Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. André X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 11 septembre 2013, qui, pour usage d'attestations inexactes, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 décembre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle FABIANI et LUC-THALER, de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-1, 121-3, 441-7, 441-9, 441-10 et 441-11 du code pénal, 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2, 3, 388, 427, 485, 512, 551, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. André X...coupable d'usage d'attestations faisant état de faits matériellement inexacts, faits commis le 15 novembre 2000 ;
" aux motifs que la société des Francs Mûriers a engagé à l'encontre de la société « le Némo », devant le tribunal de grande instance d'Amiens, une action en justice en vue d'obtenir la résiliation du bail du fait du percement, en violation d'une clause contractuelle, d'une porte au travail d'un mur porteur dans le but de faire communiquer les deux locaux commerciaux entre eux ; après avoir relevé, à l'examen notamment d'un constat d'huissier établi le 22 janvier 2001, que l'ouverture dans le mur séparatif avait été grossièrement condamnée par l'installation provisoire d'une porte en bois et que, du côté du « Némo », le sol de la pièce était encore jonché de gravats et matériaux de démolition, le tribunal de grande instance d'Amiens, par son jugement en date du 2 octobre 2002, a rejeté cette demande de résiliation du bail en s'appuyant notamment sur trois attestations émanant de tiers au litige dont celles de M. Elie Y...(un artisan taxi), et M. Patrick Z...(un fournisseur brasseur), mentionnant que la porte litigieuse existait en mars 1997 et n'avait jamais été achevée, ni utilisée ; cependant, même si elles n'ont pas participé à asseoir la conviction du tribunal, ont également été produites lors de cette instance, suivant bordereau de communication de pièces du 15 novembre 2000, les attestations aujourd'hui litigieuses établies par MM. Gilles A...et Emmanuel B..., libellées dans les termes ci-dessus rappelés, aux fins d'établir, ainsi qu'il résulte du résumé des conclusions de la partie défenderesse, que le percement litigieux aurait été fait en 1996 par MM. C...et D..., à la fois actionnaires principaux de la société bailleresse et exploitants du fonds ; que contrairement à ce que soutient M. X..., ces deux attestations, dont la production n'aurait d'ailleurs eu aucun sens si elles n'avaient pas porté sur le percement litigieux, c'est-à-dire celui du mur situé entre la réserve ou la loge du « Némo » et le bureau de « L'Amphy », sont parfaitement précises et dépourvues de toute ambiguïté ; ainsi M. Emmanuel B... déclare-t-il que les travaux avaient déjà été engagés lors de sa prise de fonction en mars 1997 et qu'à cette date un accès entre les deux établissements existait déjà, ajoutant : « et les deux portes, dont le percement pour l'une d'elles est reproché à mon patron, M. X..., existaient également » ; quant à M. Gilles A..., il relate, dans son attestation, qu'il a suivi l'évolution des travaux de « l'Amphy » avant son ouverture et a constaté qu'il y avait bien trois portes dans le bureau, « notamment la porte figurant sur la sommation que mon patron m'a présentée », enlevant ainsi toute ambiguïté sur la porte dont le percement a été effectué avant l'ouverture de « l'Amphy » au printemps 1997 ; tant M. Emmanuel B... que M. Gilles A...ont tous deux déclaré que leurs attestations étaient inexactes en ce qu'ils indiquaient que les travaux de percement avaient été réalisés avant le mois d'avril 2007, c'est-à-dire par les précédents exploitants du fonds avant la cession intervenue au profit de M. X..., et qu'elles avaient été demandées par leur employeur auquel, en raison du lien de subordination ou par peur de perdre leur emploi, ils n'avaient pas voulu opposer un refus ; Patrick Z...a certes indiqué que M. Roger D...avait donné son accord pour le percement du mur entre les deux établissements mais a également précisé que cette opération n'avait pas été effectuée avant la cession du fonds le 20 mars 1997, revenant ainsi sur les termes de son attestation, prise en considération par le jugement du 2 octobre 2002, par laquelle il indiquait n'avoir pas remarqué de changement notable, en particulier en ce qui concerne la porte qui, à sa connaissance, n'a jamais été terminée, c'est-à-dire la porte litigieuse décrite par le constat d'huissier du 22 janvier 2001 ; l'attestation de M. Virgile E..., ayant travaillé comme agent de sécurité au Némo, démontre également que les gravats dont fait mention le constat d'huissier du 22 janvier 2001 ne jonchaient pas encore le sol du local litigieux au mois de mai 1998, faute de quoi ce dernier n'aurait pu servir de loge à une chanteuse dont il prend soin de préciser, au vu d'une photo prise le 5 mai 1998, qu'elle est en train de sortir de cette loge ; deux autres attestations délivrées par MM. Abdel F...et Laurent G..., agents de sécurité au Némo du temps de M. Marcel C...puis de M. X..., viennent confirmer qu'il n'existait pas d'accès entre la loge du Némo et l'Amphy avant la cession du fonds et que le mur a été cassé sur les ordres de M. X... ; que M. Bruno H..., agent de maintenance au Némo, vient attester à son tour qu'il a participé au percement du mur avec M. Emmanuel B... à la demande de M. X... ; l'inexactitude des faits est enfin attestée par M. Marcel C..., gérant du Némo jusqu'à sa cession au profit de M. X... ; que dès lors, en dépit du témoignage partiellement contraire de M. Elie Y...qui évoque une ébauche de percement en janvier 1997 (porte pré-dessinée dans le plâtre), tout en précisant qu'il n'y avait pas à l'époque de passage entre les deux établissements, il doit être tenu pour établi que le percement du mur litigieux est intervenu après la cession du fonds et à l'initiative de M. X...et que les attestations délivrées notamment par MM. Gilles A...et Emmanuel B... font état de faits matériellement inexacts, ce que ces derniers ont d'ailleurs reconnu ; avant d'être produites, le 15 novembre 2000, dans le cadre du litige introduit par l'assignation du 23 septembre 1999, les attestations litigieuses figuraient déjà en annexe d'une opposition à commandement diligentée le 20 octobre 1999 à la requête de la société le Némo ; que la plainte avec constitution de partie civile ayant été déposée le 20 octobre 2003, le délit d'établissement d'attestions faisant état de faits matériellement inexacts, commis nécessairement au plus tard le 20 octobre 1999, est donc couvert par la prescription et l'action publique éteinte ; qu'en revanche, il est établi que la société le Némo a communiqué, selon bordereau du 15 novembre 2000, ces deux attestations mensongères dans le cadre de l'instance introduite le 23 septembre 1999, par la société des Francs Muriers et qu'il a donc été fait usage de ces documents à une date qui n'était pas couverte par la prescription ; qu'il n'est pas discuté (page cinq, première ligne des conclusions du prévenu) que M. X...était le gérant de la société le Némo au moment où ces pièces ont été communiquées en justice ; qu'il n'est pas notamment allégué que la société le Némo aurait été à l'époque gérée de fait par une autre personne qui aurait elle-même contacté l'avocat chargé de défendre la société et lui aurait remis ou fait remettre les documents litigieux ; qu'au demeurant, il est établi que les attestations ont été demandées à leurs auteurs par M. X...lui-même qui le reconnaît lors de son interrogatoire de première comparution en date du 23 juillet 2008 ; qu'enfin, les auteurs des deux attestations confirment qu'ils les ont délivrées à l'initiative de M. X..., ajoutant que ce dernier leur avait demandé de dire que la porte était déjà percée à son arrivée ; que dès lors, doivent être écartées les arguties de sa défense selon lesquelles le fait matériel d'usage ne serait pas imputable à M. X...lui-même mais à la personne morale qu'il représentait, ou encore à son avocat à qui les attestations auraient été directement envoyées ; que l'élément intentionnel du délit, à savoir l'usage des attestations litigieuses en connaissance de leur caractère mensonger, ne souffre par ailleurs aucune discussion puisque, d'une part, les faits décrits dans les attestations sont matériellement inexacts et que, d'autre part, M. X...ne pouvait ignorer l'inexactitude d'un évènement dont il était personnellement à l'origine, ce qu'ont confirmé à la fois MM. H...
B...et Gilles A... ; qu'enfin, s'il est exact que les attestations litigieuses ont été communiquées le 15 novembre 2000 et non le 17 mai 2002, comme mentionné dans le dispositif de l'ordonnance de renvoi saisissant la juridiction correctionnelle, il n'en reste pas moins vrai que le juge d'instruction mentionne très précisément, dans le corps de son ordonnance, que les attestations litigieuses ont été toutes deux communiquées dans le cadre de la procédure civile le 15 novembre 2000 ; qu'ainsi, le fait poursuivi dont la juridiction est saisie, au sens des dispositions de l'article 551 du code de procédure pénale, consiste bien en l'usage des attestations notamment au travers de la communication du 15 novembre 2000, étant observé surabondamment que l'ordonnance reprend la formule habituelle « et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique » ; que M. X...doit donc être déclaré coupable du délit qui lui est reproché et condamné aux peines prévues par la loi ;
" 1°) alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, aux termes de l'ordonnance de renvoi du 6 novembre 2009, qui seule fixe les limites de la prévention, il est reproché à M. X...d'avoir, à Amiens, le 17 mai 2002, et en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, fait usage des attestations faisant état de faits matériellement inexacts, établies par MM. Gilles A...et Emmanuel B... ; qu'en cet état, pour déclarer l'exposant coupable d'usage de fausses attestations, la cour d'appel a retenu d'une part que ces attestations ont été communiquées le 15 novembre 2000 et non le 17 mai 2002, d'autre part que dans le corps de son ordonnance de renvoi, le magistrat instructeur a indiqué que lesdites attestations avaient effectivement été communiquées le 15 novembre 2000 ; qu'elle en a déduit que le fait poursuivi dont la juridiction est saisie, au sens de l'article 551 du code de procédure pénale, consiste bien en l'usage de ces attestations à la date du 15 novembre 2000 ; qu'en statuant ainsi, quand ces faits n'étaient pas visés par l'ordonnance de renvoi qui ne saisissait la juridiction de jugement que de faits commis le 17 mai 2002, et alors qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt attaqué que le prévenu ait accepté d'être jugé sur d'autres faits, la cour d'appel a violé l'article 388 du code de procédure pénale ;
" 2°) alors, subsidiairement, que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; qu'en l'espèce, pour déclarer l'exposant coupable d'usage de fausses attestations, la cour d'appel a estimé devoir rejeter le moyen de défense du prévenu selon lequel le fait matériel d'usage ne serait pas imputable à M. X...lui-même mais à la personne morale qu'il représentait ou encore à son avocat à qui les attestations auraient été directement envoyées ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que l'usage desdites attestations est exclusivement caractérisé par leur production dans le cadre d'une instance civile, suivant bordereau de communication de pièces du 15 novembre 2000, ce dont il résulte que l'exposant ne pouvait avoir personnellement participé aux faits ainsi retenus, dès lors que seul l'avocat d'une partie au litige a compétence pour établir un bordereau de communication de pièces et produire celles-ci aux fins de les soumettre au débat contradictoire, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 121-1 du code pénal, ensemble l'article 441-7 du même code ;
" 3°) alors que l'usage de fausse attestation supposant l'existence d'un fait positif d'utilisation imputable au prévenu, le seul fait de laisser produire par un tiers, même volontairement, un document faux, ne caractérise pas le délit de l'article 441-7 du code pénal ; qu'en se bornant à énoncer que les attestations litigieuses ont été établies à l'initiative du prévenu, pour en déduire que le fait matériel d'usage lui est personnellement imputable, tout en relevant que l'usage desdites attestations est exclusivement caractérisé par leur production dans le cadre d'une instance civile, suivant bordereau de communication de pièces du 15 novembre 2000, ce dont il résulte que le seul fait susceptible d'être retenu à la charge du prévenu était d'avoir laissé l'avocat de la société le Némo produire lesdites attestations, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 441-7 du code pénal " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'au cours d'une instance civile, ont été produites par l'avocat de la société le Némo, selon bordereau du 15 novembre 2000, deux attestations décrivant des faits matériellement inexacts ;
Attendu que, pour déclarer M. X..., gérant de cette société, coupable d'usage de ces attestations inexactes, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que la production litigieuse ne peut avoir été faite qu'à l'initiative du prévenu, qui était le seul dirigeant de la société et avait lui-même sollicité les attestations, la cour d'appel, qui n'a pas excédé les limites de sa saisine en rectifiant une erreur matérielle quant à la date de l'infraction, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. X...devra payer à la société civile immobilière Les francs Mûriers au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze janvier deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.