LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Georges X... est décédé le 30 septembre 1993, laissant pour lui succéder son épouse, Mme Y..., commune en biens meubles et acquêts, donataire de la plus large quotité entre époux, ayant opté pour l'usufruit des biens successoraux, et leurs trois enfants, Anne-Marie, Françoise et Georges X..., chacun héritier pour un tiers ; qu'en suite de l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession, Mme Françoise X... a sollicité la répétition des réparations, améliorations et travaux par elle apportés à l'immeuble indivis qu'elle a occupé, de 2000 à 2010, en vertu d'un prêt à usage consenti par sa mère ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, ci-après annexé :
Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur la troisième branche du moyen :
Vu les articles 1886 et 1890 du code civil ;
Attendu qu'en vertu du second de ces textes, seules peuvent être répétées les dépenses extraordinaires, nécessaires et tellement urgentes que l'emprunteur n'a pu en prévenir le prêteur ; que, selon le premier, toutes autres dépenses que ferait l'emprunteur, y compris pour user de la chose, ne sont pas soumises à répétition ;
Attendu que, pour dire Mme Françoise X... fondée à obtenir le remboursement par Mme Y... des travaux exécutés dans l'immeuble litigieux, sous réserve qu'ils correspondent à des dépenses nécessaires pour user de la chose, l'arrêt retient que les dépenses extraordinaires doivent être supportées par le prêteur dès lors que l'immeuble continue de lui appartenir et d'être à ses risques, et que leur charge ferait disparaître la gratuité du prêt, élément essentiel du contrat ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit Mme Françoise X... fondée à obtenir le remboursement par Mme Y... des travaux exécutés dans l'immeuble situé à Cavaillon, 23 rue Paul Ponce, sous réserve qu'ils entrent dans la catégorie des dépenses ordinaires incompatibles avec la gratuité du prêt au sens de l'application de l'article 1886 du code civil, en ce qu'il ordonne avant dire droit un complément d'expertise aux fins de fixer le montant du remboursement, et en ce qu'il condamne Mme Y... à payer à Mme Françoise X... une provision de 20 000 euros à valoir sur ce remboursement, l'arrêt rendu le 23 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;
Condamne Mme Francoise X... et Mme Anne-Marie X..., épouse Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme Y..., veuve X...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit Mme Françoise X... fondée à obtenir remboursement par Mme Marie-Françoise X... des travaux exécutés dans l'immeuble situé à Cavaillon 23 rue Paul Ponce sous réserve qu'ils entrent à la fois dans la catégorie des travaux d'entretien au sens de l'article 605 du code civil et dans la catégorie des dépenses ordinaires incompatibles avec la gratuité du prêt au sens de l'application de l'article 1866 [en réalité, 1886] du code civil et d'avoir, avant-dire droit, sur le montant du remboursement, donné mission complémentaire à l'expert désigné pour évaluer les immeubles dépendant de la succession de Georges X..., de fixer la valeur locative de l'immeuble situé 23 rue Paul ponce à Cavaillon à ce jour et en 2002, la valeur qu'aurait eu l'immeuble en 2014 s'il était resté en l'état de 2002, de répertorier l'ensemble des travaux exécutés dans l'immeuble par Mme Françoise X... au regard de l'état de l'immeuble en 2002, d'en préciser la nature – de conservation, d'amélioration, de mise en conformité – et de chiffrer leur montant, enfin d'avoir condamné Mme Marie-Françoise Y... à payer à Mme Françoise X... une provision de 20 000 euros à valoir sur le remboursement des travaux,
AUX MOTIFS QUE « M. Georges X... est décédé le 30 septembre 1993 à Cavaillon laissant pour lui succéder son épouse survivante Mme Marie-Françoise Y..., commune en biens meubles et acquêts, donataire de la plus large quotité entre époux et par suite de l'option exercée dans l'acte de notoriété, usufruitière légale du quart des biens dépendants de la succession, et ses trois enfants Mme Anne-Marie X... épouse Z..., Mme Françoise X... et M. Georges X..., chacun héritier pour un tiers sauf droit du conjoint survivant ;
De 2000 à 2010, Mme Françoise X... va occuper et rénover l'immeuble situé à Cavaillon, 23 avenue Paul Ponce dépendant de cette succession ; (…)
Le litige est circonscrit à la demande d'indemnisation formée par Mme Françoise X... au titre des travaux qu'elle a réalisés dans cet immeuble ; ne requérant plus la liquidation de la succession de M. Georges X..., elle ne fonde pas sa demande d'indemnisation sur les règles de l'indivision et l'article 815-13 du code civil mais sur celles du prêt à usage, plus particulièrement les articles 1866 et 1890 du code civil, ainsi que l'usufruit, au visa des articles 605 et 606 du code civil ;
Or force est de constater, au visa de l'arrêt rendu par cette même cour le 30 mars 2010, que la nue-propriété ne donnant pas droit à l'occupation de l'immeuble cadastré à Cavaillon, section C1 n° 99 lieudit 23 rue Paul Ponce, Mme Marie-Françoise Y..., nue-propriétaire indivise, n'est entrée dans les lieux qu'avec la seule autorisation de l'usufruitière, Mme Marie-Françoise Y... épouse X..., laquelle lui a concédé un prêt à usage de cet immeuble sur la période courant de 2002 au 10 juin 2010, date de la restitution des clés ;
Compte tenu de la gratuité du prêt, Mme Françoise X... n'est effectivement redevable d'aucune indemnité d'occupation ni envers Mme Marie-Françoise X..., prêteur, ni encore moins envers ses co-indivisaires nus-propriétaires du fait même de la combinaison de l'usufruit de la mère et du prêt à usage qu'elle lui a consenti ;
Par suite en se fondant sur les règles du prêt à usage et de l'usufruit, Mme Françoise X... n'est fondée à poursuivre sa demande d'indemnisation des travaux qu'à l'encontre de la seule Mme Marie-Françoise Y... veuve X..., prêteur et usufruitier ;
En matière de prêt à usage, l'article 1886 du code civil stipule que " si pour user de la chose, l'emprunteur a fait quelques dépenses, il ne peut pas la répéter " ; partant de ce constat, le premier juge a débouté purement et simplement Mme Françoise X... de sa demande en répétition des dépenses qu'elle a effectuées ;
Cependant, cet article 1886 du code civil vise exclusivement les dépenses d'entretien ordinaire ; elles sont définies a contrario par opposition aux dépenses " extraordinaires " de l'article 1890 du code civil auxquelles " l'emprunteur a été obligé pour la conservation de la chose, … dépense extraordinaire, nécessaire et tellement urgente qu'il n'ait pas pu en prévenir le prêteur, celui-ci sera tenu de rembourser ; "
La jurisprudence a cependant assigné une limite au domaine d'application de l'article 1886 du code civil et considère que la définition même du prêt à usage permet de présumer que les parties n'ont pas entendu que l'emprunteur assume définitivement toutes les dépenses nécessaires pour user de la chose, dans quoi une telle charge ferait disparaître la gratuité du prêt, élément essentiel du contrat ;
La dépense ordinaire est donc celle dont la charge, serait-elle imprévisible, est compatible avec la gratuité du prêt ; les dépenses extraordinaires quant à elles doivent être supportées par le prêteur parce que l'immeuble continue de lui appartenir et d'être à ses risques ;
En matière d'usufruit, l'usufruitier n'est tenu en vertu de l'article 605 du code civil qu'aux réparations d'entretien définies elles aussi a contrario par opposition aux grosses réparations demeurant à la charge du propriétaire, lesquelles sont limitativement énumérées par l'article 606 du code civil comme étant celles des gros murs, des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, des digues, des murs de soutènement et de clôture aussi en entier ;
Mme Françoise X... soutient qu'elle a obtenu l'autorisation de sa mère pour mettre en oeuvre les travaux conséquents au sein de l'immeuble prêté ;
Elle ne fournit aucun écrit à l'appui de ses affirmations mais du fait des liens familiaux et d'affection établis entre les parties, elle est placée dans l'impossibilité morale de produire une preuve littérale ;
En l'espèce, il ressort tant des attestations que des photographies versées aux débats, dont la régularité, pour les premières, et l'authenticité, tout particulièrement pour les secondes, ne sont pas remises en cause par les intimés, que Mme Marie-Françoise X... a été présente à plusieurs reprises de 2002 à 2009 au domicile de sa fille Françoise X... et ce pendant la période d'exécution des travaux ; Mme Hamida A... témoigne de ce que celle-ci donnait son avis sur les travaux et déclarait surveiller les travaux pendant la journée ; M. Frédéric B..., gérant de la Sarl Vaucluse Gaz entretien, atteste de la présence de Mme Marie-Françoise X... lors de son intervention au 23 avenue Paul Ponce à Cavaillon et de ce qu'elle a été parfaitement informée des travaux de ventilation effectués dans la salle de bain et du remplacement de la chaufferie ;
Ces pièces et photographies de même que l'estimation amiable du seul immeuble sis au 23 avenue Paul Ponce confiée par Mme Y... à M. C... en 2002 peu avant l'entrée dans les lieux de Mme Françoise X... et enfin, les déclarations de Mme Anne-Marie X... épouse Z... qui ne peuvent être écartées du seul fait qu'elle aurait fait cause commune avec sa soeur Françoise, confirment l'accord de Mme Marie-France X... sur l'exécution des travaux réalisés par sa fille Françoise dans l'immeuble qu'elle lui a prêté ;
Les travaux réalisés par Mme Françoise X... l'ont donc été avec l'accord de sa mère, Mme Marie-Françoise Y... veuve X..., prêteur et usufruitière des lieux ;
Elle ne rapporte pas en preuve qu'ils aient été réalisés avec l'accord de l'ensemble des autres nus-propriétaires et tout particulièrement de M. Georges X... ;
Elle peut donc valablement prétendre à leur remboursement par Mme Marie-Françoise X... sous réserve qu'ils entrent à la fois dans la catégorie des travaux d'entretien au sens de l'article 605 du code civil, ce qu'il paraît sauf plus ample vérification, un tel vocable englobant les dépenses d'amélioration qui ne sont pas les grosses réparations de l'article 606 du code civil, mais surtout dans la catégorie des dépenses ordinaires qui dépassent la gratuité du prêt et qui de fait ne doivent pas demeurer à la charge de l'emprunteur ;
Pour ce faire, alors même que Mme Françoise X... ne chiffre pas le montant des travaux dont elle demande remboursement, se limitant à solliciter paiement de la somme de 200 000 euros au titre de la plus-value qu'elle estime avoir apporté à l'immeuble, il sera, avant-dire droit sur le montant du remboursement des travaux, donné mission complémentaire à Mme Marie-Françoise D..., expert précédemment commis, avec possibilité de s'adjoindre tout sapiteur, de répertorier l'ensemble des travaux exécutés dans l'immeuble par Mme Françoise X... au regard de l'état de l'immeuble en 2002 tel qu'il ressort du rapport Lalière et de toutes pièces qui lui seront communiquées par les parties, d'en préciser leur nature – de conservation, d'amélioration, de mise en conformité – et de les chiffrer ; il appartiendra à la cour d'apprécier ensuite la qualification des dépenses effectuées et leur charge définitive ;
A cette fin, et pour permettre à la cour de déterminer les dépenses ordinaires dépassant la gratuité du prêt, il sera donné mission à ce même expert de fixer la valeur locative de l'immeuble à ce jour, la valeur locative de l'immeuble en 2002 au vu du rapport Lalière et la valeur locative qu'aurait eu l'immeuble en 2014 s'il était resté en l'état de 2002 ;
Les éléments en possession de la cour et tout particulièrement les factures de maçonnerie de E... Stéphane, d'installation de plomberie et de chauffage de la Sarl Multiconnexion, autorisent la fixation d'une indemnité provisionnelle au bénéfice de Mme Françoise X... et à la charge de Mme Marie-Françoise X... à la somme de 20 000 euros » (arrêt attaqué, p. 2, 5 à 7).
1°) ALORS QUE Mme Y... faisait valoir dans ses conclusions qu'elle n'avait jamais été d'accord pour assumer la charge des travaux entrepris par sa fille, Mme Françoise X..., dans l'immeuble sis 23 rue Paul Ponce à Cavaillon (conclusions d'appel p. 8, al. 7 et s.) ; qu'en se contentant de relever que Mme Y... était d'accord pour l'exécution des travaux sans rechercher si elle avait accepté d'en assumer la charge financière, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent se fonder sur des motifs abstraits pour caractériser l'impossibilité morale de se procurer un écrit, l'impossibilité morale devant être caractérisée par les circonstances particulières qu'il leur appartient de relever ; qu'à supposer que l'arrêt doive être interprété comme ayant considéré que l'accord pour l'exécution des travaux signifiait l'engagement d'en assumer la charge, en jugeant que du fait des liens familiaux et d'affection établis entre les parties, Mme X... était dans l'impossibilité morale de produire une preuve littérale de l'accord de Mme Y... pour l'exécution des travaux, sans caractériser les circonstances particulières d'où serait résultée en l'espèce une telle impossibilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1348 du code civil ;
3°) ALORS QU'en application de l'article 1890 du code civil, seules peuvent être répétées les dépenses extraordinaires, nécessaires, et tellement urgentes que l'emprunteur n'ait pu en prévenir le prêteur ; que selon l'article 1886 du même code, toutes autres dépenses que ferait l'emprunteur, y compris pour user de la chose, ne peuvent être répétées ; qu'en jugeant qu'il existerait des dépenses ordinaires qui ne relèveraient pas de l'article 1886 du code civil et pourraient être répétées, la cour d'appel a violé les articles 1886 et 1890 du code civil ;
4°) ALORS, en tout état de cause, QUE le nu-propriétaire occupant un bien en vertu d'un prêt à usage consenti par l'usufruitier, qui décide d'effectuer des travaux ne relevant pas des grosses réparations, ne peut en demander le remboursement à l'usufruitier que si ces travaux étaient nécessaires à l'entretien du bien ; qu'en jugeant que Mme X... était fondée à obtenir le remboursement des travaux qu'elle avait effectués dans l'immeuble qu'elle occupait puisqu'il s'agissait de travaux d'amélioration ne constituant pas de grosses réparations, la cour d'appel a violé les articles 605 et 606 du code civil, ensemble les articles 1886 et 1890 du même code.