LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 septembre 2014), que la SCI les Teppes Sud (la SCI), propriétaire de parcelles non bâties cadastrées section C n° 1961, 1963, 1965 et 1967, s'est vue délivrer un certificat d'urbanisme spécifiant que l'accès de ses parcelles sur la route départementale 183 était interdit ; qu'elle a, après expertise, assigné en désenclavement M. Jean-François X..., Mme Germaine X... et Mme Josette Y..., propriétaires en indivision des parcelles cadastrées même section n° 1189 et 1191, et M. Marcel X..., propriétaire de celles cadastrées n° 2386, 2388 et 1193 ;
Sur la recevabilité du pourvoi incident de M. Marcel X... examinée d'office, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile :
Attendu qu'une même personne, agissant en la même qualité, ne peut former qu'un seul pourvoi en cassation contre la même décision ;
Attendu que, le 12 mai 2015, M. Marcel X... a formé un pourvoi incident contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry ;
Attendu que celui-ci, qui, en la même qualité, avait déjà formé contre la même décision, le 17 novembre 2014, un pourvoi enregistré sous le numéro 14-26. 598, dont il a été déclaré déchu par ordonnance du 4 juin 2015, n'est pas recevable à former un nouveau pourvoi ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal de Mme Y... :
Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de dire que les parcelles de la SCI sont enclavées, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsqu'aucun obstacle physique ne s'oppose à l'ouverture d'une parcelle directement sur une voie publique et que le seul obstacle se trouve constitué par le refus opposé à cet accès par une commune, l'état d'enclave ne peut être retenu si la partie qui l'allègue n'a pas exercé à l'encontre de la décision de la commune les voies de recours qui lui étaient ouvertes ; qu'en constatant qu'aucun obstacle physique n'empêchait l'ouverture du fonds de la SCI Les Teppes Sud sur le CD 183, et que le seul obstacle à cet accès était constitué par le certificat d'urbanisme délivré par la commune de Lucinges interdisant l'accès à cette voie publique, puis en retenant que l'absence de recours exercé contre cet acte administratif était sans incidence sur l'état d'enclave, dans la mesure où cette dernière ne pouvait se voir contrainte à exercer à un tel recours, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et a violé l'article 682 du code civil ;
2°/ que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur la légalité d'un acte administratif ; qu'en énonçant que le motif du refus de l'accès à la route départementale pouvait légitimement procéder de règles d'urbanisme et de dispositions ressortant du PLU, cependant que le juge judiciaire ne peut se prononcer sur la légalité d'un acte administratif, de sorte que les juges du fond n'avaient pas compétence en l'espèce pour affirmer que les motifs de la décision de la commune interdisant l'accès au CD 183 étaient conformes aux règles d'urbanisme, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le certificat d'urbanisme interdisait tout accès direct depuis la route départementale 183 au fonds de la SCI et justement retenu que celle-ci ne pouvait se voir contrainte à exercer un recours à l'encontre de cet acte, la cour d'appel a, abstraction faite d'un motif surabondant relatif à la légitimité de ce certificat, souverainement retenu que le fonds concerné était enclavé et devait bénéficier d'une servitude légale de passage ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de Mme Y..., ci-après annexé :
Attendu que la cour d'appel qui, après avoir souverainement déterminé l'assiette de la servitude de passage, a pu réserver la fixation des indemnités dues aux propriétaires des fonds servants, laquelle est sans incidence sur la fixation de l'assiette de la servitude, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
DECALRE IRRECEVABLE le pourvoi incident ;
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne Mme Y... et M. Marcel X... aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme Y... à payer à la SCI Les Steppes Sud la somme de 3 000 euros et condamne M. Marcel X... à payer à la SCI Les Steppes Sud la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par Me Balat, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les parcelles cadastrées section C, nos 1961, 1963, 1965 et 1967, lieudit « ... », sur le territoire de la commune de Lucinges (74380), appartenant à la société civile immobilière Les Teppes Sud, étaient enclavées ;
AUX MOTIFS QU'il résulte des dispositions de l'article 682 du code civil que le propriétaire dont le fonds est enclavé et qui n'a sur la voie publique qu'une issue insuffisante, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ; qu'il est constant que caractère enclavé d'un fonds peut être apprécié en considération des exigences d'un plan local d'urbanisme notamment en matière de nécessité de la circulation ; qu'en application des dispositions de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme, un permis de construire peut être refusé ou accepté sous réserve de prescriptions spéciales si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celles des personnes utilisant ces accès ; que les parcelles cadastrées section C nos 1961, 1963, 1965 et 1967 sont bordées par la route départementale n º 183, mais que la mairie de Lucinges a délivré un certificat d'urbanisme interdisant tout accès direct sur le CD 183 ; qu'une des premières investigations de l'expert judiciaire a été d'interroger la mairie qui lui a répondu que pour des raisons de sécurité, les accès sur le CD 183 sont limités au maximum et ce en application des dispositions du plan local d'urbanisme concernant la zone 1AU dans laquelle sont classées les parcelles constituant le fonds de la SCI Les Teppes Sud ; que le maire de la commune de Lucinges a en effet répondu au courrier de l'expert par une lettre du 5 août 2010 (annexe 4 du rapport) exposant que le CD 183 est potentiellement dangereux, la commune étant classée en totalité « montagne » et que ces dispositions répondent à la demande expresse du conseil général conformément au plan local d'urbanisme de la commune ; qu'il précise par ailleurs que cette restriction correspond à une politique sécuritaire menée depuis de nombreuses années et que cette restriction a été imposée dans la mesure où les parcelles bénéficient d'une voie secondaire aménagée accessible, la « route de ... » ainsi que cela ressort effectivement des extraits du plan cadastral annexés au rapport d'expertise ; que Mme Josette Y... fait valoir que d'autres accès ont été autorisés sur le CD 183, mais que le maire souligne qu'ils concernent soit des constructions anciennes, soit des constructions récentes ayant des accès groupés et que la commune a fait réaliser des aménagements importants pour permettre aux véhicules venant de la voie de « ... » un accès organisé sur la route départementale ; que le maire précise enfin que les parcelles situées de l'autre côté du CD 183 ne bénéficient pas de voie secondaire qui aurait permis de canaliser la circulation en une seule sortie sur la route départementale ; que Mme Josette Y... ne peut soutenir de manière pertinente que l'état d'enclave ne peut pas être retenu du fait que la SCI Les Teppes Sud n'a formé aucun recours à l'encontre du certificat d'urbanisme, alors d'une part que la SCI Les Teppes Sud ne peut se voir contraindre à d'exercer un recours alors qu'il a été dit que le motif du refus de l'accès à la route départementale pouvait légitimement procéder de règles d'urbanisme et de dispositions ressortant du plan local d'urbanisme et qu'elle ne propose aucune cause d'illégalité externe ou interne qui pourrait fonder le dit recours ; qu'elle reproche enfin à l'expert judiciaire de n'avoir pas vérifié si les parcelles de la SCI Les Teppes Sud ne seraient pas issues du partage d'un plus grand fonds en n'établissant leur origine de propriété que depuis 1901, alors que si elle allègue une division antérieure, il lui appartient de l'établir, cette question étant de nature plus juridique que technique ; que l'expert retient avec certitude et de manière pertinente, notamment au vu des anciennes références des parcelles litigieuses et du plan cadastral de 1901 que le fonds de la SCI Les Teppes Sud provient de parcelles ayant appartenu à différents propriétaires, mais qu'elles ne procèdent pas de la division de parcelles plus grandes ; qu'il convient dès lors de retenir que les parcelles cadastrées section C nos 1961, 1963, 1965 et 1967 ne disposant d'aucun accès à une voie publique, sont enclavées et que leur propriétaire est bien fondé à solliciter l'application des dispositions de l'article 682 du code civil ;
ALORS, D'UNE PART, QUE lorsqu'aucun obstacle physique ne s'oppose à l'ouverture d'une parcelle directement sur une voie publique et que le seul obstacle se trouve constitué par le refus opposé à cet accès par une commune, l'état d'enclave ne peut être retenu si la partie qui l'allègue n'a pas exercé à l'encontre de la décision de la commune les voies de recours qui lui étaient ouvertes ; qu'en constatant qu'aucun obstacle physique n'empêchait l'ouverture du fonds de la société civile immobilière Les Teppes Sud sur le CD 183, et que le seul obstacle à cet accès était constitué par le certificat d'urbanisme délivré par la commune de Lucinges interdisant l'accès à cette voie publique (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 9), puis en estimant que l'absence de recours exercé contre cet acte administratif par la société civile immobilière Les Teppes Sud était sans incidence sur l'état d'enclave, dans la mesure où cette dernière ne pouvait se voir contrainte à exercer un tel recours (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 3), la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et a violé l'article 682 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur la légalité d'un acte administratif ; qu'en énonçant que « le motif du refus de l'accès à la route départementale pouvait légitimement procéder de règles d'urbanisme et de dispositions ressortant du PLU » (arrêt attaqué, p. 6 al. 3), cependant que le juge judiciaire ne peut se prononcer sur la légalité d'un acte administratif, de sorte que les juges du fond n'avaient pas compétence en l'espèce pour affirmer que les motifs de la décision de la commune interdisant l'accès au CD 183 étaient conformes aux règles d'urbanisme, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'afin de donner un accès suffisant à la voie publique aux parcelles cadastrées section C, nos 1961, 1963, 1965 et 1967, lieudit « ... », sur le territoire de la commune de Lucinges (74380), appartenant à la société civile immobilière Les Teppes Sud, constituant le fonds dominant, une servitude de passage serait constituée dont l'assiette de six mètres de large serait prise à cheval et par moitié de trois mètres de largeur, sur les fonds de M. Marcel X... constitués des parcelles cadastrées 1193, 2386 et 2388 et de M. Jean-François X..., Mme Germaine X... et Mme Josette Y... constitués des parcelles 1189 et 1191, tous deux constituant les fonds servants, telle que figurée comme étant l'accès n º 7 sur l'extrait du plan cadastral constituant l'annexe 4 du rapport d'expertise établi par M. A... le 22 février 2011 ;
AUX MOTIFS QUE l'expert recense sept passages possibles figurés sur l'extrait du plan cadastral constituant l'annexe 4 de son rapport (p. 14), tout en écartant l'accès n º 1 correspondant au débouché direct sur la route départementale n º 183 interdit par la mairie et l'accès 2 qui correspondrait à un ancien chemin de servitude au vu de l'ancien plan cadastral de 1901 mais qui aurait été totalement obstrué par l'édification d'un bâtiment rendant le passage impossible, pour retenir, aux termes de ses dernières conclusions du 22 février 2011 (p. 26 du rapport), parmi les cinq autres, l'accès n º 7 ; que cet accès n º 7 procède du déplacement de l'accès 2 sur la même parcelle d'origine ; qu'il est l'un des plus courts puisque faisant quarante-deux mètres alors que des cinq passages envisageables un seul est plus court pour ne faire que quarante-et-un mètres ; qu'il est le moins dommageable du fait qu'il permet de répartir l'assiette de la servitude à cheval sur deux fonds, d'une part sur les parcelles cadastrées 1193, 2386 et 2388 appartenant à M. Marcel Alphonse Hubert X..., d'autre part sur les parcelles 1189 et 1191 appartenant à l'indivision constituée de M. Jean-François X... et Mme Germaine B... épouse X... et Mme Josette Y..., née X... ; qu'il présente enfin l'avantage de satisfaire au souci de sécurité de la commune dans la mesure où ce passage sera unique pour les fonds de la SCI Les Teppes Sud, de M. Marcel Alphonse Hubert X... et des consorts X... ; que Mme Josette Y... qui est la seule à conclure utilement ne prend aucun parti sur l'assiette de la servitude et que la SCI Les Teppes Sud sollicite que sa desserte soit assurée par cet accès n º 7 ; que cet accès sera, en conséquence, retenu ; que s'agissant de desservir des parcelles constructibles et compte tenu des prescriptions du plan local d'urbanisme, le passage ainsi créé devra être d'une largeur de six mètres ; que la SCI Les Teppes Sud offre le versement des indemnités évaluées par l'expert judiciaire, mais que la seule propriétaire indivise de l'un des deux fonds servants constituée, et ayant conclu utilement, demande que la fixation des indemnités soit réservée dans l'attente de connaître l'usage qui sera fait de la servitude de passage qui dépendra du nombre de logements à desservir ; que dans le mesure où l'indemnité doit être proportionnelle au dommage occasionné, il sera fait droit à cette demande ; qu'en tout état de cause, en l'absence de demande sur ce point, il ne peut être alloué d'indemnité ;
ALORS QUE le propriétaire du fonds dominant doit verser une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ; qu'en faisant droit à la demande de la SCI Les Teppes Sud et en fixant l'assiette de la servitude conformément aux voeux émis par celle-ci, tout en constatant qu'une incertitude subsistait sur l'usage qui serait fait de la servitude de passage litigieuse (arrêt attaqué, p. 8 in limine), ce dont il résultait nécessairement que le juge n'était pas en état de se prononcer sur le tracé le plus approprié, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 682 du code civil.