LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles 693 et 694 du code civil ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude et que, s'il existe un signe apparent, la servitude continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur lui ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 18 septembre 2014), que Léopold X... a, par acte du 1er mars 1969, fait donation de diverses parcelles à ses enfants ; que M. Henri X..., son fils, a reçu une parcelle B 470 et Mme Henriette X..., sa fille, est devenue propriétaire de la parcelle voisine B 469 bénéficiant d'un droit de passage sur le tènement donné à son frère ; que Mme Jeanine Y..., Mme Alizé Y..., M. Olivier Y... et Mme Thaïs Y... (les consorts Y...), devenus propriétaires de la parcelle B 470, ont assigné M. A..., ayant droit de Mme Henriette X..., en extinction de la servitude et fermeture du portail ouvrant sur leur bien ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt énonce que l'acte de donation du 1er mars 1969 relatif au fonds dominant comporte des dispositions contraires à la constitution d'une servitude par destination du père de famille en ce que le droit de passage profitait à une bénéficiaire personnellement dénommée ;
Qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur l'aménagement de signes apparents lors de la division du fonds d'origine par l'auteur commun de M. A... et des consorts Y..., ni caractériser que les actes de donation contenaient une disposition contraire au maintien de la servitude par destination du père de famille, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne les consorts Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts Y... ; les condamne à payer à M. A... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. A....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a décidé qu'il n'y avait pas de servitude de bon père de famille, au sens de l'article 694 du Code civil, sur le fonds appartenant aux consorts Y... et au profit du fonds appartenant à Monsieur A... ;
AUX MOTIFS QU'« en application de l'article 694 du Code civil, il ne peut y avoir servitude par destination de père de famille lorsque l'acte ou les actes qui ont opéré la séparation des héritages contiennent des stipulations contraires ; que l'acte de donation par M. Léopold X... à M. Henri X... du 1er mars 1969 comporte trois dispositions contraires à la constitution d'une servitude de père de famille, à savoir : a.- la mention manuscrite en page 4, suivant laquelle M. X... déclare qu'à sa connaissance, il n'existe sur les immeubles donnés aucune servitude en dehors de celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux ou de la loi » ; b.- la mention manuscrite en marge de la page 2, selon laquelle « Mme Henriette Suzanne X..., épouse de M. Gérard A..., demeurant à Croth, Eure, née à Mantes (78), a droit de passage sur ladite parcelle B présentement donné à M. Henri X..., son frère » ; c.- la mention en page 2, selon laquelle la parcelle B, n° 470, est une parcelle de « 2 ares 20 centiares de terre formant passage sis lieu-dit " Le Buisson " » ; que le donateur a donc stipulé, en termes clairs, ne donnant pas lieu à interprétation, en page 2 de l'acte qu'il n'existait pas de servitude autre que des servitudes légales ou d'enclavement ; que rien n'autorise à tenir cette énonciation pour une clause de style, alors qu'aucun énoncé de l'acte ne la contredit et qu'elle est cohérente avec toutes les autres stipulations ; que, bien plus, le droit concédé par le donateur à la donataire de la parcelle voisine B 469 est qualifié de « droit de passage » et la bénéficiaire de ce droit est personnellement dénommée en pages 2 et 4, ce qui concorde avec un droit personnel de passage et exclut une servitude au bénéfice d'un fonds dominant sur un fonds servant ; que l'acte de l'auteur de M. A..., à savoir l'acte de donation par Léopold X... a Mme Henriette X... épouse A... du 1er mars 1969 de la parcelle B 469, ne fait aucun état dans son corps d'une quelconque servitude conventionnelle ou de père de famille, énonçant au contraire que « Mme A..., donataire, aura droit de passage sur cette dernière parcelle B 470 pour accéder a la parcelle B 469, qui lui est présentement donnée » ; que la mention « servitude de passage au profit de la parcelle cad. B 469 » figurant sur une fiche de renseignements hypothécaires ne peut infirmer les mentions contraires des actes authentiques ; que la publication des actes aux hypothèques, qui était indispensable pour rendre opposable aux tiers le transfert de propriété aux donataires, ne peut révéler la volonté du donataire d'instituer une servitude de bon père de famille ; qu'en l'état de ces énonciations, tous autres arguments des parties étant surabondants ou inopérante-en particulier, ceux relatifs à la recherche de l'intention de l'auteur des divisions, en présence d'actes clairs définissant le droit concédé comme un droit personnel de passage-, il échet de dire qu'il n'existe pas de servitude au bénéfice de la parcelle B 469 sur la parcelle B 470 » ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, une servitude par destination du père de famille s'entend d'une servitude établie par le propriétaire de deux fonds au moyen de signes apparents, peu important que les actes portant division des fonds ne rappellent pas la servitude dès lors qu'ils ne s'y opposent pas ; qu'en déniant l'existence d'une servitude de père de famille, retenue par les premiers juges, sans s'expliquer sur l'aménagement de signes apparents lors de la division des fonds par l'auteur commun de Monsieur A... et des consorts Y..., les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 692 à 694 du Code civil ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, les actes accomplis par le propriétaire des deux fonds ne peuvent être invoqués, pour écarter la servitude de père de famille, telle qu'elle résulte de la disposition des lieux, que pour autant que ces actes sont en contradiction avec une telle servitude ; que l'insertion dans les actes d'une clause de style mentionnant que les fonds ne sont grevés d'aucune servitude ne peut être retenu comme s'opposant à la servitude de père de famille ; qu'en décidant le contraire pour opposer la stipulation de l'acte du 1er mars 1969 portant donation au profit de Monsieur Henri X... et suivant laquelle il n'existait pas de servitude autre que la servitude légale et d'enclavement, les juges du fond ont violé les articles 692 à 694 du Code civil ;
ET ALORS QUE, TROISIEMEMENT, la circonstance que le propriétaire de fonds ait usé de formules laissant entendre qu'un passage était ménagé au profit de la personne bénéficiaire de la donation portant sur la parcelle B 469, ne pouvait être retenue en tout état de cause, puisque étant parfaitement compatible avec une servitude de père de famille comme contraire à l'existence d'une telle servitude ; qu'à cet égard également, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 692 à 694 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'après avoir considéré que Monsieur A..., en tant que propriétaire de la parcelle B 469, était titulaire d'une servitude légale d'enclave, sur la parcelle B 470, il a considéré, au visa de l'article 685-1 du Code civil, que cette servitude devait être regardée comme éteinte ;
AUX MOTIFS QU'« en application de l'article 685-1 du Code civil, en cas de cessation de l'enclave et quelle que soit la manière dont l'assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l'extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée par un accès suffisant a la voie publique ; qu'il est établi par les pièces produites aux débats, notamment les plans, qu'aucune des deux parcelles B 469 et B 470 n'a d'accès direct à la voie publique, aujourd'hui dénommée départementale 143 ; qu'il est démontré que, jusqu'à un temps récent, il fallait, pour accéder à l'une des parcelles comme à l'autre, traverser une ligne de chemin de fer, puis un chemin rural, la traversée de la voie ferrée se faisant par un passage à niveau situé en face de la parcelle B 470 ; qu'il n'est pas contesté que la voie ferrée a été supprimée par la S. N. C. F. et transformée en voie verte ; que les contraintes afférentes à une voie verte ne comportent pas, pour un propriétaire qui n'a pas d'autre accès à la voie publique, l'interdiction de la traverser, mais impose seulement de le faire avec prudence ; qu'il est établi par le constat de Me B..., huissier de justice à Evreux en date du juillet 2011, étayé par des photographies qui ont date certaine, que le propriétaire de la parcelle B 469 a désormais la possibilité d'ouvrir sur son propre fonds un portail donnant accès à la départementale 143, en disposant d'une largeur au moins égale et dans des conditions de sécurité, de précaution et de praticabilité qui ne sont pas inférieures à la situation existante ; que, sans qu'il soit besoin de rechercher si M. A... dispose également d'un second accès – ce qui n'est pas prouvé, les pièces versées montrant que le second accès donne sur un ancien chemin rural non entretenu et de largeur restreinte à 3 mètres-, il est donc démontré que l'état d'enclavement de la parcelle B469 de M. A... a disparu » ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, dans ses conclusions d'appel, Monsieur A... faisait valoir que le passage invoqué par les consorts Y..., pour établir la disparition de l'état d'enclave, l'obligeait à emprunter, dans un premier temps, un chemin de terre, dans un second temps, l'ancienne emprise de la voie ferrée devenue voie verte après aménagement par le conseil général de l'Eure ; qu'à cet égard, il soulignait que la voie verte, juridiquement réservée aux piétons et aux cavaliers, ne pouvait être légalement empruntée par des véhicules à moteur (conclusions du 14 février 2014, p. 10, § 6) ; qu'il précisait que cette voie était une voie verte au sens de l'article R. 110-2 du Code de la route et donc exclusivement réservée à la circulation des véhicules non motorisées, des piétons et des cavaliers ; qu'en s'abstenant de dire si la voie verte relevait ou non de l'article R. 110-2 du Code de la route, et si par suite, il pouvait y avoir disparition de l'enclave, la parcelle enclavée devant être desservie conformément à sa destination et aux moyens modernes qu'implique sa mise en valeur, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 685-1 du Code civil et R. 110-2 du Code de la route ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et en tout cas, dans ses conclusions d'appel, Monsieur A... faisait encore valoir que pour accéder à la voie verte, il devait en tout état de cause emprunter un ancien chemin à l'état de terres agricoles et insusceptible de permettre un passage permettant l'usage normal de la parcelle (conclusions, p. 10, § 2 et s.) ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, les juges du fond ont de nouveau privé leur décision de base légale au regard de l'article 685-1 du Code civil ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, Monsieur A... faisait valoir en toute hypothèse qu'il développait sur la parcelle une activité de bouilleur de cru, que cette activité postulait le passage de véhicules lourds et de camions impliquant un rayon de braquage minimum, lequel faisait défaut s'agissant du cheminement invoqué par les consorts Y... pour conclure à l'extinction de la servitude de passage (conclusions, p. 10, § 10 et s.) ; qu'en s'abstenant de nouveau de d'expliquer sur ce point, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 685-1 du Code civil.