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12/11/2015 | FRANCE | N°14-23106

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 novembre 2015, 14-23106


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 7 mai 2014), que la société Vins Chevron Villette (la société) et la société civile d'exploitation agricole du Domaine Casabianca (la SCEA) ont conclu un contrat de vente pluriannuel, à l'occasion duquel la première a consenti des avances de trésorerie à la seconde ; que, faute d'avoir obtenu le remboursement de ces avances, la société a, le 31 juillet 2012, délivré un procès-verbal de saisie-vente de récolte sur pied ; que la SCEA a fait opposition-jonc

tion à cette saisie-vente en soutenant que la récolte de 2012 avait fait ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 7 mai 2014), que la société Vins Chevron Villette (la société) et la société civile d'exploitation agricole du Domaine Casabianca (la SCEA) ont conclu un contrat de vente pluriannuel, à l'occasion duquel la première a consenti des avances de trésorerie à la seconde ; que, faute d'avoir obtenu le remboursement de ces avances, la société a, le 31 juillet 2012, délivré un procès-verbal de saisie-vente de récolte sur pied ; que la SCEA a fait opposition-jonction à cette saisie-vente en soutenant que la récolte de 2012 avait fait l'objet d'un warrant agricole consenti le 26 juillet 2012 au profit de la société coopérative vinicole de La Marana (la coopérative) ; que la SCEA a agi en annulation du procès-verbal de saisie-vente et la société en annulation du warrant agricole ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du warrant agricole, alors, selon le moyen, qu'un warrant agricole ne peut être inscrit que sur les biens limitativement énoncés par l'article L. 342-1 du code rural ; que s'il peut être inscrit « sur les récoltes pendantes par les racines et les fruits non encore recueillis », c'est-à-dire sur la prochaine récolte, il ne peut l'être sur les récoltes futures ; qu'en jugeant le contraire pour dire valable et opposable à la société Le Warrant agricole inscrit par la SCEA au profit de la coopérative sur la récolte 2012 et celles à venir, la cour d'appel a violé le texte précité ;
Mais attendu que l'article 2333 du code civil dispose que le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ; qu'il s'ensuit que le warrant agricole, dont le régime n'exclut pas qu'il puisse concerner des biens mobiliers corporels futurs, peut non seulement porter sur les récoltes pendantes par les racines, conformément à l'article L. 342-1 du code rural et de la pêche maritime, mais également sur les récoltes futures, en application du droit commun du gage ; que, par ce motif de pur droit suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef ;
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société reproche à l'arrêt de statuer comme il le fait ;
Attendu que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'existence de la créance ayant fondé l'inscription du warrant agricole était attestée par la coopérative qui n'indiquait pas dénier ou renoncer au gage souscrit à son profit et dont la validité formelle n'était pas contestée, faisant ressortir l'absence d'une fraude au détriment de la société ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que le deuxième moyen étant rejeté, ce moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans objet ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Vins Chevron Villette aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze novembre deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Vins Chevron Villette.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR, confirmant le jugement, débouté l'EURL Vins Chevron Villette de sa demande en nullité du warrant consenti le 26 juillet 2012 ;
AUX MOTIFS QU'« il ressort des documents produits aux débats que la SCEA du domaine de Casabianca a consenti le 26 juillet 2012 un warrant agricole au bénéfice de la société coopérative vinicole de la Marana portant sur la récolte 2012 et celles à venir, avec pour effet de garantir une somme de 800.000 € ; que ni l'article L. 342-1 du code rural ni l'article 1129 du code civil ne s'opposent à ce qu'un warrant soit délivré sur les récoltes pendantes par les racines, c'est-à-dire la récolte en cours et les suivantes » ;
ALORS QU'un warrant agricole ne peut être inscrit que sur les biens limitativement énoncés par l'article L. 342-1 du code rural ; que s'il peut être inscrit « sur les récoltes pendantes par les racines et les fruits non encore recueillis », c'est-à-dire sur la prochaine récolte, il ne peut l'être sur les récoltes futures ; qu'en jugeant le contraire pour dire valable et opposable à l'EURL Vins Chevron Villette le warrant agricole inscrit par la SCEA du domaine de Casabianca au profit de la société coopérative vinicole de la Marana sur la récolte 2012 et celles à venir, la cour d'appel a violé le texte précité.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR, confirmant le jugement, débouté l'EURL Vins Chevron Villette de sa demande en nullité du warrant consenti le 26 juillet 2012 ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'« il ressort des documents produits aux débats que la SCEA du domaine Casabianca a consenti le 26 juillet 2012 un warrant agricole au bénéfice de la société coopérative vinicole de la Marana portant sur la récolte 2012 et celles à venir, avec pour effet de garantir une somme de 800.000 € ; que ni l'article L. 342-1 du code rural ni l'article 1129 du code civil ne s'opposent à ce qu'un warrant soit délivré sur les récoltes pendantes par les racines, c'est à dire la récolte en cours et les suivantes ; que l'article L. 521-1 du code rural prévoit que les sociétés coopératives agricoles ont pour objet l'utilisation en commun par des agriculteurs de tous moyens propres à faciliter ou à développer leur activité économique, à améliorer ou à accroître les résultats de cette activité, qu'elles forment une catégorie spéciale de sociétés, distinctes des sociétés civiles et des sociétés commerciales ; que si la constitution du warrant agricole exige différentes conditions de fond concernant les personnes pouvant y recourir, les biens susceptibles d'être warrantés et les créances garanties par cette sûreté, aucune condition ne porte sur la personne bénéficiaire du warrant ; qu'aucune prohibition des avances sur récoltes ne ressort de ces dispositions légales ; que de même, aucune disposition n'exige que le bénéficiaire du warrant, et donc le prêteur, soit une personne exerçant à titre habituel une activité de banque ; que dès lors, il n'est pas interdit à une société coopérative de bénéficier d'une telle sûreté ; que par ailleurs aucune nullité de l'acte principal n'étant demandée par l'EURL Vins Chevron Villette, celle-ci n'apparaît pas fondée à invoquer la nullité du warrant qui aurait pour cause la nullité de l'acte de prêt ; que la validité du warrant agricole consenti par la SCEA du domaine Casabianca au bénéfice de la société coopérative vinicole de la Marana devra dès lors être admise ; que le warrant agricole peut être établi entre les parties, sans transcription au greffe du tribunal d'instance mais qu'il ne sera opposable aux tiers qu'après la réalisation de cette formalité ; qu'en l'espèce, la sûreté a fait l'objet d'une transcription régulière au greffe du tribunal d'instance de Bastia le 27 juillet 2012 ; que dès lors elle sera jugée opposable à l'EURL Vins Chevron Villette ; que c'est donc à bon droit que le juge de première instance a rejeté la demande formulée par l'EURL Vins Chevron Villette tenant au prononcé de la nullité, de l'inopposabilité et de la radiation du warrant consenti par la SCEA du domaine Casabianca au bénéfice de la société coopérative vinicole de la Marana » ;
ET AU MOTIF ADOPTE QUE « si le relevé de compte produit arrêté au 27 août 2012, portant la mention, non commentée et au demeurant sibylline, de diverses sommes, et faisant apparaître au final un crédit de 458.400 € et un solde indiqué débiteur à cette date à concurrence de 403.400 €, paraît insuffisant à faire admettre la réalité d'une créance de la cave coopérative fondant l'inscription de gage pour la somme de 800.000 €, l'existence d'une créance de ce montant, dont l'échéance est fixée au 15 décembre 2015, est attestée par la Cave Coopérative de la Marana qui n'indique pas dénier ou renoncer au gage souscrit à son profit et dont la validité formelle n'est pas contestée » ;
ALORS QU'un warrant agricole constitué dans l'unique objectif de rendre vaine toute saisie d'un créancier sur les récoltes sur lesquelles il est constitué, sans qu'il garantisse aucune créance, doit être annulé en vertu du principe selon lequel la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, l'EURL Vins Chevron Villette démontrait que le warrant constitué au bénéfice de la société coopérative vinicole de la Marana, dont la SCEA Domaine de Casabianca est l'adhérent prépondérant, ne garantissait pas la prétendue avance sur récoltes qui aurait été accordée à cette dernière, ce que démontrait, d'abord, le montant excessif de cette avance de trésorerie alléguée (800.000 €) qu'aucun prêteur n'aurait accordée à une société en difficulté comme l'est la SCEA Domaine de Casabianca depuis plusieurs années, ensuite, l'absence de toute formalisation du contrat de prêt et de versement du montant du prêt et, enfin, l'objet de la société coopérative agricole (embouteillage et vinification) qui ne porte pas sur l'achat de raisin ou de vin de la société Domaine de Casabianca et ne permettait pas d'expliquer l'avance sur récolte qu'elle aurait consentie ; qu'en se bornant, par motif adopté, à relever que, si les relevés de compte de la SCEA Domaine de Casabianca n'établissaient pas le prêt, l'existence de la créance de la cave coopérative de la Marana serait établie par le fait que cette dernière ne déniait ni ne renonçait au gage à son profit, ce qui ne répondait pas aux conclusions invoquant la collusion entre la coopérative et la SCEA Domaine de Casabianca pour se soustraire à toute saisie de l'EURL Vins Chevron Villette et, donc, la fraude réalisée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR, confirmant le jugement, autorisé la SCEA Domaine Casabianca à se libérer de sa dette, savoir la somme totale de 154.240,80 € (dont la somme de 138.515,17 € en principal) en principal, intérêts, article 700, dépens et frais de procédure de saisie de récolte-vente de récoltes sur pieds, par 23 versements de 6.420 € outre un 24ème et dernier règlement pour le solde, le premier versement devant intervenir dans le mois suivant la signification du présent jugement et les versements suivants avant l'expiration du dernier jour de chaque mois ;
AU MOTIF PROPRE QUE « c'est également par de justes motifs que la Cour d'appel adopte, que le juge de première instance a accordé à la SCEA du domaine Casabianca un échelonnement du paiement de sa dette en 24 mensualités » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la SCEA Domaine Casabianca sollicite un délai de 24 mois pour se libérer de sa dette ; qu'elle produit un courrier du président de la société coopérative vinicole de la Marana évoquant l'ancienneté de ses "problèmes financiers", sans autre précision ; qu'elle justifie avoir déposé une demande de règlement amiable qui a donné lieu à la désignation d'un conciliateur, désigné par ordonnance du président de la section du tribunal de grande instance de Bastia chargée des règlements amiables agricoles en date du 21 juillet 2008, ainsi qu'au dépôt de divers protocoles d'accord avec les créanciers (dont le dernier à la date du 10 mai 2010) conduisant à un remboursement échelonné des dettes suivant échéances mensuelles de 10.391,59 € pour l'année 2012 (au vu de l'annexe jointe au compte de résultat versé pour 2011) ; que même à admettre que cette société ne renseigne pas sur l'étendue exacte de son patrimoine, il peut être admis, au vu des pièces du dossier, que la SCEA Domaine Casabianca connaît des difficultés financières avérées, au demeurant non contestées par le créancier Vins Chevron Villette qui n'argue d'aucun état particulier de besoin et qui s'oppose à l'octroi des délais sollicités en arguant seulement de l'ancienneté de sa créance et de la mauvaise foi de sa débitrice » ;
ALORS QUE si les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain, voire discrétionnaire pour apprécier l'opportunité d'accorder au débiteur un délai de paiement, ils fondent leur appréciation de cette opportunité sur les éléments du litige et en particulier sur la situation du débiteur et son attitude face à ses obligations ; que, dès lors, et en application de l'article 625 du code de procédure civile, la censure à intervenir de l'arrêt sur le fondement du moyen précédent, révélant la nécessaire prise en compte de la fraude à laquelle la SCEA Domaine de Casabianca a tenté de procéder en constituant un warrant au profit de la coopérative de La Marana pour garantir une dette fictive et dans le seul but d'interdire toute saisie-vente des récoltes par l'EURL Vins Chevron Villette, entrainera la censure de la décision accordant à la première des délais de paiement pour s'acquitter de sa dette.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-23106
Date de la décision : 12/11/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

AGRICULTURE - Exploitation agricole - Financement - Warrant agricole - Assiette - Etendue - Détermination

L'article 2333 du code civil dispose que le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs. Il s'ensuit que le warrant agricole, dont le régime n'exclut pas qu'il puisse concerner des biens mobiliers corporels futurs, peut non seulement porter sur les récoltes pendantes par les racines, conformément à l'article L. 342-1 du code rural et de la pêche maritime, mais également sur les récoltes futures, en application du droit commun du gage


Références :

article 2333 du code civil

article L. 342-1 du code rural et de la pêche maritime

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 07 mai 2014

Sur l'assiette d'un autre gage particulier, à rapprocher :Com., 19 février 2013, pourvoi n° 11-21763, Bull. 2013, IV, n° 29 (cassation)


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 nov. 2015, pourvoi n°14-23106, Bull. civ. 2016, n° 839, 1re Civ., n° 406
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2016, n° 839, 1re Civ., n° 406

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : M. Ingall-Montagnier (premier avocat général)
Rapporteur ?: M. Vitse
Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.23106
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