc pas du champ d'application de l'article 56 du Traité qui n'impose aucune obligation de transparence aux partenaires sociaux, lesquels ne sont pas un pouvoir adjudicateur soumis aux règles régissant les marchés publics ou la commande publique ;
Qu'en statuant comme il a fait, en subordonnant la validité de la clause de désignation contenue dans l'avenant n° 83 à la convention collective de la boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 à une mise en concurrence préalable ou un appel d'offres par les partenaires sociaux de plusieurs opérateurs économiques, le tribunal a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 62 de la Constitution, ensemble l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu que pour rejeter les demandes d'AG2R prévoyance, le jugement retient qu'en application des dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, l'article 13 de l'avenant a désigné AG2R comme institution assureur exclusif et a prévu, en son article 14, une clause de migration donnant un caractère obligatoire à l'affiliation à l'organisme désigné à compter du 1er janvier 2007 même pour les entreprises qui auraient un contrat de complémentaire santé auprès d'un autre organisme avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies dans l'avenant ; que cependant, dans sa décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale contraire à la Constitution ;
Attendu, cependant, que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 juin 2013, a énoncé que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n'était pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de la publication de la décision et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité ; qu'il en résulte que les contrats en cours sont les actes ayant le caractère de conventions ou d'accords collectifs ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en oeuvre effective ;
Qu'en statuant comme il a fait, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 février 2015, entre les parties, par le tribunal d'instance de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Villeurbanne ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer la somme de 500 euros au GIE AG2R prévoyance ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Reygner, conseiller en ayant délibéré, en remplacement du conseiller référendaire empêché, conformément aux dispositions de l'article 452 du code de procédure civile, par M. Huglo, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, et par Mme Becker, greffier de chambre présente lors de la mise à disposition du présent arrêt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour le groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R prévoyance
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief au jugement attaqué :
D'AVOIR débouté l'institution AG2R Prévoyance de ses demandes en paiement des cotisations pour 2007 et 2008,
AUX MOTIFS QUE « selon la décision de la CJUE du 3 mars 2011 (Beaudout), il appartient au juge du fond d'évaluer si l'organisme désigné, en l'espèce AG2R, est une entreprise exerçant une activité économique choisie dans le respect des règles de la concurrence ; selon les dispositions des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ; outre que, selon les dispositions de l'article 106 du même traité, les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ; le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union ; en l'espèce, s'il est constant qu'AG2R est une entreprise d'intérêt économique général, au sens des dispositions ci-dessus mentionnées, en revanche, force est d'observer qu'elle a été désignée selon une procédure méconnaissant les dispositions des articles 102 et 106 du TFUE et exploite ainsi de façon abusive une position dominante sur le marché des services de prévoyance du secteur de la boulangerie ; en conséquence, la clause de désignation n° 13 de l'avenant du 24 avril 2006 à la Convention collective du 19 mars 1976 des professions de la boulangerie-pâtisserie n'est pas licite et qu'en conséquence AG2R Prévoyance sera déboutée de sa demande en paiement à l'encontre de M. X... » ;
1°) ALORS QUE la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a décidé, par un arrêt du 3 mars 2011, que l'affiliation obligatoire à un régime de remboursement complémentaire de frais de soins pour l'ensemble des entreprises du secteur concerné à un seul opérateur, sans possibilité de dispense, était conforme aux articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et qu'elle ne constituait donc pas un abus de position dominante ; qu'en décidant toutefois qu'AG2R Prévoyance exploite de façon abusive une position dominante sur le marché des services de prévoyance du secteur de la boulangerie, abus de position dominante pourtant exclu par la Cour de justice de l'Union européenne, la cour d'appel a méconnu le principe de l'autorité absolue de la chose jugée des arrêts de la CJUE ensemble l'article 267 TFUE ;
2°) ALORS QUE, en tout état de cause, aucun texte n'impose que la désignation d'un organisme de prévoyance complémentaire prévue par une convention collective soit soumise à une mise en concurrence préalable ni à un appel d'offres ; qu'en considérant toutefois, pour juger illicite la clause de désignation prévue par l'avenant numéro 83 à la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie pâtisserie, en date du 24 avril 2006, qu'AG2R Prévoyance avait été désignée « selon une procédure méconnaissant les dispositions des articles 102 et 106 du TFUE », la cour d'appel a violé les articles 18, 56, 102 et 106 du TFUE.
SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief au jugement attaqué D'AVOIR débouté l'institution AG2R Prévoyance de ses demandes en paiement des cotisations pour 2007 et 2008,
AUX MOTIFS QUE « en application des dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, l'article 13 de l'avenant a désigné AG2R comme institution assureur exclusif et a prévu en son article 14 une clause de migration donnant un caractère obligatoire à l'affiliation à l'organisme désigné à compter du 1er janvier 2007 même pour les entreprises qui auraient un contrat de complémentaire santé auprès d'un autre organisme avec des garanties identiques ou supérieures à celles définies dans l'avenant ; cependant, dans sa décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale contraire à la Constitution » ;
ALORS QUE, la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 n'a prononcé l'abrogation de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale que pour l'avenir, énonçant que « la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication, et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant du titre III du code de la sécurité sociale et aux mutuelles relevant du code de la mutualité » ; que doivent être considérées comme des « contrats en cours » les conventions collectives imposant l'adhésion par des professionnels d'une branche à un organisme de gestion de prévoyance ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a relevé que l'avenant numéro 83 à la convention collective nationale des entreprises artisanales de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 24 avril 2006 étendu par arrêté du 16 octobre 2006, applicable à compter du 1er janvier 2007, avait mis en place un régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé et désigné la société AG2R Prévoyance comme assureur ; qu'en considérant toutefois, pour débouter AG2R Prévoyance de ses demandes en paiement des cotisations dues par M. X..., que « dans sa décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale contraire à la Constitution », sans rechercher s'il n'existait pas un « contrat en cours » à la date de la décision du 13 juin 2013 rendue par le Conseil constitutionnel, contraignant M. X... à régler ses cotisations à AG2R Prévoyance, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 62 de la Constitution.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15-16529
Date de la décision : 28/09/2016
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Tribunal d'instance de Lyon, 13 février 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 28 sep. 2016, pourvoi n°15-16529


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Delamarre, Me Le Prado, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.16529
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