LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 30 mai 2014), statuant en référé, que M. X..., engagé par la société DCNS, exerçant en dernier lieu les fonctions de responsable du secteur achat équipement fluides à la direction des achats, a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 23 novembre 2012 ; que soutenant que son licenciement était nul comme ayant été prononcé à raison de la dénonciation par lui de faits de corruption et de harcèlement moral et qu'il constituait en conséquence un trouble manifestement illicite, il a saisi la juridiction prud'homale en référé pour demander sa réintégration sous astreinte ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ; que toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ; que le bénéfice de cette protection ne nécessite pas la description objective par le salarié d'un système de corruption mais la perception subjective d'éléments qu'il a pu analyser de bonne foi comme relevant, en substance, de faits de corruption ; que dès lors, en privant M. X... de cette protection, après avoir pourtant relevé que les faits décrits à sa hiérarchie étaient les mêmes que ceux dénoncés au procureur de la République sous la qualification de « faits de corruption », mais qu'il ne faisait pas une description patente de faits de corruption, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 1161-1 du code du travail ;
2°/ que dans ses conclusions, M. X... faisait valoir qu'il avait informé sa hiérarchie, et notamment M. Z..., avant son licenciement des faits de harcèlement moral dont il était la victime ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le caractère illicite du licenciement, que M. X... ne soutenait pas avoir dénoncé à ses supérieurs les faits de harcèlement moral dont il avait été l'objet au sein de l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. X... et violé ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le salarié n'avait signalé à sa hiérarchie que des actes pouvant s'apparenter à des dysfonctionnements ou à un manque de rigueur dans l'application des procédures, sans faire apparaître qu'ils pouvaient révéler des actes de corruption, la cour d'appel a pu décider que le licenciement ne constituait pas un trouble manifestement illicite ; que le moyen, irrecevable en sa seconde branche en ce que les conclusions prétendument dénaturées ne sont pas produites, est mal fondé en sa première branche ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Delamarre, avocat aux Conseils, pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« M. X... soutient qu'il bénéficie d'une double immunité judiciaire à raison de sa dénonciation de faits de corruption et de harcèlement moral et que le licenciement intervenu malgré cette immunité est nul et occasionne un trouble manifestement illicite ; qu'en application de l'article L. 1161- l du Code du travail, il appartient, au salarié, d'établir des faits laissant présumer qu'il a relaté ou témoigné de faits de corruption et à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations ou au témoignage du salarié ; que Monsieur X... justifie avoir déposé plainte le 6/ 11/ 12 auprès du procureur de la République en faisant état de faits de corruption appris dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il fait également valoir qu'avant cette plainte, il avait, dès février 2012, dénoncé ces faits à ses supérieurs ; que la SA DCNS indique n'avoir appris l'existence de cette plainte que le 7/ 11/ 12 lors de l'entretien préalable au licenciement, conteste toute dénonciation antérieure, souligne qu'elle avait convoqué M. X... dès le 26/ 10/ 12 à cet entretien et qu'elle lui reproche dans la lettre de licenciement des faits sans rapport avec la corruption alléguée ; qu'il est constant que la SA DCNS n'a appris que lors de l'entretien qui s'est tenu le 7/ 11 l'existence d'une plainte pour corruption ; que si cet élément est évoqué dans la lettre de licenciement, il n'en constitue pas l'un des motifs, la SA DCNS reproche en effet à M. X... ses difficultés relationnelles avec son environnement de travail, créant des situations conflictuelles, son « incapacité à travailler pour une réussi te collective », l'instauration avec sa hiérarchie d'un rapport de force détruisant tout rapport de confiance, un comportement hostile qui ont conduit à une situation de blocage imposant la rupture du contrat de travail ; qu'antérieurement à cette plainte, M. X... établit avoir adressé le 10/ 2/ 12 un courriel à M. Z..., président du comité d'éthique de la SA DCNS avec qui il avait précédemment travaillé sur le site de Cherbourg ; qu'il sollicite conseil auprès de ce dernier ; qu'il indique que l'affaire concerne les liens « qui unissent DCNS avec la société Issartel et sa holding Minerva » ; qu'il fait notamment état d'un « volume significatif de commandes » « sans réelle mise en concurrence » parfois avec des commandes passées de gré à gré sur les sites, de consultations faussées dans la mesure où les sociétés mises en concurrence n'étaient pas choisies parmi les plus concurrentielles, d'un accord-cadre conclu avec Issartel prévoyant l'octroi d'une avance non remboursable à la holding Minerva ; qu'il indique avoir exprimé ses doutes aux responsables successifs du pôle sans succès et précise n'avoir reçu aucun soutien de ses managers dans son travail d'assainissement ; que par courriel en réponse du même jour, Monsieur Z...conseille à M. X... « si vous pensez que dysfonctionnements importants ont eu lieu, remonter ces éléments vers votre N + 1 et difficultés vers votre N + 2 » ; que M. X... a adressé un courriel le 13/ 2/ 12, à son N + 1 puis le 20/ 2/ 12 à son N + 2 comportant des éléments similaires à celui adressé à M. Z...en éliminant toutefois toute allusion aux doutes qu'il aurait exprimés à ses responsables et toute plainte quant à une absence de soutien de la part de ses managers ; qu'enfin, le 27/ 2/ 12, M. X... a adressé à Mme Y...directrice juridique sur le site de Cherbourg une copie de l'accord-cadre conclu avec Issartel avec le commentaire suivant : " Tu y verras des choses étonnantes " ; que ce dernier courriel ne saurait s'analyser en une dénonciation faute de qualification donnée par M. X... aux choses étonnantes à découvrir et de précisions sur lesdites choses ; qu'en revanche, les trois courriels précédents contiennent les principaux éléments que M. X... dénoncera le 6/ 11/ 12 au procureur de la République sous la qualification de corruption ; que dans la mesure toutefois où ce mot n'est pas employé, ces courriels (du moins ceux adressés au N + l et N + 2) peuvent s'analyser comme la dénonciation de dysfonctionnements et d'un manque de rigueur dans l'application des procédures sans toutefois qu'il ressorte manifestement de ces courriels que M. X... entend dénoncer un comportement intentionnel de la part de leur auteur ; que le courriel adressé à M. Z...ajoute des doléances quant au manque de soutien ou de réaction de la part de ses supérieurs sans pour autant que M. X... ne précise que cette attitude serait dictée par un intérêt de leur part dans les dysfonctionnement relatés ; qu'en conséquence, faute d'une dénonciation patente de faits de corruption avant le déclenchement de la procédure de licenciement et compte tenu du fait que la lettre de licenciement n'est pas motivée par les signalements faits par M. X..., il n'est pas établi de manière évidente que le licenciement serait nul car résultant de la dénonciation de faits de corruption ; que ce licenciement ne crée donc pas sur ce fondement de trouble manifestement illicite ; que la SA DCNS n'a pas licencié M. X... parce que celui-ci s'est plaint du harcèlement moral qu'il aurait subi ; que non seulement, ce motif ne figure pas dans la lettre de licenciement mais il est constant que M. X... n'a pas fait état, lors de l'entretien préalable, de la plainte pour harcèlement moral qu'il avait déposée la veille auprès du procureur de la République, il ne soutient pas non plus avoir, auparavant, dénoncé à ses supérieurs un tel harcèlement ; que dès lors, faute de lien entre la dénonciation de faits de harcèlement moral et le licenciement, ce dernier ne saurait être considéré comme évidemment nul et donc manifestement illicite ; que cette appréciation ne prive pas le cas échéant M. X... de la possibilité lors d'un débat au fond d'établir des faits laissant présumer un harcèlement et d'obtenir de ce chef des dommages et intérêts voire la nullité de son licenciement ; que Monsieur X... n'établissant pas l'existence d'un trouble manifestement illicite sera débouté de ses demandes ; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la SA DCNS ses frais irrépétibles » ;
ET AUX MOTIFS PROPRES QUE
« Sur les articles L. 1455-5 et L. 1455-6 du Code de travail, qui déterminent les compétences du juge des référés, le Conseil de Prud'hommes estime que, dans le cas d'espèce, il y a bien contestation sérieuse de la part de la SA DCNS et cette contestation interdit que soient prescrites des mesures conservatoires, telle que la réintégration de M. X... Alain dans la SA DCNS ; que le Conseil de Prud'hommes estime, par ailleurs, que le caractère imminent du dommage, au sens de la loi, ainsi que le caractère illicite du trouble censé être causé à M. X... Alain par la mesure de licenciement prise à son égard par la SA DCNS, ne sont pas rapportés ; que de plus, pour pouvoir bénéficier de la protection juridique (« immunité judiciaire »), au sens de l'article L. 1161-1 du Code de Travail, M. X... Alain aurait dû faire l'objet d'un licenciement dont la cause aurait été d'avoir relaté ou témoigné de faits de corruption ; que ce n'est pas du tout le cas dans l'espèce, puisque, chronologiquement, il n'a saisi le Procureur de la République que la veille de son entretien préalable (le 6 novembre 2012 pour le 7 novembre 2012) ; que le Conseil de prud'hommes estime, dans ces conditions, qu'il ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 1161-1 du Code de travail » ;
ALORS, D'UNE PART, QU'
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ; que toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ; que le bénéfice de cette protection ne nécessite pas la description objective par le salarié d'un système de corruption mais la perception subjective d'éléments qu'il a pu analyser de bonne foi comme relevant, en substance, de faits de corruption ; que dès lors, en privant Monsieur X... de cette protection, après avoir pourtant relevé que les faits décrits à sa hiérarchie étaient les mêmes que ceux dénoncés au Procureur de la République sous la qualification de « faits de corruption », mais qu'il ne faisait pas une description patente de faits de corruption, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 1161-1 du Code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE
Dans ses conclusions, Monsieur X... faisait valoir qu'il avait informé sa hiérarchie, et notamment Monsieur Z..., avant son licenciement des faits de harcèlement moral dont il était la victime (conclusions d'appel, page 25) ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le caractère illicite du licenciement, que Monsieur X... ne soutenait pas avoir dénoncé à ses supérieurs les faits de harcèlement moral dont il avait été l'objet au sein de l'entreprise, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions de Monsieur X... et violé ainsi l'article 4 du Code de procédure civile.