LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 décembre 2013), que M. et Mme X..., propriétaires d'une maison d'habitation située à Plourin-lès-Morlaix, jouxtant des parcelles sur lesquelles M. Y... exerce en qualité de gérant et associé de la société à responsabilité limitée Y... une activité d'exploitant forestier, puis une industrie de transformation du bois en grumes, en bûches et rondins, cette dernière activité ayant été cédée en 2000 à la société Buch'Afeu, se sont plaints à partir de 1999 de nuisances sonores provenant de cette exploitation, liées à l'emploi de machines et à la circulation intempestive d'engins de chantier ; qu'après expertise ordonnée en référé, M. et Mme X... ont assigné M. Y..., la société Y... et la société Buch'Afeu, représentée par son liquidateur amiable, M. Z..., afin d'obtenir sur le fondement de la théorie des troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage, leur condamnation solidaire au déplacement de l'entreprise et la réparation de leur préjudice ;
Attendu que la société Y... et M. Y... font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à cesser leurs activités respectives sur les terrains objet du litige, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, passé ce délai sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée outre le coût du constat, et de les condamner solidairement avec la société Buch'Afeu à verser la somme de 15 000 euros chacun à M. et Mme X... au titre de leur préjudice moral, la somme de 5 085, 22 euros, au titre des frais d'huissier de justice, la somme de 31 032 euros à Mme X... au titre de ses pertes de salaires, et la somme complémentaire de 4 000 euros à M. et Mme X... à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que la théorie des troubles anormaux de voisinage ne saurait priver le propriétaire du fonds duquel émanent les nuisances de toute utilisation de son fonds, sans vider de toute substance son droit de propriété ; que si une réparation en nature peut être mise à la charge du propriétaire du fonds duquel émanent les nuisances, cette réparation ne saurait interdire de manière générale toute activité sur le fonds ; qu'en interdisant toute activité sur le fonds litigieux sans constater, comme elle y était invitée, laquelle des activités était à l'origine des troubles litigieux, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul de doit causer un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 544 du code civil et l'article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage n'est pas une responsabilité collective ; que cette responsabilité suppose de déterminer la personne à laquelle sera imputée la charge de réparer le trouble causé ; qu'en condamnant indifféremment M. Y..., la société Y... et la société Buch'afeu à réparer les troubles subis par M. et Mme X... et à cesser toute activité, sans constater, comme elle y était invitée, laquelle des activités exercées par ces sociétés était à l'origine des troubles litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer un trouble anormal de voisinage ;
3°/ que si les juges du fond apprécient souverainement les éléments de preuve qui leur sont soumis pour caractériser la véracité d'un fait, il ne peuvent, ab initio, exclure des attestations au seul prétexte qu'elles relatent les mêmes faits et de la même manière ; qu'en retenant que les attestations rédigées par les salariés de la société Y... devaient être écartées des débats au seul motif qu'elles étaient rédigées en termes strictement identiques, la cour d'appel a violé l'article 1341 du code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que la société Y... et M. Y... ont soutenu devant la cour d'appel que l'interdiction prononcée portait une atteinte disproportionnée au droit protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Et attendu que l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que M. et Mme X... ont enduré d'importantes et de multiples nuisances sonores intensives et permanentes au-delà de l'émergence sonore admissible générées notamment par la circulation intensive et continuelle de très nombreux camions, par l'utilisation de multiples engins forestiers et par les réparations effectuées sur ces mêmes engins, ainsi que par l'activité « transformation de bois » effectuée sur le terre-plein central ; que M. et Mme X... ont également supporté de nombreuses pollutions, le remblai constitué par les sociétés Y... et Buch'Afeu s'apparentant à une véritable décharge qui a également généré une importante mare d'eau stagnante ; que les constatations relatées dans les divers constats d'huissier de justice démontrent la persistance des nuisances de voisinage et caractérisent l'anormalité des troubles correspondant à des activités commerciales et industrielles intensives ayant eu notamment des répercussions excessivement importantes sur la santé de Mme X... et sur sa carrière ainsi que sur celle de son mari ; qu'il ressort des photographies et des constats d'huissier de justice produits aux débats que les sociétés Y... et Buch'Afeu ont développé l'une comme l'autre et jusqu'en juin 2010 s'agissant de cette dernière, une activité intense, à l'origine des nuisances multiples et régulières constatées ; que la société Buch'Afeu a participé à la production de ces nuisances sonores dans la mesure où la scie était à l'origine de bruits intenses en raison de son changement d'orientation dans le hangar ; que les réparations étaient effectuées sur les engins forestiers dans le hangar ou sur le terre-plein situé à la limite de la propriété des époux X... et que les réparations les plus importantes s'effectuaient sur place de sorte que les nuisances on été indubitablement causées par l'activité « transformation de bois » réalisée sur le terre-plein central ; que s'agissant du stockage du bois, les activités des deux sociétés ont été confondues jusqu'à la disparition de la société Buch'Afeu en 2010, cette dernière ayant connu un essor important en 2008 ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits que la cour d'appel, écartant comme non probantes les attestations rédigées par les salariés de la société Y..., a pu décider que le seul remède aux nuisances sonores constatées et qui perdurent depuis le prononcé du jugement, était l'interdiction prononcée de l'activité nuisible de la société Y..., la société Buch'Afeu ayant, quant à elle, cessé son activité en juin 2010 ;
D'où il suit que le moyen, nouveau, mélangé de fait et de droit, comme tel partiellement irrecevable en sa première branche, et inopérant en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... et la société Y... Yvon aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... et de la société Y... Yvon, les condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour M. Y... et autre
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif d'AVOIR condamné solidairement la société Y..., Monsieur Y... à cesser leurs activités respectives sur les terrains objet du litige, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, passé ce délai sous astreinte de 1000 ¿ par infraction constatée outre le coût du constat, et d'AVOIR condamné solidairement Monsieur Y..., la société Y... et la société Buch'afeu à verser aux époux X... la somme de 15 000 ¿ chacun, pour les frais d'huissier la somme de 5085, 22 ¿, à Madame X... la somme de 31 032 ¿ au titre de ses pertes de salaires, aux époux X... la somme complémentaire de 4000 ¿ au titre de dommage et intérêt ;
AUX MOTIFS QU'« l'expert ayant relevé qu'un mur antibruit serait insuffisant à faire disparaître les nuisances, ils demandent à titre principal la cessation de l'activité des deux sociétés et ce sous astreinte de 200 ¿ par jour de retard, dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement ; l'expert n'a mis en évidence aucune solution de nature à mettre fin de façon significative aux nuisances subies par les époux X... ; il s'ensuit que la seule solution consiste à interdire toute activité sur les terrains litigieux sources de troubles anormaux » ;
1°/ ALORS QUE la théorie des troubles anormaux de voisinage ne saurait priver le propriétaire du fonds duquel émanent les nuisances de toute utilisation de son fonds, sans vider de toute substance son droit de propriété ; que si une réparation en nature peut être mise à la charge du propriétaire du fonds duquel émanent les nuisances, cette réparation ne saurait interdire de manière générale toute activité sur le fonds ; qu'en interdisant toute activité sur le fonds litigieux sans constater, comme elle y était invitée, laquelle des activités était à l'origine des troubles litigieux, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul de doit causer un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 544 du code civil et l'article 1 du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
ET AUX MOTIFS QUE « les constatations relatées dans les divers constats d'huissier démontrent la persistance des nuisances de voisinage et caractérisent l'anormalité des troubles » ;
2°/ ALORS, d'une part, QUE la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage n'est pas une responsabilité collective ; que cette responsabilité suppose de déterminer la personne à laquelle sera imputée la charge de réparer le trouble causé ; qu'en condamnant indifféremment Monsieur Y..., la société Y... et la société Buch'afeu à réparer les troubles subis par les époux X... et à cesser toute activité, sans constater, comme elle y était invitée, laquelle des activités exercées par ces sociétés était à l'origine des troubles litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer un trouble anormal de voisinage ;
3°/ ALORS, d'autre part, QUE si les juges du fond apprécient souverainement les éléments de preuve qui leur sont soumis pour caractériser la véracité d'un fait, il ne peuvent, ab initio, exclure des attestations au seul prétexte qu'elles relatent les mêmes faits et de la même manière ; qu'en retenant que les attestations rédigées par les salariés de la société Y... devaient être écartées des débats au seul motif qu'elles étaient rédigées en termes strictement identiques, la cour d'appel a violé l'article 1341 du code civil.