LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 mars 2014), que la société Ugitech a acquis en 2001 de la société Compagnie engrenages et réducteurs Messian Durand (société CMD), un matériel sidérurgique fourni par la société Robydro Hera ; qu'ayant constaté une dégradation de son fonctionnement, elle a assigné en référé ces sociétés et leurs assureurs et obtenu, en 2009, la désignation en qualité d'expert de M. X... dont la mission a été étendue à deux reprises ; que la société Ugitech a sollicité la récusation de l'expert et son remplacement devant le juge chargé du contrôle de l'expertise qui l'a déclarée recevable mais non fondée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Ugitech fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de récusation de l'expert, alors selon le moyen :
1°/ que l'expert doit être récusé toutes les fois que les circonstances dans lesquelles il intervient sont de nature à faire douter de son impartialité ; que la société Ugitech indiquait à l'appui de sa demande de récusation de l'expert X..., que ce dernier avait systématiquement refusé d'aborder la question de la conception du Bogiflex, élément incontournable de sa mission telle que découlant de l'ordonnance l'ayant désigné, et conception à laquelle la société Ugitech imputait les désordres ; qu'elle ajoutait que l'expert X... avait même considéré que la conception de l'engin n'était pas discutée par les parties, en dépit de la dizaine de dires de la société Ugitech consacrés à cette question ; qu'en retenant que cette critique s'analysait en une contestation de la méthodologie et des conclusions de l'expert, de sorte qu'elle ne relevait que du juge du fond, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi qu'il lui était demandé, s'il ne résultait pas de la conduite des opérations par l'expert, refusant systématiquement d'aborder la question pourtant essentielle de la conception du Bogiflex, un parti-pris de celui-ci en faveur du fabricant concepteur au détriment de l'acheteur, a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile, L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble de l'article 6§1 convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que pour exclure que M. X..., ayant enseigné au CNAM, et la société CMD, dont l'un des salariés avait soutenu, sous l'égide du CNAM, un mémoire validant la conception du Bogiflex, aient pu avoir un intérêt commun à éviter que cette conception soit remise en cause, la cour d'appel a retenu que le salarié n'avait pas soutenu son mémoire au CNAM de Paris, mais à celui de Bourges ; que cette circonstance n'était invoquée par aucune des parties ; que la cour d'appel a ce faisant méconnu l'objet du litige et violé les dispositions des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3°/ que la société Ugitech indiquait encore que les droits d'auteurs du CNAM sur le mémoire portaient sur un équipement dont la marque déposée ¿ utilisée dans le titre du mémoire ¿ était la propriété de la société CMD ; qu'il en résultait l'existence d'un lien entre le CNAM, et l'expert X..., et la société CMD, sur lequel la cour d'appel ne s'est pas expliquée ; que ce faisant la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir énuméré les agissements de l'expert susceptibles, selon la société Ugitech, de faire douter de son impartialité, l'arrêt retient que ces doléances doivent s'analyser en critiques relatives tant à la méthode choisie par l'expert qu'à la teneur de ses premières conclusions, dont aucune n'est définitive dans un dossier qui apparaît d'une particulière complexité, et relèvent de la compétence du juge du fond et qu'aucun élément sérieux n'est fourni quant à l'allégeance de l'expert au Conservatoire national des arts et métiers, établissement qui a validé en 1990 le mémoire d'un ancien salarié de la société CMD ayant pour sujet le fonctionnement du matériel litigieux ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, c'est souverainement que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui n'a pas méconnu l'objet du litige en faisant état du lieu de soutenance du mémoire, a retenu qu'aucun élément n'était de nature à faire peser sur l'expert un doute légitime sur son impartialité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la société Ugitech fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de remplacement de l'expert, alors, selon le moyen :
1°/ que pour rejeter la demande de récusation de l'expert, la cour d'appel a retenu qu'il n'avait pas méconnu son devoir de conseil ; qu'en se fondant au regard d'une obligation de conseil, au demeurant inexistante, sans rechercher s'il n'avait pas manqué à son devoir de conscience, la cour d'appel a violé l'article 237 du code de procédure civile ;
2°/ qu'ayant constaté que M. X... s'était prévalu du titre de professeur du CNAM, qu'il n'avait jamais eu, et s'était domicilié sans droit au CNAM après avoir pris sa retraite ce qui avait contraint ce dernier à réagir, la cour d'appel devait rechercher s'il ne résultait pas de ce comportement un manquement de l'expert à son devoir de conscience ; qu'en se bornant à renvoyer sur cette question au procureur, la cour d'appel qui n'a pas recherché si l'usurpation de titre qu'elle a constatée ne caractérisait pas un manquement de M. X... à son devoir de conscience, a privé sa décision de base légale au regard des articles 235 et 237 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant rappelé que la société Ugitech sollicitait le remplacement de l'expert pour manquements de celui-ci à son devoir de conscience et analysé les éléments produits à l'appui de cette demande, c'est par une erreur de plume que la cour d'appel, pour les écarter, a retenu que l'usage par l'expert de certains titres tel qu'allégué ne caractérisait nullement un manquement au devoir de conseil de l'expert de nature à justifier son remplacement, au lieu de ce qu'il ne caractérisait nullement un manquement au devoir de conscience de l'expert ; que cette erreur purement matérielle ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation ;
Et attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à renvoyer la question à l'autorité de contrôle des experts, a, motivant sa décision, souverainement retenu que les manquements reprochés au technicien ne justifiaient pas son remplacement ;
D'où il suit que le moyen inopérant en sa première branche n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ugitech aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Ugitech ; condamne la société Ugitech à verser d'une part la somme de 3 000 euros à la société Compagnie engrenages et réducteurs Messian Durand et d'autre part la même somme à la société HDI Gerling Industrie Versicherung ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Ugitech.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de récusation de l'expert formée par la société UGITECH,
AUX MOTIFS QUE la société UGITECH invoque la partialité de cet expert, tout à la fois expert près la Cour de cassation et expert près la cour d'appel de Paris, désigné dans le cadre de trois missions successives, la première fois à l'initiative de CMD ; que conformément aux dispositions de l'article 341 du code de procédure civile et de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, la récusation de l'expert est possible en cas de doute très sérieux et légitime d'une partie quant à son impartialité ; que dans cette hypothèse, il appartient à celle-ci de rapporter la preuve des raisons objectives de douter de cette impartialité ; que dans ce but, la société UGITECH invoque toute une série d'avis ou de comportements de M. Jacques X... dans le cadre du déroulement des opérations d'expertise dont elle soutient qu'ils établissent que celui-ci est lié tant intellectuellement que matériellement au CNAM qui est par ailleurs, éditeur et détenteur d'un mémoire qui a été déposé et soutenu par un salarié de CMD en 1990, M. Y..., pour valider la conception et les principes de dimensionnement du Bogiflex, objet même de l'expertise, position reprise à son compte par le CNAM et qu'en conséquence, M. Jacques X... entendrait conforter ; qu'au titre des agissements de l'expert susceptibles de faire douter objectivement de son impartialité, la société UGITECH fait notamment valoir qu'il refuse tout débat sur un éventuel défaut de conception du Bogiflex, qu'il s'abstient de prendre en considération les thèses qu'elle développe à ce titre et les constats scientifiques qu'elle produit, que notamment dans une note en date du 12 juin 2012, il considère que l'avarie affectant les matériels résulte «d'une cause indéterminée et soudaine», qu'il a détourné de son objet la mission complémentaire qu'elle a sollicitée et qui a donné lieu à l'ordonnance du 28 février 2012 en s'opposant à la prise en compte des mesures effectuées contradictoirement par M. le professeur Z..., éminent spécialiste en mécanique vibratoire, qu'il a méconnu l'article 238 alinéa 3 du code de procédure civile lui interdisant de porter des appréciations d'ordre juridique, en considérant qu'elle serait intervenue pour la conception du BOGIFLEX 2002 comme maître d'oeuvre et comme bureau de contrôle et qu'en conséquence, il lui incomberait un devoir de conseil à ce titre, que sa partialité s'est également révélée au travers du comportement de son sapiteur, M. Alain A..., qui a pour mission de déterminer l'ampleur des préjudices financiers subis par elle et qui a totalement ignoré les rapports qu'elle lui a communiqués sur ce point ; que cependant, il apparait- que ces doléances doivent s'analyser en fait en des critiques relatives tant à la méthodologie choisie par l'expert qu'à la teneur de ses premières conclusions, qui ne semblent pas aller dans le sens voulu par la société UGITECH, sachant qu'à ce jour, il n'a formulé aucune conclusion définitive dans un dossier qui apparait d'une particulière complexité ; que de telles critiques ne sauraient relever que du juge du fond qui aura à apprécier le sérieux et la pertinence de ses conclusions, étant rappelé que l'expert, sous réserve d'observer les obligations mises à sa charge, demeure libre de mener ses opérations à sa convenance, sans avoir à suivre les préconisations, voire les injonctions de l'une ou l'autre des parties, en choisissant à son gré le sapiteur qu'il estime nécessaire de s'adjoindre pour remplir la mission qui lui a été confiée ; que dès lors, il sera constaté qu'aucun des éléments mis en avant par la société UGITECH ne peut sérieusement être retenu comme susceptible de caractériser un manque d'impartialité de l'expert, étant ajouté que le fait que celui-ci ait pu excéder sa mission en donnant un avis juridique sur un point particulier, appréciation qui là encore ressortira du juge du fond, ne pourrait avoir pour effet d'entraîner sa récusation ; qu'en tout état de cause, la société UGITECH qui soutient que la partialité supposée de Mr Jacques X... résulterait de son allégeance au CNAM, établissement qui a validé le mémoire d'un ancien salarié de CMD ayant pour sujet le fonctionnement du BOGIFLEX et qui aurait en conséquence intérêt à ce que la conception et le fonctionnement de ce matériel ne puisse être sujets à critiques, ne justifie nullement du caractère sérieux d'une telle allégation ; qu'il convient de rappeler que le CNAM est un établissement d'enseignement supérieur national qui forme et a formé des générations entières d'ingénieurs, que M. Y... a soutenu le mémoire en cause en 1990, non pas dans l'établissement parisien dans lequel M. Jacques X... a été professeur associé pendant plusieurs années et a conservé sa domiciliation professionnelle mais dans son centre ouvert à Bourges où il avait poursuivi sa formation, devant un jury composé de sept personnes dont M. Jacques X... ne faisait pas partie et qu'enfin M. Y... a quitté CMD courant 1993 ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que le premier juge a pu retenir que la société UGITECH ne rapportait nullement la preuve de raisons objectives lui permettant de douter de l'impartialité de l'expert qui justifieraient sa récusation ;
1) ALORS QUE l'expert doit être récusé toutes les fois que les circonstances dans lesquelles il intervient sont de nature à faire douter de son impartialité ;que la société UGITECH indiquait à l'appui de sa demande de récusation de l'expert X..., que ce dernier avait systématiquement refusé d'aborder la question de la conception du BOGIFLEX, élément incontournable de sa mission telle que découlant de l'ordonnance l'ayant désigné, et conception à laquelle la société UGITECH imputait les désordres ; qu'elle ajoutait que l'expert X... avait même considéré que la conception de l'engin n'était pas discutée par les parties, en dépit de la dizaine de dires de la société UGITECH consacrés à cette question ; qu'en retenant que cette critique s'analysait en une contestation de la méthodologie et des conclusions de l'expert, de sorte qu'elle ne relevait que du juge du fond, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, ainsi qu'il lui était demandé, s'il ne résultait pas de la conduite des opérations par l'expert, refusant systématiquement d'aborder la question pourtant essentielle de la conception du BOGIFLEX, un parti-pris de celui-ci en faveur du fabricant concepteur au détriment de l'acheteur, a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile, L 111-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble de l'article 6§1 convention européenne des droits de l'homme ;
2) ALORS QUE pour exclure que Monsieur X..., ayant enseigné au CNAM, et la société CMD, dont l'un des salariés avait soutenu, sous l'égide du CNAM, un mémoire validant la conception du BOGIFLEX, aient pu avoir un intérêt commun à éviter que cette conception soit remise en cause, la cour d'appel a retenu que le salarié n'avait pas soutenu son mémoire au CNAM de Paris, mais à celui de Bourges ; que cette circonstance n'était invoquée par aucune des parties ; que la cour d'appel a ce faisant méconnu l'objet du litige et violé les dispositions des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la société UGITECH indiquait encore que les droits d'auteurs du CNAM sur le mémoire portaient sur un équipement dont la marque déposée ¿ utilisée dans le titre du mémoire ¿ était la propriété de la société CMD ; qu'il en résultait l'existence d'un lien entre le CNAM, et l'expert X..., et la société CMD, sur lequel la cour d'appel ne s'est pas expliquée ; que ce faisant la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de remplacement de l'expert formée par la société UGITECH,
AUX MOTIFS QUE la société UGITECH sollicite encore le remplacement de Jacques X... au visa des articles 235 et 237 du code de procédure civile au motif de manquements de celui-ci à son devoir de conscience ; qu'elle soutient, à ce titre qu'il a usurpé et s'est indument prévalu du titre de « professeur au CNAM » qu'il n'a jamais eu, n'ayant été que « professeur associé » jusqu'en 2001, année de son départ à la retraite, précisant que le CNAM, avisé de cette situation, a pris des mesures restrictives à son encontre, notamment pour que tout courrier qui lui soit adressé à son adresse soit intercepté et que toute réservation de locaux lui soit refusée ; qu'elle fait valoir que de tels agissements le rendent inapte à poursuivre l'exécution des mesures d'expertise qui lui ont été confiées puisqu'ils mettent en évidence le fait qu'il n'a pas accompli sa mission avec conscience, prenant par ailleurs le risque de manquer à son obligation au secret professionnel, en incitant les parties à lui communiquer des informations confidentielles à l'adresse CNAM alors même qu'il sait que toute communication risque d'être interceptée et donc divulguée à des tiers, hypothèse nullement établie en l'espèce ; que la CMD observe que les mentions contestées (professeur et professeur associé) figuraient sur la liste des experts à la Cour de cassation lorsque M. Jacques X... a été désigné et que sur le site Internet du CNAM, il y était encore désigné courant 2013 comme professeur associé dans le cadre de plusieurs sessions de formation qu'il animait en qualité de responsable pédagogique ; qu'en outre, doit être constaté que la mention de professeur ou de professeur associé ne figure nullement sur son papier à en-tête ; qu'en l'état de ces différents éléments, il apparaît que l'usage par l'expert de certains titres, tel qu'allégué par l'appelante, s'il demande éventuellement à être vérifié par le parquet général, autorité de contrôle en matière de discipline des experts, ne caractérise nullement un manquement à son devoir de conseil de nature à justifier son remplacement ;
1) ALORS QUE pour rejeter la demande de récusation de l'expert, la cour d'appel a retenu qu'il n'avait pas méconnu son devoir de conseil ; qu'en se fondant au regard d'une obligation de conseil, au demeurant inexistante, sans rechercher s'il n'avait pas manqué à son devoir de conscience, la cour d'appel a violé l'article 237 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'ayant constaté que Monsieur X... s'était prévalu du titre de professeur du CNAM, qu'il n'avait jamais eu, et s'était domicilié sans droit au CNAM après avoir pris sa retraite ce qui avait contraint ce dernier à réagir, la cour d'appel devait rechercher s'il ne résultait pas de ce comportement un manquement de l'expert à son devoir de conscience ; qu'en se bornant à renvoyer sur cette question au procureur, la cour d'appel qui n'a pas recherché si l'usurpation de titre qu'elle a constatée ne caractérisait pas un manquement de Monsieur X... à son devoir de conscience, a privé sa décision de base légale au regard des articles 235 et 237 du code de procédure civile.