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12/04/2016 | FRANCE | N°15-86298

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 avril 2016, 15-86298


Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Victor X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de REIMS, en date du 24 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de complicité de viol aggravé et d'agression sexuelle aggravée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapport

eur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur l...

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Victor X...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de REIMS, en date du 24 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de complicité de viol aggravé et d'agression sexuelle aggravée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 4 février 2016, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne, 81, D16, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a rejeté la requête en nullité de l'enquête de personnalité ;
" aux motifs que M. X... est mis en cause pour des agissements commis avec deux autres personnes, MM. Antoine Y... et Bruno Z..., sur la personne de Mme Laura A... et a été mis en examen des chefs de complicité de viol en réunion et d'agressions sexuelles par plusieurs personnes ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la chambre criminelle que l'enquête de personnalité n'est pas une expertise judiciaire et que sa réalisation n'est donc pas soumise aux règles précises imposées aux experts judiciaires par le code de procédure pénale (Crim. 27 mai 1981, n° 80-92. 907, Bull 175 ; Crim. 17 janvier 1990, n° S9-83, 876, Bull 31) ; qu'on ne saurait donc tirer aucune conséquence de l'article 162 du code de procédure pénale, relatif aux modalités d'audition des personnes mises en examen par les experts judiciaires, y compris par un raisonnement a contrario, celui-ci pouvant être remis en cause par le fait que, précisément, les conséquences qui s'attachent au contenu d'une enquête de personnalité ne sont pas du tout les mêmes que celles qu'induisent les conclusions d'un expert ; que les textes du code de procédure pénale régissant l'objet de l'enquête de personnalité sont les suivants :- l'article 81 dispose que " le juge d'instruction peut également commettre une personne à l'effet de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne mise en examen et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressée " (alinéa 7) ;- l'article D. 16 précise que " L'enquête sur la personnalité des personnes mises en examen ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale prévue à l'article 81, alinéa 6, du code de procédure pénale et les examens, notamment médical et médico-psychologique, mentionnés à l'alinéa 7 dudit article, constituent le dossier de personnalité de la personne mise en examen " (alinéa 1) et que " ce dossier a pour objet de fournira l'autorité judiciaire, sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l'affaire en cours, des éléments d'appréciation sur te mode de vie passé et présent de la personne mise en examen, étant observé qu'il ne saurait avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité " (alinéa 3) ; qu'il en résulte que si le contenu précis de l'enquête de personnalité reste relativement flou, l'enquêteur de personnalité n'a pas à disserter sur la culpabilité de la personne mise en examen et n'a donc pas, en principe, à l'interroger sur les faits, encore qu'il puisse être difficile, dans certaines circonstances particulières, de traiter la situation personnelle de l'intéressé et ses perspectives d'avenir sans évoquer, du tout, sa position sur la commission des faits incriminés ; qu'en l'espèce, l'examen de l'enquête de personnalité rédigée par Mme Laure B... le 3 novembre 2014 (B42 et suivants) permet de constater qu'outre le traitement de rubriques portant sur l'état civil de M. X..., sa vie familiale et personnelle, sa scolarité et sa vie professionnelle, sa vie quotidienne, ses antécédents, ses perspectives d'avenir, le témoignage de ses proches, l'enquêtrice sociale :- a consacré un paragraphe à la position de l'intéressé par rapport aux faits, en indiquant d'emblée : " il rapporte : " moi durant le rapport avec Bruno, j'ai eu l'impression qu'elle était consentante. Elle lui a dit quelques petits mots comme quoi elle était d'accord et elle était contente, ça se voyait... " (p. 3) ;- a rédigé la conclusion suivante : " fers de notre entrevue, qui a eu lieu avant que je ne m'entretienne avec ses parents, Victor X..., qui a une donne présentation, s'est montré attentif, poli, anxieux également et répondant avec une certaine timidité, il a paru se détendre durant l'entretien jusqu'à ce que je lui demande quel était son ressenti par rapport aux faits, il s'est alors totalement " verrouillé ", est resté silencieux voire tétanisé, dam l'impossibilité de répondre. Je lui ai reformulé la question pensant qu'il l'avait mai compris. Très mal à l'aise, il a alors tenu les propres rapportés, visiblement préoccupé par le fait de sa voir si la réponse était celle à donner et correspondant à ce qu'il en pensait II exprimé des regrets qui se sont révélés plus vis-à-vis de lui-même et peu par rapport à la jeune fille et ce, vraisemblablement au vu du déroulement des faits qui, selon ce qu'il en a perçu, étaient consentis " ; que certes, il parait malvenu, pour un enquêteur de personnalité, de consacrer un paragraphe entier à la commission des faits en l'intitulant " par rapport a ce qui lui est reproche " ; mais que, pour autant, cette maladresse ne peut entraîner la nullité de l'enquête de personnalité ou son bâtonnement que si les mentions qui y figurent sont de nature à faire grief à la personne mise en examen. II pourrait en être ainsi, par exemple, si le mis en examen, répondant aux questions pressantes de l'enquêteur de personnalité sur la commission des faits, avait passé des aveux consignés dans le rapport de l'enquêteur de personnalité alors qu'il avait, jusque-là, contesté les faits devant les enquêteurs et le juge d'instruction ; que s'agissant du rapport de Mme B..., tel n'est pas le cas ; qu'on comprend en effet des informations recueillies par celle-ci que M. X... lui a indiqué qu'il croyait initialement que Mme A... était consentante ; qu'en l'état, il n'est donc pas démontré que cette enquête de personnalité fait grief aux intérêts de M. X..., étant observé qu'il sera toujours possible au requérant de former un recours contre la décision rendue au fond s'il apparaissait que la juridiction de jugement avait fondé sa décision de culpabilité sur les mentions litigieuses du rapport de l'enquêtrice de personnalité (Crim. 27 avril 1907, n° 96-81. 649) » ;

" 1°) alors qu'il résulte des articles 81 et D. 16 du code de procédure pénale que l'enquête de personnalité ne doit pas tirer de conclusions touchant à l'affaire en cours et ne peut avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité ; qu'en rejetant le moyen de nullité de l'enquête de personnalité tout en constatant que son auteur a néanmoins consacré un paragraphe entier à la commission des faits, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" 2°) alors que la procédure n'est équitable que si le mis en examen se voit notifier son droit de garder le silence et bénéficie de l'assistance d'un avocat à chaque instant où il est entendu sur les faits qui lui sont reprochés et que ses déclarations sont susceptibles de participer à sa propre incrimination ; qu'en rejetant le moyen tiré de la nullité de l'enquête de personnalité aux motifs erronés qu'il n'est pas démontré que les mentions y figurant font grief au demandeur, lorsqu'il est acquis qu'à cette occasion le mis en examen a été interrogé sur les faits pour lesquels il est mis en cause, sans bénéficier de l'assistance d'un avocat, circonstance lui faisant nécessairement grief, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme " ;
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 81, alinéa 6, D. 16 du code de procédure pénale, ensemble l'article 114 de ce code ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que, si l'enquêteur désigné par le juge d'instruction pour faire rapport sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou sociale de la personne mise en examen peut, à cette fin, s'entretenir avec celle-ci, hors la présence de son avocat et sans que ce dernier ait été appelé, il ne peut lors de cet entretien recueillir aucune déclaration de l'intéressé sur les faits qui lui sont reprochés ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X... a été mis en examen des chefs de complicité de viol aggravé et d'agression sexuelle aggravée ; que le juge d'instruction a ordonné une enquête de personnalité ; que le mis en examen a présenté une requête aux fins d'annulation de cette enquête ;
Attendu que, pour rejeter la dite requête, l'arrêt relève que l'enquêteur a consacré un paragraphe et une partie de la conclusion du rapport d'enquête à la position de la personne mise en examen sur les faits ; que les juges ajoutent, d'une part, qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de M. X..., lequel n'a fait que réitérer ses précédentes dénégations et, d'autre part, que celui-ci pourra former un recours contre la décision rendue au fond, au cas où les juges fonderaient une éventuelle déclaration de culpabilité sur les mentions litigieuses du rapport ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, en date du 24 septembre 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-86298
Date de la décision : 12/04/2016
Sens de l'arrêt : Cassation et désignation de juridiction
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

INSTRUCTION - Dossier de personnalité du mis en examen - Enquête sur la personnalité - Enquête réalisée par un enquêteur - Assistance de l'avocat - Défaut - Portée - Interdiction de retenir des déclarations sur les faits - Sanction

Si l'enquêteur désigné par le juge d'instruction, en application de l'article 81, alinéa 6, du code de procédure pénale, pour faire rapport sur la personnalité et la situation matérielle, familiale ou sociale de la personne mise en examen peut, à cette fin, s'entretenir avec celle-ci, hors la présence de son avocat et sans que ce dernier ait été appelé, il ne saurait lors de cet entretien recueillir aucune déclaration de l'intéressé sur les faits qui lui sont reprochés. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour rejeter la requête en annulation d'une enquête de personnalité consacrant des développements à la position de la personne mise en examen sur les faits, relève que celle-ci n'a fait que réitérer ses précédentes dénégations et qu'elle pourra former un recours contre la décision rendue au fond, au cas où les juges fonderaient une éventuelle déclaration de culpabilité sur ces mentions litigieuses du rapport


Références :

article 81, alinéa 6, du code de procédure pénale

article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, 24 septembre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 avr. 2016, pourvoi n°15-86298, Bull. crim. criminel 2016, n° 129
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2016, n° 129

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Cuny
Rapporteur ?: M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.86298
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