LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 février 2014) que M. et Mme X... locataires, depuis le 1er janvier 1998 d'un immeuble ancien à usage d'hôtel, café-restaurant appartenant aux consorts Y..., ont, après l'apparition de fissures dans les bâtiments, assigné les bailleurs aux fins de condamnation à exécuter des travaux de reprise des désordres et réparation du préjudice commercial subi ;
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande de dommages-intérêts des locataires, alors, selon le moyen :
Que, s'il est normalement dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand bien même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail, il y a perte de la chose louée, exclusive de tout dédommagement du locataire, dès lors que la dépense nécessaire pour remédier au vice apparaît comme disproportionnée par rapport à la valeur vénale de l'immeuble loué, cette disproportion étant assimilable à un cas fortuit dès lors qu'il n'est pas établi que le vice de la chose louée, et notamment le vice de conception ou de construction, serait personnellement imputable au bailleur actuel ; qu'aussi bien, en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée et comme l'avaient retenu les premiers juges, si à supposer que le phénomène de fissurations observé fût imputable à un vice de conception de l'immeuble, plutôt qu'au phénomène naturel de dessiccation et réhydratation des sols, celui-ci n'était pas néanmoins assimilable à un cas fortuit justifiant la mise en oeuvre des règles applicables à la perte de la chose louée, dès lors que le coût des reprises préconisées par l'expert judiciaire était quasi-équivalent à la valeur vénale de l'immeuble, la cour d'appel, qui ne constate pas davantage que le vice de conception ou de construction de l'immeuble, qui en l'occurrence était plus que centenaire, était personnellement imputable à une faute des bailleurs prive son arrêt de base légale au regard des articles 1721 et 1722 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que les fissurations de l'immeuble résultaient de sa construction défectueuse, excluant que les circonstances climatiques et les mouvements de terrain puissent être considérés comme un cas de force majeure, que les propriétaires qui méconnaissaient depuis plusieurs années leurs propres obligations, n'avaient réalisé jusqu'alors que des travaux palliatifs sans s'attaquer aux causes réelles des désordres et ne pouvaient se prévaloir d'un défaut d'entretien par les locataires, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la responsabilité des bailleurs soumis à une obligation de délivrance était engagée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts Y... ; les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à M. et Mme X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour Mme Y... et MM. Philippe et Jacques Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné les consorts Y... à payer aux époux X... la somme de 180. 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE les époux X... soutiennent que le bâtiment a plus d'un siècle, qu'il ne peut pas y avoir une responsabilité infinie pour erreur de conception, que les hypothèses de Monsieur Z... relèvent de l'imagination, que si les fondations avaient été insuffisantes, l'évolution se serait fait ressentir beaucoup plus tôt ; que la responsabilité du bailleur ne peut pas être engagée, qu'il ne peut être responsable des facteurs qu'il ignorait, et qu'il y a lieu d'appliquer l'article 1722 du code civil, qu'il y a une perte économique totale de la chose louée, et qu'ils n'ont jamais manqué à leur obligation d'entretien ; que cependant, les conclusions de l'expert sont claires ; que les fissurations de l'immeuble y sont attribuées à la conception de l'immeuble lui-même, construit pour partie seulement avec des fondations profondes ; que les circonstances climatiques et les mouvements de terrain ne peuvent dès lors pas être considérés comme un cas de force majeure dès lors que l'immeuble lui-même a été construit de façon défectueuse ; que les propriétaires qui donnent à bail un immeuble qui, par sa structure même, se révèle impropre à l'usage pour lequel il est donné à bail, sont responsables des conséquences dommageables de cette impropriété pour le locataire, d'une part en tant qu'ayant droits des propriétaires initiaux et d'autre part en vertu de leur obligation de non éviction ;
ALORS QUE, s'il est normalement dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand bien même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail, il y a perte de la chose louée, exclusive de tout dédommagement du locataire, dès lors que la dépense nécessaire pour remédier au vice apparaît comme disproportionnée par rapport à la valeur vénale de l'immeuble loué, cette disproportion étant assimilable à un cas fortuit dès lors qu'il n'est pas établi que le vice de la chose louée, et notamment le vice de conception ou de construction, serait personnellement imputable au bailleur actuel ; qu'aussi bien, en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée (cf. les dernières écritures des consorts Y..., pp. 11 et 12, et aussi, sur l'analyse des désordres, p. 5 et s.) et comme l'avaient retenu les premiers juges, si à supposer que le phénomène de fissurations observé fût imputable à un vice de conception de l'immeuble, plutôt qu'au phénomène naturel de dessiccation et réhydratation des sols, celui-ci n'était pas néanmoins assimilable à un cas fortuit justifiant la mise en oeuvre des règles applicables à la perte de la chose louée, dès lors que le coût des reprises préconisées par l'expert judiciaire (155. 000 euros HT) était quasi-équivalent à la valeur vénale de l'immeuble (165. 000 euros), la Cour, qui ne constate pas davantage que le vice de conception ou de construction de l'immeuble, qui en l'occurrence était plus que centenaire, était personnellement imputable à une faute des bailleurs prive son arrêt de base légale au regard des articles 1721 et 1722 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE) :Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné les consorts Y... à payer aux époux X... la somme de 180. 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE sur le préjudice, Monsieur et Madame X... écrivaient aux propriétaires le 23 janvier 2003 que « ces dégradations multiples nous ont obligés à ne lus louer de chambres dans l'hôtel et ceci depuis au moins un an » puis, le 12 novembre 2003 : « Nous tenons à vous rappeler que depuis deux ans nous ne louons plus de chambre, suite à l'état inquiétant du bâtiment » ; que la Commission de sécurité, en sa séance du 17 décembre 2003 a émis « un avis défavorable à l'exploitation de l'hôtel par rapport aux mesures constructives (sic) de l'établissement » ; que Monsieur et Madame X... produisent des courriers adressés aux propriétaires, au moins une fois chaque année à partir de novembre 1995, date où ils disent déjà que les fissures s'aggravent d'année en année et que le carrelage de la cuisine est « dans un état de délabrement avancé » en raison de ces fissures ; que les chiffes résultant des documents établis par l'expert-comptable font état d'une baisse très importante du chiffre d'affaires hôtellerie à partir de l'exercice 1997-1998 (de 15. 000 à 3. 800) et une absence totale à partir de l'exercice 2001-2002 (exercice du 1er novembre au 31 octobre), après que le chiffre d'affaires de 5. 757 et 6. 204 euros dans les exercices intermédiaires fût passé à 1. 508 euros dans l'exercice 2000-2001 ; qu'il y a là une perte justifiée et manifestement due à l'ampleur des fissurations démontrée par des photographies impressionnantes ; que la perte de l'activité hôtellerie s'est poursuivie jusqu'à l'abandon forcé des locaux et du bail en 2013 ; qu'il ne peut être imputé aux locataires un manque d'entretien des chambres cependant que l'immeuble lui-même se détériorait de plus en plus pendant que les propriétaires résistaient plusieurs années à leurs propres obligations ; que, sur la base des chiffres d'affaires donnés par le cabinet d'expertise comptable Fiduralp et des chiffres admis par l'expert à la fin de l'exercice 2005-2006, les époux X... demandent l'indemnisation d'une perte d'exploitation de 260. 000 euros de 1997 à 2013, tenant compte de l'imputation de 30 % de frais généraux sur le montant du chiffre d'affaires et de l'absence de personnel spécialement affecté à l'hôtellerie ; qu'il apparaît que la perte sur l'hôtellerie s'est accompagnée d'une plus grande réussite en matière de restauration ; que les chiffres du comptable et de l'expert apparaissent tenir compte de tous les éléments comptables du dossier et que, déduisant 30 % de frais, ils aboutissent bien à une perte de marge et que la contestation des consorts Y..., qui ont eu en main les bilans des années 1997 à 2005 produits par les X... ne contestent pas plus précisément le montant de la demande ; que l'examen des bilans montre une très grosse baisse d'une part des achats de matières premières et d'approvisionnements (de 594. 054 à 495. 038) et des salaires et charges sociales (450. 285 à 352. 224) entre les exercices 1996-1997 et 1997-1998 et qui a alors généré une perte de bénéfice de 21. 800 F environ, soit 3. 323, 39 euros ; qu'il apparaît seulement que la part des frais imputable sur l'activité hôtellerie soit en réalité plus importante que retenu, et doive être portée à 50 %, ramenant la perte enregistrée à 180. 000 euros ;
ALORS QUE, D'UNE PART, les consorts Y... soutenaient que la baisse de chiffre d'affaires de l'activité hôtelière, constatée entre 1997 et 2001, était sans lien aucun avec les désordres dont était affecté l'immeuble, mais procédait du choix non contraint des époux X... d'affecter à leur habitation personnelle, eu égard aux économies de frais de logement qui en résultaient pour eux, quatre des huit chambres que comportait l'hôtel (cf. leurs dernières écritures, pp. 15 in fine et suiv.) ; qu'en ne s'expliquant pas sur cet aspect central des débats, la Cour, qui ne donne par ailleurs aucune indication utile sur l'incidence qu'avait pu avoir l'émergence du phénomène de fissurations sur la baisse d'activité constatée avant la cessation de l'exploitation hôtelière, ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage dont il a été alloué réparation et prive derechef sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, les consorts Y... faisaient aussi observer que l'avis de la Commission de sécurité du 17 décembre 2003 était intervenu bien après que les époux X... eurent décidé de cesser l'exploitation de l'hôtel et que cet avis, qui n'était intervenu qu'en décembre 2003, à l'issue d'une inspection non contradictoire à l'égard du bailleur, avait été ultérieurement rapporté par ladite Commission, qui avait émis un avis favorable à la réouverture de l'établissement dès l'année 2006 (cf. les dernières écritures des consorts Y..., spéc. p. 16 in fine et p. 18 § 1) ; qu'ils produisaient en outre l'arrêté municipal du 7 mars 2007 autorisant « la partie hôtellerie de l'hôtel-restaurant du ... (¿) à ouvrir au public à compter de la date du présent arrêté », ainsi que le rapport de visite de la Commission de sécurité du 18 décembre 2006 qui lui était annexé et qui ne faisait mention d'aucun risque qui fût lié au phénomène de fissurations de l'immeuble litigieux (cf. leur pièce n° 26) ; qu'en fondant leur décision sur l'avis de la Commission de sécurité du 17 décembre 2003, sans prendre également en considération l'avis postérieur du 18 décembre 2006 et l'autorisation de réouverture du 7 mars 2007, la Cour ne justifie pas légalement sa décision d'indemniser l'intégralité de la période 1997-2013 ; que sous cet angle également, l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1147 du Code civil ;
ET ALORS QUE, ENFIN, les consorts Y... soutenaient encore que la décision d'arrêter l'activité hôtelière, intervenue dès l'année 2000, soit bien avant l'avis défavorable de la Commission de sécurité du 17 décembre 2003, était en fait motivée par le choix de l'exploitant qui avait préféré se consacrer exclusivement aux activités de restauration, bar et jeux de boules jugées plus rentables et s'étaient corrélativement abstenus de toute dépense d'entretien et d'aménagement des chambres d'hôtel (cf. leurs dernières écritures, pp. 16 et 17) ; que les bailleurs rappelaient qu'ils n'avaient quant à eux jamais failli à leur propre obligation d'entretien et avaient justifié à cet égard avoir exposé pour plus de 430. 000 francs de travaux divers depuis 1985 (cf. leurs dernières écritures, p. 14 in fine et le bordereau de communication de pièces, n° 1 à 7) ; qu'en affirmant pourtant que ne pouvait être imputé aux locataires un manque d'entretien des chambres dès lors « que les propriétaires ont résisté plusieurs années à leurs propres obligations », sans nullement préciser la nature des obligations dont l'inexécution serait imputable aux bailleurs, étant rappelé que ne pouvait être exigé d'eux la réalisation de travaux dont le coût eût été manifestement excessif au regard de la valeur vénale de l'immeuble, la Cour prive derechef sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.