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15/06/2016 | FRANCE | N°16-80347

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 juin 2016, 16-80347


Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Alexandre X...,- M. Ali Y...,- M. Jaoiad Z...,- M. Nabil A...,- M. Rachid B...,- M. Yassine A...,- M. Mohamed C...,- M. Alexandre D...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 8 décembre 2015, qui, dans l'information suivie notamment contre eux des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er juin 201

6 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Chauchis, conseiller ra...

Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Alexandre X...,- M. Ali Y...,- M. Jaoiad Z...,- M. Nabil A...,- M. Rachid B...,- M. Yassine A...,- M. Mohamed C...,- M. Alexandre D...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 8 décembre 2015, qui, dans l'information suivie notamment contre eux des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er juin 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Chauchis, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mme Zerbib, conseillers de la chambre, Mme Chauchis, conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Le Baut ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CHAUCHIS, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 21 mars 2016, prescrivant l'examen immédiat des pourvois ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 161-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré de la nullité des six expertises ordonnées en urgence en dérogeant au contradictoire ;
" aux motifs que le requérant et huit mis en examen font ensuite grief au juge d'instruction d'avoir ordonné six expertises en motivant, pour établir l'impossibilité de différer pendant le délai de dix jours les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions des experts, avec les seules indications suivantes " vu l'urgence, et eu égard aux besoins des investigations en cours, aux dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale, la présente ordonnance n'a pas été communiquée aux parties " et indiqué, dès lors que les opérations d'expertises pouvaient commencer sans délai ; que la loi du 5 mars 2007, aux termes de l'alinéa 1, de l'article 161-1 du code de procédure pénale rappelé dans les mémoires, a posé le principe d'une communication des ordonnances de commission d'experts pour permettre aux parties et au procureur de la République de formuler, dans les dix jours, des observations voire des demandes quant à la mission d'expertise ou à l'adjonction d'expert ; qu'en cas de refus le règlement du conflit est régi par l'alinéa 2, du même article ; que pour tenir compte des spécificités de l'information judiciaire pénale il est prévu trois exceptions à ce principe, en vertu de l'article 161 alinéa 3, du code, dont seules deux intéressant le cas d'espèce, d'une part l'urgence, d'autre part le risque d'entrave à l'accomplissement des investigations du fait de la communication de l'ordonnance ; que plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont clairement posé le principe d'une motivation concrète de l'urgence destinée à établir en quoi l'accomplissement de la mission ne pouvait être différé de dix jours ; que peu importe le type d'expertise dont s'agit, hormis celles constituant la troisième exception au principe érigé par l'article, intéressant uniquement le préjudice d'une victime, par conséquent hors sujet ; qu'en revanche, il ne semble pas au regard des décisions analysées que la haute cour impose, comme pour l'urgence, une motivation concrète et approfondie du risque d'entrave aux investigations ; qu'au contraire, par sa jurisprudence récente, la chambre criminelle a pu estimer que les motifs de l'arrêt d'une chambre de l'instruction et les pièces de la procédure suffisaient à établir que la communication de la décision ordonnant l'expertise aurait risqué d'entraver l'accomplissement des investigations ; que précisément dans le cas présent, ainsi qu'il résulte du résumé des faits qui précède, et des motifs plus haut, les investigations menées par l'office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCTRIS) sous l'égide du procureur de la République et du juge d'instruction ont permis, bien sûr à supposer établis les faits reprochés, de démanteler progressivement pas à pas, ce qui s'apparentait au départ à un trafic de cannabis entre le Maroc, la Tunisie, l'Espagne et la France, et qui s'est avéré être d'une envergure beaucoup plus vaste ; que, toujours à supposer établis les faits reprochés, grâce à ces investigations les enquêteurs ont tout fait pour tenter de déjouer au moins en partie l'importation de la cocaïne par torpille soudée sur la coque d'un navire, mode utilisé par les cartels de la drogue sud-américains ; que la confidentialité des investigations, en ce comprises les expertises, a permis de les doter de l'efficacité, pendant de la réactivité, en proportion des moyens logistiques hors normes utilisés par les trafiquants ; que, par conséquent les ordonnances de commission d'expert critiquées, expertises en téléphonie, en toxicologie, en comparaison d'empreintes génétiques ont été rendues en protégeant cette confidentialité nécessaire et ne pouvaient détailler les entraves aux investigations ; que le moyen tiré de la nullité alléguée sera également rejeté ;
" alors qu'en vertu de l'article 161-1 du code de procédure pénale, l'expertise doit être réalisée de manière contradictoire, la décision l'ordonnant devant être communiquée aux parties et ces dernières devant pouvoir formuler diverses observations ; que l'alinéa 3, de ce texte prévoit qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'en cas d'urgence ou lorsque la communication aux parties risque d'entraver l'accomplissement des investigations ; qu'il ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle que la décision du juge d'instruction de se soustraire au contradictoire doit être motivée au regard des circonstances de l'espèce ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction ne pouvait s'abstenir de faire droit au moyen de nullité après avoir constaté que le magistrat instructeur avait, à des dates différentes, ordonné six expertises (en téléphonie, en toxicologie, en comparaison d'empreintes génétiques) en se bornant à indiquer, pour justifier qu'il soit dérogé au contradictoire ; que, " vu l'urgence, et eu égard aux besoins des investigations en cours, aux dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale, la présente ordonnance n'a pas été communiquée aux parties " ;
Vu les articles 161-1 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; qu'en application de l'alinéa 3, du même texte, il peut être dérogé à cette obligation lorsque les opérations d'expertise doivent intervenir en urgence ou que la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure que, le 22 octobre 2013, l'office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCTRIS) a recueilli un renseignement relatif à l'existence d'un trafic international de stupéfiants entre la France et l'Espagne sur la base duquel une enquête préliminaire a été diligentée ; que, le 26 novembre 2013, une information judiciaire a été ouverte par le procureur de la République, contre personne non dénommée, des chefs d'acquisition, détention, transport, offre ou cession et importation illicites de cannabis, substance ou plante classée comme stupéfiants, association de malfaiteurs en vue de commettre les dites infractions, blanchiment de stupéfiants, dans le département des Hauts-de-Seine et à Paris, courant 2013 jusqu'au 26 novembre 2013 ; qu'à l'issue des résultats des premières investigations menées sur commission rogatoire du juge d'instruction, le procureur de la République délivrait un réquisitoire supplétif, en date du 14 avril 2014, élargissant les dates et lieux visés et visant au surplus un trafic de cocaïne ; que, par réquisitoires supplétifs des 24 octobre 2014, 3 et 11 mars 2015, une extension dans le temps de la saisine du juge a été à nouveau requise ; qu'au cours de l'information, MM. Alexandre X..., Ali Y..., Jaoiad Z..., Nabil A..., Rachid B..., Yassine A..., Mohamed C..., Alexandre D... ont été mis en examen ; qu'ont été ordonnées plusieurs expertises aux fins, d'une part, d'analyses biologiques sur certains biens matériels placés sous scellés, d'autre part, d'analyses toxicologiques sur les stupéfiants saisis, également placés sous scellés ; que MM. X..., Y..., Z..., Nabil A..., B..., Yassine A..., C..., D...ont déposé des requêtes en annulation d'actes de la procédure ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité des ordonnances de commission d'expert tirée de la violation de l'article 161-1 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué retient qu'en l'espèce, les investigations menées par l'OCRTIS sous l'égide du procureur de la République et du juge d'instruction ont permis, à supposer établis les faits reprochés, de démanteler progressivement pas à pas, ce qui s'apparentait au départ à un trafic de cannabis entre le Maroc, la Tunisie, l'Espagne et la France, et qui s'est avéré être d'une envergure beaucoup plus vaste ; que, toujours à supposer établis les faits reprochés, grâce à ces investigations les enquêteurs ont tout fait pour tenter de déjouer au moins en partie l'importation de la cocaïne par torpille soudée sur la coque d'un navire, mode utilisé par les cartels de la drogue sud-américains ; que la confidentialité des investigations, en ce comprises les expertises, a permis de les doter de l'efficacité, pendant de la réactivité, en proportion des moyens logistiques hors normes utilisés par les trafiquants ; que, par conséquent, les ordonnances de commission d'expert critiquées, expertises en téléphonie, en toxicologie, en comparaison d'empreintes génétiques ont été rendues en protégeant cette confidentialité nécessaire et ne pouvaient détailler les entraves aux investigations ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, insuffisants pour établir, pour chacune des décisions ordonnant des expertises, que leur communication aux parties au moment où elles ont été rendues, présentait un risque d'entrave à l'accomplissement des investigations, la chambre de l'instruction, qui, par ailleurs, n'a pas caractérisé l'urgence des opérations, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 8 décembre 2015, mais en ses seules dispositions relatives à l'application de l'article 161-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze juin deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 16-80347
Date de la décision : 15/06/2016
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

INSTRUCTION - Expertise - Ordonnance aux fins d'expertise - Notification aux avocats des parties - Dérogation - Conditions - Détermination

Selon l'article 161-1 du code de procédure pénale, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; en application de l'alinéa 3 de ce texte, il peut être dérogé à cette obligation lorsque les opérations d'expertise doivent intervenir en urgence ou que la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations. Encourt la cassation l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui, pour caractériser le risque d'entrave aux investigations et écarter l'exception de nullité des ordonnances de commission d'expert tirée de la violation de l'article 161-1 du code de procédure pénale, se borne à faire état de l'envergure du trafic de stupéfiants en cause et des moyens logistiques hors normes utilisés par les trafiquants, alors que de telles circonstances n'étaient pas de nature à faire apparaître, au moment où les ordonnances d'expertise ont été rendues, que leur communication aux intéressés pourrait entraver l'accomplissement des investigations


Références :

article 161-1 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, 08 décembre 2015

Sur les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à la notification aux avocats des parties de la décision du juge d'instruction ordonnant une expertise, à rapprocher :Crim., 11 mars 2014, pourvoi n° 13-86965, Bull. crim. 2014, n° 71 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 jui. 2016, pourvoi n°16-80347, Bull. crim. criminel 2016, n° 185
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2016, n° 185

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Le Baut
Rapporteur ?: Mme Chauchis
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:16.80347
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