Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Nicolas X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5e chambre, en date du 7 avril 2015, qui, pour exercice illégal de la pharmacie, l'a condamné à 30 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 mai 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller FARRENQ-NÉSI, les observations de Me BLONDEL, de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN, SOLTNER et TEXIDOR, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 4223-1, L. 4211-1 et L. 5111-1 du code de la santé publique, des articles 551 et 593 du code de procédure pénale, de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et 121-3 du code pénal ;
" en ce que l'arrêt attaqué a retenu le prévenu dans les liens de la prévention et en répression l'a condamné à une amende de 30 000 euros, ensemble a ordonné aux frais du prévenu, dans la limite de 5 000 euros HT, la diffusion du dispositif de l'arrêt dans « Le Quotidien du Pharmacien » et dans le journal « Aujourd'hui en France » ;
" aux motifs propres et non contraires sur le fond que rien au temps de la poursuite ne permettait de dire que le Prostagenol était un médicament par fonction ainsi qu'il ressort de l'avis formalisé de l'Agence Française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), joint au dossier, en date du 16 février 2011 ; que les racines d'orties (urtica dioica) entrant dans la composition du Prostagenol sont d'ailleurs désormais expressément autorisées en tant qu'elles seraient incluses dans des compléments alimentaires, ainsi que cela ressort de l'arrêté du 24 juin 2014 publié le 17 juillet 2014 ; qu'il ne peut donc plus être soutenu que ces racines d'orties sont du domaine exclusif de la pharmacopée et qu'elles participent du seul médicament par fonction ;
" aux motifs encore que l'Agence Française de sécurité sanitaire des produits de santé, consultée en cours d'instruction, concluait dans le même avis du 16 février 2011, que le Prostagenol était susceptible d'entrer dans la définition du « médicament par présentation en raison des nombreuses allégations relatives aux troubles de la prostate sur la brochure promotionnelle fournie [...] ainsi que, d'une part, la référence à des études cliniques et, d'autre part, à de nombreux témoignages de personnes attestant de l'efficacité du produit dans le traitement et/ ou la prévention des troubles de la prostate et des symptômes associés » ; que les documents publicitaires versés au dossier vantent en effet les propriétés préventives et curatives du Prostagénol à l'égard des troubles de la prostate ; que toutefois, si M. X... a établi la fiche technique du Prostagénol, il nie avoir été le rédacteur des mailings et des brochures promotionnelles ou publicitaires mis au point par celui qui l'a distribué ; que M. Jean Y..., qui a distribué le Prostagénol sous l'enseigne Performance plus, a déclaré avoir établi lui-même lesdits prospectus à partir des éléments que lui a donnés M. X... et ainsi du dossier technique remis à la DGCCRF par ce dernier ; que ce dossier, joint à la procédure, porte la mention « confidentiel », énumère et décrit les composants du Prostagénol ainsi que ses effets issus des expériences conduites sur plusieurs hommes restés anonymes ; que le Prostagénol y est présenté certes comme un nutriment naturel mais doté de propriétés propres aux médicaments car apte à soigner efficacement les maladies et les troubles de la prostate et le vocabulaire employé de même que la trame dudit dossier et la méthode d'essai du Prostagénol, comparé à la prise de placebos, sont typiques de la littérature médicale et pharmaceutique à caractère scientifique, étant observé que l'on y lit notamment s'agissant des composants du Prostagénol : « Les fruits de Sabal ont été utilisés dans de nombreuses études cliniques ayant pour objet le traitement symptomatique des troubles urinaires associés avec l'hypertrophie de la prostate. La littérature scientifique anglaise suggère son utilisation régulière comme agent diurétique et chez les individus qui subissent un élargissement de la prostate [...]. L'utilisation d'Urtica Dioca dans le traitement symptomatique des troubles de la miction (nycturie, polyurie, rétention urinaire) associés avec l'HBP, présente une innovation récente [...]. Le zinc et son action sur la prostate sont décrits dans la littérature qui préconise son usage dans le traitement de l'hypertrophie prostatique [...]. L'utilisation de la vitamine E dans le traitement de l'adénome prostatique a fait récemment l'objet d'un travail jugé positif [...] » ;
" aux motifs aussi qu'on y lit : « étude la plus importante conduite sur 1 330 individus recevant une dose journalière de 160 mg d'un extrait lipido-stérolique pour une période de six mois […] ; que cette étude a montré une amélioration du volume urinaire post résiduel (baisse de 50 %), de la fréquence urinaire (baisse de 37 %) et de la nycturie (baisse de 54 %). Dans l'ensemble, 80 % des individus ont jugé l'administration de l'extrait comme bon à excellent […] ; qu'une étude prospective multicentrique de trois ans a été effectuée sur 435 individus afin d'examiner les effets de l'extrait du fruit de Sabal à dose journalière de 320 mg ; que les résultats confirment une amélioration régulière de la miction des individus, décroissance prononcée des symptômes résiduels (baisse de 50 %) et accroissement du pic du débit urinaire […] ; qu'une autre étude multicentrique, en ouvert, a rassemblé 505 individus souffrant d'une forme d'hypertrophie bénigne à modéré ; que ces derniers recevaient 160 mg de l'extrait du fruit de Sabal deux fois par jour pendant trois mois […] ; que toutes les études sont parvenues à la conclusion suivante : l'extrait était significativement plus efficace pour réduire les symptômes que le placebo […]. Les études cliniques documentées rapportent une bonne tolérance de Serenae repens chez l'homme ; que dans la plupart des études cliniques des effets secondaires mineurs, gastro-intestinaux, ont été rapportés ;
" aux motifs que M. X... ne saurait sérieusement soutenir, eu égard au contenu du dossier technique qu'il a établi et qui a ainsi été rappelé par extraits, qu'il n'y a fait qu'évoquer les vertus nutritionnelles d'un complément alimentaire alors qu'il s'y est livré à un argumentaire détaillé sur les symptômes, la posologie, l'administration des substances, le mode d'emploi, les effets secondaires et les effets bénéfiques du Prostagénol présentés comme une thérapie efficace et éprouvée des maladies de la prostate ; qu'il s'est ainsi livré, quoi qu'il en dise, à des opérations réservées aux pharmaciens sans remplir les conditions d'exercice de la profession et il a donné au distributeur tous les éléments nécessaires pour établir leurs documents qui font du Prostagénol un véritable médicament doté de propriétés curatives appréciables, ainsi que lui-même l'a présenté dans le dossier technique qu'il a dressé, alors qu'il n'a pas les compétences d'un pharmacien et qu'il revendique pourtant le traitement de pathologies de la prostate, ce qui est en outre de nature à détourner ceux qui en souffrent des remèdes adéquats et validés par ceux qui ont la légitimité et le savoir pour le faire ; qu'il est ainsi coupable des faits visés dans la poursuite et sera sanctionné par une amende de 30 000 euros pour avoir présenté dans son dossier technique, support de la commercialisation ultérieure qui en sera faite par les distributeurs, le Prostagénol comme un médicament, ce qui ressort encore de la sonorité du mot lui-même ;
" et aux motifs qu'il supportera, dans la limite de 5 000 hors taxe, en application de l'article L. 4223-1 du code de la santé publique et de l'article 131-35 du code pénal, les frais de diffusion du dispositif du présent arrêt dans « Le Quotidien du Pharmacien » et dans « Aujourd'hui en France » ;
" 1°) alors que dans ses conclusions, le mis en cause insistait sur la circonstance que la citation ne visait que les textes relatifs à un exercice illégal de la pharmacie, à savoir les articles L. 4223-1, alinéa 1, et L. 4211-1 du code de la santé publique et réprimés par l'article L. 4223-1, alinéas 1 et 2, du même code, à l'exclusion de toute autre disposition relative à la notion de médicament, qu'il y avait dès lors lieu de constater que la citation saisissant la juridiction correctionnelle ne visait pas les dispositions de l'article L. 5111-1 du code de la santé publique relatives au médicament ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans s'exprimer sur ce moyen péremptoire relatif à la saisine de la juridiction répressive, la cour méconnaît les exigences de l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble celle de l'article préliminaire du même code et de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" 2°) alors que, par ailleurs et en toute hypothèse, le mis en cause faisait état de l'absence d'éléments intentionnels au sens de l'article 121-3 du code pénal, ensemble de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'à aucun moment les juges du fond ne caractérisent l'élément intentionnel et/ ou moral de l'infraction retenue, en sorte que l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié au regard des textes cités au moyen ;
" 3°) alors, en tout etat de cause, qu'en ordonnant aux frais de M. X..., dans la limite de 5 000 euros HT, la diffusion du dispositif de l'arrêt dans « Le Quotidien du Pharmacien » et dans « Aujourd'hui en France », sans préciser que la somme en cause concernait chaque diffusion ou les deux diffusions prévues dans le dispositif, la cour ne met pas à même la Cour de cassation d'exercer son contrôle au regard des textes et principes cités au moyen " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 4211-1 et L. 4223-1 du code de la santé publique, 2 du code de procédure pénale, 593 du même code et 1382 du code civil ;
" en ce que l'arrêt infirmatif sur ce point a condamné le prévenu à régler au Conseil National de l'Ordre des pharmaciens la somme de 10 000 euros en réparation d'un préjudice matériel et moral collectif ;
" au seul motif que le mis en cause sera condamné à verser 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral collectif issu de l'infraction commise ;
" 1°) alors que la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée sur le fondement du premier moyen entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef ici querellé du dispositif de l'arrêt ;
" 2°) alors, et en toute hypothèse, que la cour, pour infirmer le jugement entrepris sur le montant de la condamnation à titre de dommages-intérêts fixée à un euro par les premiers juges et retenir la somme de 10 000 euros au titre d'un prétendu préjudice matériel et moral collectif né de l'infraction, ne consacre absolument aucun motif et ne distingue en rien ce qui relève du préjudice matériel et ce qui relève du préjudice moral collectif, d'où une méconnaissance de l'article 593 du code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile du Conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) M. Nicolas X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir exercé illégalement la pharmacie en procédant à la commercialisation d'un produit dénommé Prostagénol, considéré par le CNOP comme relevant du monopole de cette profession ; qu'il a été déclaré coupable par le tribunal qui a alloué des dommages-intérêts à la partie civile ; que M. X... et le ministère public ont interjeté appel de la décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir précisé que, même si l'article L. 5111-1 du code de la santé publique qui définit les médicaments n'est pas visé dans la citation, l'exercice de la pharmacie tend par nature à la préparation ou à la vente de médicaments, relève que M. X... a établi le dossier technique du Prostagénol dans lequel il s'est livré à un argumentaire détaillé sur les symptômes, la posologie, l'administration des substances, le mode d'emploi, les effets secondaires et les effets bénéfiques de ce produit présenté dans ce dossier comme une thérapie efficace et éprouvée des maladies de la prostate ; que les juges ajoutent qu'il a ainsi donné aux distributeurs tous les éléments nécessaires pour établir leurs documents publicitaires qui font de ce produit un véritable médicament doté de propriétés curatives appréciables ; qu'ils en déduisent que le prévenu s'est livré à des opérations réservées aux pharmaciens sans remplir les conditions d'exercice de leur profession, alors qu'il n'a pas les compétences d'un pharmacien et qu'il revendique le traitement de pathologies de la prostate, ce qui est de nature à détourner ceux qui en souffrent des remèdes adéquats et validés par ceux qui ont la légitimité et le savoir pour le faire ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que M. X... a agi en connaissance de cause, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait sur l'étendue de sa saisine, et qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'exercice illégal de la pharmacie dont elle a déclaré le prévenu coupable, a ainsi justifié l'allocation à la partie civile de l'indemnité globale propre à réparer le préjudice en résultant ;
D'où il suit que les moyens, dont le premier, en sa troisième branche, est irrecevable en ce qu'il se fonde sur une difficulté éventuelle d'exécution de l'arrêt attaqué relative à la mesure de publication relevant de la procédure prévue aux articles 710 et 711 du code de procédure pénale, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. X... devra payer au CNOP au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.