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19/05/2016 | FRANCE | N°14-25203

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 19 mai 2016, 14-25203


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis, tels que reproduits en annexe :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2014), que M. X..., qui avait été blessé dans un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par M. Y...et assuré auprès de la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France, les a assignés en réparation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance mala

die de Paris, de l'Avenir mutuel des professions libérales et indépendantes et ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis, tels que reproduits en annexe :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2014), que M. X..., qui avait été blessé dans un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par M. Y...et assuré auprès de la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France, les a assignés en réparation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, de l'Avenir mutuel des professions libérales et indépendantes et de la Caisse autonome de retraite des médecins de France ;

Attendu que M. X..., M. Y...et la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France font grief à l'arrêt, le premier de limiter son droit à réparation au titre du préjudice professionnel à un montant de 335 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle et de l'avoir ainsi corrélativement débouté de sa demande d'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs, ensemble d'avoir condamné in solidum M. Y...et son assureur à lui verser la somme de 639 819, 42 euros en réparation de son préjudice corporel, et les seconds de dire que M. X...avait, du fait de l'accident, perdu une chance d'augmenter ses droits à la retraite qui devait être indemnisée par la somme de 35 000 euros ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'évaluation des préjudices professionnels de la victime en lien direct avec l'accident que la cour d'appel, ayant retenu que M. X...était apte à la reprise de son activité de gynécologie obstétrique hormis les accouchements et les gardes, et que les séquelles de l'accident n'expliquaient pas la réduction de son activité professionnelle, a, sans se contredire, indemnisé au titre de l'incidence professionnelle l'impossibilité d'effectuer des accouchements et des gardes, ainsi que la perte de chance d'augmentation de ses droits à la retraite qui en résultait ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

Condamne M. X..., la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et M. Y...aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi principal.

Il est reproché à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'avoir limité le droit à réparation au titre du préjudice professionnel à un montant de 335. 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle et de l'avoir ainsi corrélativement débouté de sa demande d'indemnisation au titre des pertes de gains professionnels futurs, ensemble d'avoir condamné in solidum Monsieur Y...et la MACIF à verser à la victime la somme de 639. 819, 42 euros en réparation de son préjudice corporel ;

AUX MOTIFS QUE Monsieur Michel X...demande la réparation d'un préjudice professionnel et d'une perte de revenus à la retraite sur la base du rapport dressé par le cabinet Setecy qu'il a mandaté, lequel fixe ces préjudices à la somme totale de 3. 836. 805 euros en fonction d'une perte de revenus de l'accident jusqu'en 2025, calculée au vu des revenus perçus sur les huit premiers mois de l'année 2002, revalorisés en tenant compte d'une augmentation de clientèle de 2 % chaque année et de l'évolution des prix à la consommation ; qu'à titre subsidiaire, sur les mêmes bases mais en prenant en compte l'incidence de l'accident du 31 janvier 2006 sur les revenus, Monsieur Michel X...demande la somme de 3. 764. 109 euros ; que la MACIF offre d'indemniser par la somme de 300. 000 euros une incidence professionnelle constituée par une perte de chance professionnelle ; que le docteur Z...et ses sapiteurs les professeurs C... et A...ont noté que l'activité professionnelle de Monsieur Michel X...se décomposait avant l'accident, en une activité d'obstétrique représentant selon les déclarations de l'intéressé 60 % de son activité et en une activité de gynécologie avec consultations et chirurgie gynécologique et qu'il exerçait à la fois dans le cadre hospitalier en tant que vacataire et dans un cadre libéral sur plusieurs sites d'exercice ; qu'ils ont conclu que Monsieur Michel X...est apte à la reprise et au maintien de l'activité professionnelle de gynécologie obstétrique (consultations en gynécologie et obstétrique, échographies, procréation médicalement assistée et orthogénie ainsi que chirurgie gynécologique et des seins), qu'il ne peut plus en revanche avoir une activité d'accouchements ni effectuer les gestes et gardes correspondant aux accouchements, qu'il demeure donc apte au maintien des autres pans de son activité sans qu'une reconversion soit nécessaire mais avec une adaptation de certains gestes et l'utilisation de selles et de tables d'examen à hauteur variable ; qu'ils ont précisé : * sur l'activité de consultation, qu'il n'existe aucun élément fonctionnel qui puisse être un facteur limitant quelconque en indiquant que les examens cliniques ne nécessitent aucune force particulière et peuvent se faire aisément et dans des conditions confortables avec une table à hauteur variable et un tabouret ; *sur les activités et examens complémentaires : échographies, amniocentèse, procréation médicalement assistée : que ceux-ci restent possibles sans aucune limitation, qu'en effet des positions peuvent être adoptées pour compenser les éventuelles douleurs signalées à l'épaule gauche et que les moyens sont aisés à mettre en oeuvre pour y suppléer en cas de besoin, tel que la modification de la position de l'écran pour désigner à la patiente les éléments observés ; que les amniocentèses qui doivent être réalisées sous contrôle échographique sont également possibles ; que le professeur A...a en effet expliqué que lors de la réalisation d'une amniocentèse, la sonde échographique est tenue dans la main gauche et l'opérateur tient l'aiguille de prélèvement de la main droite entre le pouce et l'index, que la ponction qui dure environ une minute, nécessite précision et concentration mais pas de force, et que l'absence d'altération des mouvements fins, l'absence de tremblements spontanés au repos ou intentionnels permet à Monsieur Michel X...de faire ce geste ; que les experts ont également noté que tous les actes liés de près ou de loin à l'activité déployée dans la prise en charge de Procréation Médicalement Assistée (surveillance échographique, ponctions d'ovocytes, transferts d'embryons, inséminations intra-cervicales ou intra-utérines..) demeurent également compatibles avec l'état de santé de Monsieur Michel X...; * sur l'activité de chirurgie, qui comporte plusieurs volets : la coelio-chirurgie, la chirurgie gynécologique par voie haute (sus pubienne), la chirurgie gynécologique par voie basse (vaginale) et la chirurgie des seins : que la capacité physique du blessé à accomplir les gestes et mouvements nécessaires est suffisamment conservée pour rendre réalisable l'ensemble des actes liés à cette activité, du moins de l'activité de chirurgie gynécologique, l'ensemble des actes liés à cette activité, du moins de l'activité de chirurgie gynécologique dite froide et aisément programmable, que ce soit par la réalisation de certains gestes en force ou de mouvements fins, que les quelques troubles dysesthésiques déclarés sur les rayons « cubitaux » de la main droite dominante ne constituent pas une limitation en eux-mêmes car les 4e et 5e doigts concernés ne sont pas ceux utilisés pour palper ou « sentir » les tissus explorés chirurgicalement, ni pour tenir les instruments ; qu'en réponse aux objections de Monsieur Michel X...et de ses conseils, les experts ont noté que le principe de précaution invoqué qui devrait, selon le dire, amener Monsieur Michel X...a s'interdire toute activité chirurgicale du fait des éléments limitants signalés par lui, n'est pas justifié, Monsieur Michel X...ne présentant pas d'atteintes fonctionnelles telles qu'elles puissent générer une dangerosité et que s'il peut parfois exister une certaine pénibilité à l'exercice de certains gestes, qui restent cependant très limités et sont brefs, les prises de force des instruments chirurgicaux sont possibles et Monsieur Michel X...ne présente pas d'élément clinique qui puisse justifier des lâchage de prise d'instrument ; que les experts ont toutefois retenu la nécessité pour Monsieur Michel X...d'adapter certains gestes de sa pratique en raison des séquelles de l'accident ainsi que la possibilité d'utiliser une selle chirurgicale si la position debout est pénible, rendant ainsi parfaitement possible physiquement et techniquement le maintien de toutes les activités chirurgicales qu'il pratiquait antérieurement ; que le professeur A...a noté que Monsieur Michel X...ne peut pratiquer les interventions de reconstructions du sein qui sont de longue durée ni les interventions sur des cancers qui sont longues et difficiles mais que Monsieur Michel X...ne les réalisait pas avant l'accident ; * sur les accouchements : que ceux-ci peuvent dans certains cas exiger des gestes particuliers comme mettre un genou à terre, se relever sans s'aider de ses mains, se mouvoir rapidement, ce que ne peut pas faire Monsieur Michel X...et que pour cette activité, doit s'appliquer le « principe de précaution » ce qui implique l'impossibilité pour Monsieur Michel X...de poursuivre cette activité et par voie de conséquence d'assurer les gardes en ce domaine d'activité ;

AUX MOTIFS ENCORE QUE les experts ont ainsi retenu que seuls accouchements ne peuvent plus être pratiqués par Monsieur Michel X..., que ce dernier est inapte à des actes de chirurgie de reconstruction du sein et sur des cancers, mais que le blessé est apte à continuer à exercer, avec une adaptation dans certains cas, l'ensemble de ses activités professionnelles antérieures à l'accident ; que le professeur A...a ajouté que si Monsieur Michel X...a pu voir disparaître sa patientèle de femmes enceintes en raison de son arrêt prolongé d'activité, « il aurait pu et peut encore continuer à suivre des femmes enceintes en consultations et en échographie en les adressant pour les accouchements dans des établissements publics ou privés où elles sont prises en charge par l'équipe de garde. Beaucoup de gynécologues obstétriciens fonctionnent comme cela surtout passé 50 ans. Il aurait pu continuer à avoir une activité à temps plein combinant les consultations, les échographies, les activités d'orthogénie (planning et IVG), une activité chirurgicale comportant des interventions brèves pouvant se réaliser assis totalement ou partiellement … » et citant le professeur Michel B...dont des attestations ont été produites par Monsieur Michel X...: « … La gynécologie obstétrique est une spécialité médico-chirurgicale qui comporte plusieurs composantes : gynécologie médicale en consultation, obstétrique, chirurgie. On observe qu'au cours de leur carrière de nombreux praticiens après une formation pour l'ensemble de la spécialité, utilisent la possibilité de « géométrie variable » qui n'existe pas dans d'autres spécialités, telle que par exemple la chirurgie. Il est habituel de voir des praticiens renoncer à un moment de leur carrière à l'obstétrique qui comporte de lourdes contraintes physiques et d'horaire et/ ou la chirurgie pour s'orienter vers l'activité de consultation … » ; que le professeur A...a par conséquent conclu qu'il « n'est donc pas question pour le Docteur Michel X...de « reconversion » dans une autre discipline, mais d'adapter son activité professionnelle de gynécologue obstétricien à ses possibilités physiques dans une discipline où cela est possible et où la demande de la population est importante ne serait-ce que pour des consultations. Cela permettrait au Docteur Michel X...de maintenir des revenus voisins de ceux obtenus antérieurement à son accident compte tenu que la loi interdit le travail clinique les lendemains de garde. N'ayant plus de gardes, tous les jours de la semaine peuvent être consacrés à l'activité « froide ». Après une période d'adaptation le Docteur Michel X...doit pouvoir avoir une activité en gynécologie obstétrique comme définie ci-dessus à temps complet … Nous avons observé ces adaptations dans l'activité professionnelle chez d'autres collègues gynécologues obstétriciens qui présentent des séquelles post-traumatiques objectives pour la marche ou la mobilité des membres supérieurs bien plus importantes que le Docteur Michel X.... Les conséquences professionnelles de l'accident du 23 août 2002 se limitent donc à une réorientation de l'activité professionnelle en gynécologie obstétrique avec abandon uniquement de l'activité d'accouchement et donc de garde » ; que le docteur Z...et ses sapiteurs ont réalisé une étude minutieuse des nombreux documents qui leur ont été soumis par les parties, il les ont listés et pour la plupart, partiellement reproduits ; qu'ils ont tous trois procédé à un examen complet et attentif du blessé, décrit précisément, chacun dans sa spécialité, les actes médicaux et chirurgicaux devant être accomplis par Monsieur Michel X...dans sa pratique professionnelle ainsi que les limitations et gênes du blessé et ses aptitudes conservées ; qu'ils ont apporté aux dires qui leur ont été transmis des réponses claires, circonstanciées et documentées ; qu'enfin, à l'issue d'une discussion, ils ont pris des conclusions concordantes ; que les pièces versées aux débats par Monsieur Michel X...ne permettent pas une appréciation différente de celle des experts, étant précisé d'une part que certains médecins ayant délivré des attestations, collègues, ancien chef de service ou relations du blessé, n'indiquent pas avoir examiné Monsieur Michel X...et n'ont pu se fonder que sur ses doléances, et que s'agissant des inaptitudes rapportées à la pratique des accouchements ainsi qu'à la prise en charge chirurgicale de cancers du sein, cette inaptitude a été reconnue par les experts ; que le rapport d'expertise dressé le 9 juillet 2013 sera donc entériné conformément à la demande des appelants ;

ET AUX MOTIFS ENFIN QUE dès lors, les séquelles de l'accident n'expliquent pas la réduction d'activité professionnelle et les pertes consécutives enregistrées par Monsieur Michel X...à compter de la consolidation de son état, le 19 mai 2004, étant observé que ces pertes ont varié dans le temps, indépendamment des conséquences de l'accident, puisque les revenus BNC du blessé étaient, au vu du rapport de son expert-comptable, de 44. 166 euros en 2004, de 54. 836 euros en 2005, de 7. 100 euros en 2006, de 30. 810 euros en 2007, de 16. 663 euros en 2008 puis de 7. 351 euros en 2009 et de 5. 725 euros en 2010 ; qu'en revanche, les inaptitudes et gênes professionnelles constatées par les experts ont entraîné une incidence professionnelle constituée par l'impossibilité d'effectuer des accouchements et donc des gardes, ainsi que par la nécessité d'apporter certaines adaptations dans sa pratique médicale qui justifie l'indemnité de 300. 000 euros offerte ; que la perte de la faculté de pratiquer des accouchements et d'assurer des gardes a également fait perdre à Monsieur Michel X...une chance d'augmenter ses droits à la retraite qui sera indemnisée par la somme de 35. 000 euros ; que Monsieur Michel X...recevra en conséquence la somme de 335. 000 euros au titre de l'incidence professionnelle due aux séquelles de l'accident du 23 août 2002 ; (…) sur la liquidation du préjudice : que les parties s'accordant pour accepter le surplus des indemnités fixées par le Tribunal, le préjudice de Monsieur Michel X..., né le 13 septembre 1955, s'établit comme suit : Préjudices patrimoniaux :- dépenses de santé actuelles : 16. 009, 59 euros et après déduction des sommes prises en charge par les tiers payeurs 264, 62 euros,- perte de gains professionnels actuels demeurés à la charge de Monsieur Michel X...202. 700 euros,- frais divers 1. 254, 80 euros, immobilisation du véhicule 1. 500 euros,- incidence professionnelle 335. 000 euros ; préjudices extrapatrimoniaux :- déficit fonctionnel temporaire 11. 200 euros, souffrance 20. 000 euros, déficit fonctionnel permanent 50. 400 euros, préjudice esthétique 2. 500 euros ; préjudice d'agrément 15. 000 euros TOTAL 639. 819, 42 euros ; que Monsieur Michel X...recevra ainsi, en réparation de son préjudice corporel, une indemnité totale de 639. 819, 42 euros en deniers ou quittance ;

ALORS QUE, D'UNE PART, la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice, sans perte ni profit ; qu'en l'espèce, pour écarter toute perte de gains professionnels futurs, la Cour retient en substance que Monsieur X...était apte à reprendre une activité professionnelle rémunératrice et que les séquelles de son accident n'expliquent pas à compter de sa consolidation la réduction de son activité et les pertes consécutives ; qu'en excluant ainsi toute perte de gains professionnels futurs, cependant qu'il résulte des constatations de la Cour que Monsieur X...n'était pas apte à reprendre son activité professionnelle dans les conditions antérieures à l'accident et qu'il ne pouvait plus en particulier pratiquer d'accouchements et effectuer des gardes dans ce domaine, pratiques qui représentaient 60 % de son activité avant l'accident, la Cour viole les articles 1, 2 et 3 de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation routière, ensemble le principe de la réparation intégrale de chaque préjudice ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, l'auteur d'un accident est tenu d'en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en l'espèce, pour écarter toute perte de gains professionnels futurs, la Cour retient en substance que si les séquelles de l'accident ne permettent plus à Monsieur X...de pratiquer des accouchements et d'assurer des gardes dans ce domaine, ce gynécologue obstétricien aurait pu et peut encore compenser son handicap et la perte de revenus corrélative en se consacrant à une activité « froide » de gynécologie ; qu'en faisant ainsi peser sur Monsieur X...l'obligation de minimiser son préjudice dans l'intérêt du responsable, la Cour viole les textes et le principe cités au précédent élément de moyen ;

ALORS QUE, ENFIN et en tout état de cause, la Cour d'appel ne peut considérer d'un côté que les séquelles de l'accident n'engendrent aucune perte de gains professionnels futurs pour Monsieur Michel X...et d'un autre côté qu'il doit être indemnisé au titre de l'incidence professionnelle de l'accident en raison de la perte de chance de voir augmenter sa retraite du fait de son inaptitude à pratiquer des accouchements et à assurer des gardes dans ce domaine ; qu'en statuant ainsi, la Cour entache sa décision d'une irréductible contradiction, méconnaissant ce faisant les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et M. Y..., demandeurs au pourvoi incident.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que M. Michel X...avait, du fait de l'accident, perdu une chance d'augmenter ses droits à la retraite qui devait être indemnisée par la somme de 35. 000 euros

AUX MOTIFS QUE le docteur Z...et ses sapiteurs les professeurs C... et A...ont noté que l'activité professionnelle de Monsieur Michel X...se décomposait avant l'accident, en une activité d'obstétrique représentant selon les déclarations de l'intéressé 60 % de son activité et en une activité de gynécologie avec consultations et chirurgie gynécologique et qu'il exerçait à la fois dans le cadre hospitalier en tant que vacataire et dans un cadre libéral sur plusieurs sites d'exercice ; qu'ils ont conclu que Monsieur Michel X...est apte à la reprise et au maintien de l'activité professionnelle de gynécologie obstétrique (consultations en gynécologie et obstétrique, échographies, procréation médicalement assistée et orthogénie ainsi que chirurgie gynécologique et des seins), qu'il ne peut plus en revanche avoir une activité d'accouchements ni effectuer les gestes et gardes correspondant aux accouchements, qu'il demeure donc apte au maintien des autres pans de son activité sans qu'une reconversion soit nécessaire mais avec une adaptation de certains gestes et l'utilisation de selles et de tables d'examen à hauteur variable ; qu'ils ont précisé :
* sur l'activité de consultation, qu'il n'existe aucun élément fonctionnel qui puisse être un facteur limitant quelconque en indiquant que les examens cliniques ne nécessitent aucune force particulière et peuvent se faire aisément et dans des conditions confortables avec une table à hauteur variable et un tabouret ;
*sur les activités et examens complémentaires : échographies, amniocentèse, procréation médicalement assistée : que ceux-ci restent possibles sans aucune limitation, qu'en effet des positions peuvent être adoptées pour compenser les éventuelles douleurs signalées à l'épaule gauche et que les moyens sont aisés à mettre en oeuvre pour y suppléer en cas de besoin, tel que la modification de la position de l'écran pour désigner à la patiente les éléments observés ; que les amniocentèses qui doivent être réalisées sous contrôle échographique sont également possibles ; que le professeur A...a en effet expliqué que lors de la réalisation d'une amniocentèse, la sonde échographique est tenue dans la main gauche et l'opérateur tient l'aiguille de prélèvement de la main droite entre le pouce et l'index, que la ponction qui dure environ une minute, nécessite précision et concentration mais pas de force, et que l'absence d'altération des mouvements fins, l'absence de tremblements spontanés au repos ou intentionnels permet à Monsieur Michel X...de faire ce geste ; que les experts ont également noté que tous les actes liés de près ou de loin à l'activité déployée dans la prise en charge de Procréation Médicalement Assistée (surveillance échographique, ponctions d'ovocytes, transferts d'embryons, inséminations intra-cervicales ou intra-utérines..) demeurent également compatibles avec l'état de santé de Monsieur Michel X...;
* sur l'activité de chirurgie, qui comporte plusieurs volets : la coelio-chirurgie, la chirurgie gynécologique par voie haute (sus pubienne), la chirurgie gynécologique par voie basse (vaginale) et la chirurgie des seins : que la capacité physique du blessé à accomplir les gestes et mouvements nécessaires est suffisamment conservée pour rendre réalisable l'ensemble des actes liés à cette activité, du moins de l'activité de chirurgie gynécologique, l'ensemble des actes liés à cette activité, du moins de l'activité de chirurgie gynécologique dite froide et aisément programmable, que ce soit par la réalisation de certains gestes en force ou de mouvements fins, que les quelques troubles dysesthésiques déclarés sur les rayons « cubitaux » de la main droite dominante ne constituent pas une limitation en eux-mêmes car les 4e et 5e doigts concernés ne sont pas ceux utilisés pour palper ou « sentir » les tissus explorés chirurgicalement, ni pour tenir les instruments ; qu'en réponse aux objections de Monsieur Michel X...et de ses conseils, les experts ont noté que le principe de précaution invoqué qui devrait, selon le dire, amener Monsieur Michel X...à s'interdire toute activité chirurgicale du fait des éléments limitants signalés par lui, n'est pas justifié, Monsieur Michel X...ne présentant pas d'atteintes fonctionnelles telles qu'elles puissent générer une dangerosité et que s'il peut parfois exister une certaine pénibilité à l'exercice de certains gestes, qui restent cependant très limités et sont brefs, les prises de force des instruments chirurgicaux sont possibles et Monsieur Michel X...ne présente pas d'élément clinique qui puisse justifier des lâchage de prise d'instrument ; que les experts ont toutefois retenu la nécessité pour Monsieur Michel X...d'adapter certains gestes de sa pratique en raison des séquelles de l'accident ainsi que la possibilité d'utiliser une selle chirurgicale si la position debout est pénible, rendant ainsi parfaitement possible physiquement et techniquement le maintien de toutes les activités chirurgicales qu'il pratiquait antérieurement ; que le professeur A...a noté que Monsieur Michel X...ne peut pratiquer les interventions de reconstructions du sein qui sont de longue durée ni les interventions sur des cancers qui sont longues et difficiles mais que Monsieur Michel X...ne les réalisait pas avant l'accident ;
* sur les accouchements : que ceux-ci peuvent dans certains cas exiger des gestes particuliers comme mettre un genou à terre, se relever sans s'aider de ses mains, se mouvoir rapidement, ce que ne peut pas faire Monsieur Michel X...et que pour cette activité, doit s'appliquer le « principe de précaution » ce qui implique l'impossibilité pour Monsieur Michel X...de poursuivre cette activité et par voie de conséquence d'assurer les gardes en ce domaine d'activité ; que les experts ont ainsi retenu que seuls les accouchements ne peuvent plus être pratiqués par Monsieur Michel X..., que ce dernier est inapte à des actes de chirurgie de reconstruction du sein et sur des cancers, mais que le blessé est apte à continuer à exercer, avec une adaptation dans certains cas, l'ensemble de ses activités professionnelles antérieures à l'accident ; que le professeur A...a ajouté que si Monsieur Michel X...a pu voir disparaître sa patientèle de femmes enceintes en raison de son arrêt prolongé d'activité, « il aurait pu et peut encore continuer à suivre des femmes enceintes en consultations et en échographie en les adressant pour les accouchements dans des établissements publics ou privés où elles sont prises en charge par l'équipe de garde. Beaucoup de gynécologues obstétriciens fonctionnent comme cela surtout passé 50 ans. Il aurait pu continuer à avoir une activité à temps plein combinant les consultations, les échographies, les activités d'orthogénie (planning et IVG), une activité chirurgicale comportant des interventions brèves pouvant se réaliser assis totalement ou partiellement … » et citant le professeur Michel B...dont des attestations ont été produites par Monsieur Michel X...: « … La gynécologie obstétrique est une spécialité médico-chirurgicale qui comporte plusieurs composantes : gynécologie médicale en consultation, obstétrique, chirurgie. On observe qu'au cours de leur carrière de nombreux praticiens après une formation pour l'ensemble de la spécialité, utilisent la possibilité de « géométrie variable » qui n'existe pas dans d'autres spécialités, telle que par exemple la chirurgie. Il est habituel de voir des praticiens renoncer à un moment de leur carrière à l'obstétrique qui comporte de lourdes contraintes physiques et d'horaire et/ ou la chirurgie pour s'orienter vers l'activité de consultation … » ; que le professeur A...a par conséquent conclu qu'il « n'est donc pas question pour le Docteur Michel X...de « reconversion » dans une autre discipline, mais d'adapter son activité professionnelle de gynécologue obstétricien à ses possibilités physiques dans une discipline où cela est possible et où la demande de la population est importante ne serait-ce que pour des consultations. Cela permettrait au Docteur Michel X...de maintenir des revenus voisins de ceux obtenus antérieurement à son accident compte tenu que la loi interdit le travail clinique les lendemains de garde. N'ayant plus de gardes, tous les jours de la semaine peuvent être consacrés à l'activité « froide ». Après une période d'adaptation le Docteur Michel X...doit pouvoir avoir une activité en gynécologie obstétrique comme définie ci-dessus à temps complet … Nous avons observé ces adaptations dans l'activité professionnelle chez d'autres collègues gynécologues obstétriciens qui présentent des séquelles post-traumatiques objectives pour la marche ou la mobilité des membres supérieurs bien plus importantes que le Docteur Michel X.... Les conséquences professionnelles de l'accident du 23 août 2002 se limitent donc à une réorientation de l'activité professionnelle en gynécologie obstétrique avec abandon uniquement de l'activité d'accouchement et donc de garde » ; que le docteur Z...et ses sapiteurs ont réalisé une étude minutieuse des nombreux documents qui leur ont été soumis par les parties, il les ont listés et pour la plupart, partiellement reproduits ; qu'ils ont tous trois procédé à un examen complet et attentif du blessé, décrit précisément, chacun dans sa spécialité, les actes médicaux et chirurgicaux devant être accomplis par Monsieur Michel X...dans sa pratique professionnelle ainsi que les limitations et gênes du blessé et ses aptitudes conservées ; qu'ils ont apporté aux dires qui leur ont été transmis des réponses claires, circonstanciées et documentées ; qu'enfin, à l'issue d'une discussion, ils ont pris des conclusions concordantes ; que les pièces versées aux débats par Monsieur Michel X...ne permettent pas une appréciation différente de celle des experts, étant précisé d'une part que certains médecins ayant délivré des attestations, collègues, ancien chef de service ou relations du blessé, n'indiquent pas avoir examiné Monsieur Michel X...et n'ont pu se fonder que sur ses doléances, et que s'agissant des inaptitudes rapportées à la pratique des accouchements ainsi qu'à la prise en charge chirurgicale de cancers du sein, cette inaptitude a été reconnue par les experts ; que le rapport d'expertise dressé le 9 juillet 2013 sera donc entériné conformément à la demande des appelants ; que dès lors, les séquelles de l'accident n'expliquent pas la réduction d'activité professionnelle et les pertes consécutives enregistrées par Monsieur Michel X...à compter de la consolidation de son état, le 19 mai 2004, étant observé que ces pertes ont varié dans le temps, indépendamment des conséquences de l'accident, puisque les revenus BNC du blessé étaient, au vu du rapport de son expertcomptable, de 44. 166 euros en 2004, de 54. 836 euros en 2005, de 7. 100 euros en 2006, de 30. 810 euros en 2007, de 16. 663 euros en 2008 puis de 7. 351 euros en 2009 et de 5. 725 euros en 2010 ; qu'en revanche, les inaptitudes et gênes professionnelles constatées par les experts ont entraîné une incidence professionnelle constituée par l'impossibilité d'effectuer des accouchements et donc des gardes, ainsi que par la nécessité d'apporter certaines adaptations dans sa pratique médicale qui justifie l'indemnité de 300. 000 euros offerte ; que la perte de la faculté de pratiquer des accouchements et d'assurer des gardes a également fait perdre à Monsieur Michel X...une chance d'augmenter ses droits à la retraite qui sera indemnisée par la somme de 35. 000 euros ; que Monsieur Michel X...recevra en conséquence la somme de 335. 000 euros au titre de l'incidence professionnelle due aux séquelles de l'accident du 23 août 2002 ; (…) sur la liquidation du préjudice : que les parties s'accordant pour accepter le surplus des indemnités fixées par le Tribunal, le préjudice de Monsieur Michel X..., né le 13 septembre 1955, s'établit comme suit : Préjudices patrimoniaux :- dépenses de santé actuelles : 16. 009, 59 euros et après déduction des sommes prises en charge par les tiers payeurs 264, 62 euros,- perte de gains professionnels actuels demeurés à la charge de Monsieur Michel X...202. 700 euros,- frais divers 1. 254, 80 euros, immobilisation du véhicule 1. 500 euros,- incidence professionnelle 335. 000 euros ; préjudices extrapatrimoniaux :- déficit fonctionnel temporaire 11. 200 euros, souffrance 20. 000 euros, déficit fonctionnel permanent 50. 400 euros, préjudice esthétique 2. 500 euros ; préjudice d'agrément 15. 000 euros TOTAL 639. 819, 42 euros ; que Monsieur Michel X...recevra ainsi, en réparation de son préjudice corporel, une indemnité totale de 639. 819, 42 euros en deniers ou quittance ;

ALORS QUE le propre de la responsabilité est de réparer le préjudice subi par la victime dans son intégralité, sans perte ni profit ; qu'en jugeant que « la perte de la faculté de pratiquer des accouchements et d'assurer des gardes avait fait perdre à Monsieur Michel X...une chance d'augmenter ses droits à la retraite qui sera indemnisée par la somme de 35. 000 euros » (arrêt p. 10, al. 5), après avoir jugé qu'il n'était pas démontré que M. X...subissait une perte au titre de ses gains professionnels futurs la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 14-25203
Date de la décision : 19/05/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 mai 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 19 mai. 2016, pourvoi n°14-25203


Composition du Tribunal
Président : Mme Flise (président)
Avocat(s) : Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.25203
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