LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 2122-10-6 du code du travail, ensemble les articles 3 et 8 de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale ;
Attendu, selon le jugement attaqué, que le Syndicat des travailleurs corses (STC), créé en 1984, a déposé sa candidature en vue du scrutin national organisé par le ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, du 28 novembre au 12 décembre 2016, auprès des salariés des Très Petites Entreprises pour mesurer l'audience des organisations syndicales et apprécier leur représentativité en application de la loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 ; que, par décision du 1er juin 2016, la direction générale du travail a déclaré recevable la candidature du STC et, par décision du 16 juin suivant, sa propagande électorale ; que les Confédérations CFDT, CGT, CFTC et FO ont saisi chacune le tribunal d'instance de Paris 15e d'une demande d'annulation de la décision de la direction générale du travail ;
Attendu que, pour faire droit à cette demande, le jugement retient que les statuts du STC disposent en leur article II .3 que "le contenu de son indépendance ne saurait donc aboutir à l'isolement du Syndicat dans la lutte du Peuple Corse. Le S.T.C., combattant et condamnant la domination de type colonial subie par la Corse, ne peut rester indifférent ni à la forme de l'Etat dominateur, parce qu'elle détermine les conditions de sa propre existence, ni à la nature des liens de dépendances imposés à la formation sociale Corse, parce qu'elle fonde la dimension de son propre combat, ni à la candidature de la démarche du projet d'émancipation du Peuple Corse, parce qu'elle concrétise les aspirations fondamentales des travailleurs" ; que les statuts prévoient également que le STC peut s'engager dans des coalitions à condition que leurs objectifs soient compatibles avec les siens : "s'acheminer vers une démocratisation généralisée de l'économie, base fondamentale pour l'autodétermination du Peuple Corse" ; que l'article A/7 dispose que "Les Conseillers prud'homaux sont tenus d'assister aux réunions de l'U.L. et du C.N. Ils doivent prévoir dans leur emploi du temps la tenue de réunions régulières (selon la demande et le nombre de dossiers) avec les permanents plus particulièrement chargés du suivi et du traitement des dossiers prud'homaux" ; qu'il figure sur la profession de foi du STC pour les élections du 28 novembre au 12 décembre 2016 les déclarations suivantes : "Priorité, à qualification égale, à l'embauche locale (pour la Corse, corsisation des emplois) et, au niveau des mutations dans le secteur public, priorité aux fonctionnaires qui voudraient revenir dans leur région d'origine" ; que le STC poursuit manifestement un but politique, qui excède les objectifs des organisations syndicales, apparaissant comme l'outil pour diffuser la doctrine de certains courants politiques ; qu'il s'agit d'une organisation régionaliste défendant des intérêts régionalistes ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que le syndicat STC, indépendamment des mentions figurant dans ses statuts, poursuit dans son action un objectif illicite, contraire aux valeurs républicaines, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 juillet 2016, entre les parties, par le tribunal d'instance de Paris 15e ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Paris 15e, autrement composé ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour le Syndicat des travailleurs corses et M. X..., ès qualités,
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR déclaré illicite l'objet du Syndicat des Travailleurs Corses et d'AVOIR annulé en toutes ses dispositions la décision de la Direction générale du travail en date du 1er juin 2016 ayant déclaré recevable la candidature du Syndicat des Travailleurs Corses au scrutin relatif à la mesure d'audience des organisations syndicales concernant les entreprises de moins de onze salariés ;
AUX MOTIFS QUE l'article L.2122-10-6 du code du travail dispose que les organisations syndicales de salariés qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines, d'indépendance et de transparence financière, légalement constituées depuis au moins deux ans et auxquelles les statuts donnent vocation à être présentes dans le champ géographique concerné, ainsi que les syndicats affiliés à une organisation syndicale représentative au niveau national et interprofessionnel se déclarent candidats auprès des services du ministre chargé du travail dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État ; que l'article R.2122-33 du code du travail dispose que les candidatures des organisations syndicales ayant statutairement vocation à être présentes dans le champ géographique d'une ou de plusieurs régions ou collectivités comprises dans le ressort territorial d'une seule direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi sont déposées auprès de cette direction ; que les candidatures des organisations syndicales ayant statutairement vocation à être présentes sur un champ géographique excédant le ressort territorial d'une seule direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi sont déposées auprès de la direction générale du travail ; que le principe de la liberté syndicale, consacré par les normes internationales, communautaires, constitutionnelles, législatives, autorise les syndicats à se constituer librement, sous réserve toutefois que le syndicat soit fondé sur une cause ou en vue d'un objet licite, qu'il ne poursuive pas des objectifs essentiellement politiques et qu'il n'agisse pas contrairement aux dispositions des articles L. 1132-1 et suivants du code du travail, ni aux principes de non-discrimination contenus dans la constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux auxquels la France est partie ; qu'en l'espèce les statuts du STC mis à jour au mois d'avril 2016 disposent : - en leur article II .3 que : « Le contenu de son indépendance ne saurait donc aboutir à l'isolement du Syndicat dans la lutte du Peuple Corse. Le S.T.C., combattant et condamnant la domination de type colonial subie par la Corse, ne peut rester indifférent : - ni à la forme de l'Etat dominateur, parce qu'elle détermine les conditions de sa propre existence, - ni à la nature des liens de dépendances imposés à la formation sociale Corse, parce qu'elle fonde la dimension de son propre combat, - ni à la candidature de la démarche du projet d'émancipation du Peuple Corse, parce qu'elle concrétise les aspirations fondamentales des travailleurs. [...] En conséquence le S.T.C. se reconnaît le droit de réaliser des rapprochements ou des travaux communs et de dégager des solidarités, propres à l'aider dans ses objectifs. A cet effet, le S. T. C. peut s'engager dans des coalitions à condition […] - que leurs objectifs soient compatibles avec les siens : [...] * s'acheminer vers une démocratisation généralisée de l'économie, base fondamentale pour l'autodétermination du Peuple Corse » ; - en leur article III.4 : Les secteurs que : « […] Le rôle des Secteurs est également de permettre au Syndicat d'élaborer des projets globaux concernant les grands problèmes auxquels est confrontée la Corse en tant que formation Sociale : santé, transports, énergie, etc » ; - en son chapitre II : Les responsables : art A/7 : « Les Conseillers prud'homaux sont tenus d'assister aux réunions de l'U.L. et du C.N. Ils doivent prévoir dans leur emploi du temps la tenue de réunions régulières (selon la demande et le nombre de dossiers) avec les permanents plus particulièrement chargés du suivi et du traitement des dossiers prud'homaux » ; -en son chapitre V : Le secteur : art B/1 : « Chaque secteur est suivi par un Secrétaire National dont le rôle est d'impulser et d'aider à son développement. Le Secrétaire National travaille en relation avec les membres des Sections et les élus Prud'homaux de la même activité » ; qu'également, il figure sur la profession de foi du STC pour les élections du 28 novembre au 12 décembre 2016 les déclarations suivantes : « * Priorité, à qualification égale, à l'embauche locale (pour la Corse, corsisation des emplois) et, au niveau des mutations dans le secteur public, priorité aux fonctionnaires qui voudraient revenir dans leur région d'origine. * Défense des intérêts des régions périphériques et de leur langue. Statut dérogatoire au droit commun communautaire de Bruxelles » ; qu'il ressort de la simple lecture de ces éléments que, sous couvert de droit syndical et de protection des droits des salariés au plan national, le défendeur poursuit une action politique spécifique ; qu'il prône une discrimination fondée sur l'origine régionale entre les salariés en favorisant la « corsisation des emplois » ; qu'il porte atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de la justice en soumettant la mission des conseillers prud'homaux élus sur ses listes au contrôle des permanents chargés du suivi et du traitement des dossiers prud'homaux au sein du syndicat ; que, de plus, les préceptes, tels que développés sont contraires à l'essence même de l'activité syndicale, dont l'objet est de prendre en compte l'intérêt collectif, d'instituer la solidarité des salariés travaillant dans une même collectivité de travail, en vue de corriger les inégalités induites par le lien de subordination du contrat de travail ; que, dès lors, les préceptes du STC portent atteinte aux principes fondamentaux régissant la matière ; que le STC poursuit manifestement un but politique, qui excède les objectifs des organisations syndicales, apparaissant comme l'outil pour diffuser la doctrine de certains courants politiques ; qu'il s'agit d'une organisation régionaliste défendant des intérêts régionalistes ; qu'il ressort donc de ces éléments - les autres moyens étant surabondants - que l'objet du syndicat STC n'est donc pas licite et que cette organisation ne remplit pas les critères d'indépendance et de respect des valeurs républicaines ; qu'elle porte atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de la justice ; que sa qualité de syndicat professionnel est donc contestable ; qu'en conséquence sa candidature, aux prochaines élections dans les TPE, doit être annulée ;
1°- ALORS QUE les statuts du STC revendiquent avec force l'indépendance politique du syndicat ; qu'ils affirment clairement que l'objet de celui-ci est « de regrouper, sur tout le territoire national, sans distinction d'opinions politique, philosophique et religieuse ou d'origine ethnique, les salariés, les fonctionnaires, et autres personnels, qui veulent mener une lutte résolue contre les différentes formes d'exploitation, privées ou d'Etat, liées au mode de production Capitaliste » ; que « le STC affirme son indépendance absolue à l'égard du patronat, bien sûr, mais aussi de tout Etat, gouvernement, tout parti, groupement ou rassemblement politique ou religieux » ; qu'ils interdisent aux mandataires du STC d'exercer un mandat d'ordre politique et précisent que « nul ne pourra se prévaloir de quelque responsabilité que ce soit au STC dans un acte politique ou électoral quelconque » ; que « les adhérents du STC , à quelque niveau que ce soit, ne peuvent impliquer l'organisation syndicale dans leur démarche politique personnelle »; qu'ils excluent « tout soutien spécifique à un parti, mouvement ou homme politique qui pourrait en tirer profit » ; qu'en énonçant, sur le fondement de ces statuts, que « le STC poursuit manifestement un but politique, qui excède les objectifs des organisations syndicales, apparaissant comme l'outil pour diffuser la doctrine de certains courants politiques » et que son objet est donc illicite, le tribunal d'instance a dénaturé les statuts du STC et a violé l'article 1134 du code civil ;
2°- ALORS QU'en application de l'article L.2131-1 du code du travail, si un syndicat ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques, rien ne lui interdit de dénoncer les choix politiques de l'Etat qui a des répercussions sur les intérêts moraux, économiques et sociaux de ses membres et de souligner notamment les abus d'une politique économique et sociale à l'égard d'une région ; qu'en l'espèce, les statuts du STC visent la défense des intérêts professionnels de ses adhérents sur tout le territoire national en affirmant leur nécessaire solidarité dont ne peuvent être exclus les travailleurs de Corse en raison des décisions économiques et sociales de l'Etat imposées à cette région ; qu'en considérant cependant que l'objet du syndicat n'est pas licite en ce qu'il poursuit une action politique spécifique, qu'il s'agit d'une organisation régionaliste défendant des intérêts régionalistes présentant un caractère discriminatoire fondée sur l'origine régionale entre les salariés, le tribunal d'instance qui a méconnu les statuts, a violé les articles L.2131-1 , L.2122-10-6 et L.2121-1 du code du travail ;
3°- ALORS QUE la profession de foi du STC pour les élections du 28 novembre au 12 décembre 2016 qui s'adresse à tous les travailleurs nationaux , du secteur privé comme du secteur public, avec pour mot d'ordre la solidarité entre tous, revendique, entre autres éléments, la priorité, à qualification égale, à l'embauche locale et au niveau des mutations dans le secteur public, la priorité aux fonctionnaires qui voudraient revenir dans leur région d'origine, ce qui vaut pour toutes les régions ; que la citation à titre d'exemple, pour l'embauche locale, de la Corse avec l'emploi du terme « corsisation des emplois » n'a donc aucun caractère discriminatoire ; qu'en jugeant le contraire, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard des articles L.2122-10-6, L.2121-1 et L.2131-1 du code du travail ;
4°- ALORS QUE le STC a fait valoir dans ses conclusions que, créé depuis 1984, il a mené, pendant plus de trente ans, de multiples actions tant en Corse que sur le continent ; qu'il a participé à de nombreuses élections professionnelles ayant abouti à son élection, en particulier, depuis 1996, dans la fonction publique d'Etat au sein de l'éducation nationale, qu'il dispose de plusieurs sections syndicales hors de la Corse et notamment à Nice, Marseille, Montpellier, Toulon et en Normandie ; qu'en affirmant de manière péremptoire que le STC est une organisation régionaliste défendant des intérêts régionalistes pour en déduire qu'il porterait atteinte au principe de non-discrimination en violation des valeurs républicaines et en laissant sans réponse les conclusions du STC faisant ressortir son action nationale, exclusive de toute discrimination régionaliste, le tribunal d'instance a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5° ALORS de plus que le règlement intérieur du STC se borne à prévoir la participation des conseillers prud'homaux désignés par le STC à des réunions de l'union locale ou du conseil national du syndicat ; qu'en énonçant qu'il soumet la mission des conseillers prud'homaux élus sur des listes aux contrôle des permanents chargés du suivi et du traitement des dossiers prud'homaux au sein du syndicat pour en déduire que le STC porte atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de la justice, quand le règlement intérieur du STC ne prévoit pas un tel contrôle, le tribunal d'instance a dénaturé le règlement intérieur et a violé l'article 1134 du code civil ;
6°- ALORS QUE le conseiller prud'homal salarié, qu'il soit élu ou qu'il procède de la désignation par une organisation syndicale représentative comme le prévoit l'ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016, est en droit de participer à des réunions organisées par le syndicat dont il est membre, sans qu'il y ait pour autant atteinte au principe d'indépendance et d'impartialité de la justice ; qu'en jugeant le contraire, le tribunal d'instance n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.2122-10-6 et L.2121-1 du code du travail.