LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet, place du Parlement, CS 66423, 35064 Rennes cedex,
contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2014 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant à M. Patrice X..., pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de la personne et des biens de sa fille mineure Y...
X..., domicilié ...
défendeur à la cassation ;
Le premier président a, par ordonnance du 29 janvier 2015, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;
Le demandeur invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par le procureur général près la cour d'appel de Rennes ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. X..., pris tant en son nom personnel qu'ès qualités ;
Une constitution en intervention volontaire a été déposée par la SCP Spinosi et Sureau, avocat du Défenseur des droits ;
Des observations ont été déposées au greffe de la Cour par le Défenseur des droits et communiquées aux parties ;
Le rapport écrit de M. Soulard, conseiller, et l'avis écrit de M. Marin, procureur général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 19 juin 2015, où étaient présents : M. Louvel, premier président, M. Terrier, Mme Flise, M. Guérin, Mme Batut, M. Frouin, Mme Mouillard, présidents, M. Soulard, conseiller rapporteur, Mmes Nocquet, Aldigé, M. Chollet, Mmes Bignon, Riffault-Silk, MM. Huglo, Maunand, Poirotte, Mme Le Boursicot, M. Chauvin, Mme Orsini, conseillers, M. Marin, procureur général, Mme Morin, directeur de greffe adjoint ;
Sur le rapport de M. Soulard, conseiller, assisté de Mme Norguin, greffier en chef au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray et de la SCP Spinosi et Sureau, l'avis tendant à la cassation de M. Marin, procureur général, auquel, parmi les parties invitées à le faire, la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray a répliqué, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 décembre 2014), que Y...
X..., reconnue par M. X...le 1er février 2011, est née le 30 mai 2011, à Moscou ; que son acte de naissance, établi en Russie, désigne M. Patrice X..., de nationalité française, en qualité de père, et Mme Lilia Z..., ressortissante russe, qui a accouché de l'enfant, en qualité de mère ; que le procureur de la République s'est opposé à la demande de M. X...tendant à la transcription de cet acte de naissance sur un registre consulaire, en invoquant l'existence d'une convention de gestation pour autrui conclue entre M. X...et Mme Z... ;
Attendu que le procureur général fait grief à l'arrêt d'ordonner la transcription, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en I'état du droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de I'état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, tel qu'affirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation ;
2°/ qu'est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision. Cette solution, qui ne prive pas I'enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit de l'État étranger lui reconnaît, ni ne l'empêche de vivre au foyer de M. Patrice X..., ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au sens de I'article 8 de la Convention européenne des droits de I'homme, non plus qu'à son intérêt supérieur garanti par I'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de I'enfant ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'acte de naissance n'était ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la convention de gestation pour autrui conclue entre M. X...et Mme Z... ne faisait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le trois juillet deux mille quinze par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Moyen annexé au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
Il est fait grief à I'arrêt attaqué d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nantes en date du 3 octobre 2013 et d'ordonner la transcription sur les registres du service central d'état civil de Nantes de l'acte de naissance de l'enfant Y...
X...établi à Moscou le 7 juin 2011 ;
AUX MOTIFS QUE :
Comme l'ont retenu les premiers juges, il existe un faisceau d'indices permettant de caractériser une convention de gestation pour autrui. Il a été rappelé dans l'arrêt les difficultés intervenues quant à l'entrée sur le sol français de Y..., laquelle, bien que vivant avec M. Patrice X...depuis le 2 juin 2011, n'a toujours pas de nationalité française et n'a pas de droits légaux dans la succession à venir de son père. La cour d'appel a considéré qu'en présence de la réalité biologique du lien de filiation et afin de réparer l'atteinte au droit de la vie privée de l'enfant figurant à I'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, il convient, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, de faire primer l'intérêt supérieur de l'enfant au sens de l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) sur la fraude. Considérant enfin, que Mme Lilia Z... est également la mère biologique de l'enfant pour avoir accouché de Y...; que dès lors, si les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme n'ont pas résolu la question de la filiation maternelle pour les mères d'intention, ces arrêts ont condamné le défaut de reconnaissance d'une filiation biologique, en sorte que, toujours dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la transcription de l'acte de naissance de Y...doit être ordonnée dans les termes du dispositif des écritures de M. Patrice X...,
ALORS QUE :
En l'état du droit positif, il est contraire au principe de l'indisponibilité de I'état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d'autrui, qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, tel qu'affirmé par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Or, M. Patrice X..., qui est le père biologique de l'enfant, a eu recours à une convention de gestation pour autrui, ce qui a été constaté par l'arrêt critiqué, détournant ainsi frauduleusement les règles de l'article 16-7 du code civil, sans que les juges d'appel n'en tirent toutes les conséquences de droit.
Qu'en ordonnant la transcription de l'acte de naissance sur les registres français d'état civil, alors qu'elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public établissaient l'existence d'une convention de gestation pour le compte d'autrui, caractérisant ainsi un processus frauduleux dont la naissance de l'enfant était l'aboutissement, la cour d'appel de Rennes a violé les articles 16-7 et 16-9 du code civil.
ET ALORS QUE :
Est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance établi en exécution d'une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de cette décision. Cette solution, qui ne prive pas l'enfant de sa filiation paternelle, ni de la filiation maternelle que le droit de l'État étranger lui reconnaît, ni ne l'empêche de vivre au foyer de M. Patrice X..., ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de cet enfant au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, non plus qu'à son intérêt supérieur garanti par I'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de I'enfant.
Or, la cour d'appel de Rennes, pour justifier son choix de transcrire l'acte de naissance en cause, a retenu que l'enfant n'avait toujours pas la nationalité française et n'avait pas de droits légaux dans la succession à venir de son père et qu'en présence de la réalité biologique du lien de filiation et afin de réparer l'atteinte au droit de la vie privée de l'enfant figurant à I'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, il convient, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, de faire primer l'intérêt supérieur de l'enfant.
Qu'en ordonnant la transcription de l'acte de naissance, sur les registres français d'état civil, sur le fondement de l'atteinte à la vie privée de l'enfant et sur celui de l'intérêt supérieur de l'enfant, sans reconnaître que l'enfant avait bien une filiation paternelle et maternelle légalement établie, qu'il était donc muni d'un droit dans la succession de son père, qu'il vivait sur le sol français avec son père et qu'il pouvait, en vertu de l'article 18 du code civil et de la circulaire du 25 janvier 2013 validée par le Conseil d'État le 12 décembre 2014, obtenir la nationalité française, la cour d'appel de Rennes a violé les textes susvisés.