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10/12/2014 | FRANCE | N°13-23691;13-23692;13-23693;13-23694;13-23695;13-23696;13-23697;13-23698;13-23699;13-23700;13-23701;13-23702;13-23703;13-23704;13-23705;13-23706;13-23707;13-23708;13-23709;13-23710;13-23711;13-23712;13-23713;13-23714;13-23715;13-23716;13-23717

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 10 décembre 2014, 13-23691 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° V 13-23. 691 à Y 13-23. 717 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... et 26 autres salariés ont travaillé pour le compte de la société Les Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) ; que la société Normed a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989, Mme Y... étant désignée en qualité de mandataire liquidateur ; que par arrêté du 7 juillet 2000, l'activité réparation et constructi

on navales de cette société a été inscrite sur la liste des établissements suscep...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° V 13-23. 691 à Y 13-23. 717 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... et 26 autres salariés ont travaillé pour le compte de la société Les Chantiers du Nord et de la Méditerranée (Normed) ; que la société Normed a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989, Mme Y... étant désignée en qualité de mandataire liquidateur ; que par arrêté du 7 juillet 2000, l'activité réparation et construction navales de cette société a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; qu'invoquant une exposition à l'amiante dans l'exécution de leur travail, les intéressés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir des dommages et intérêts au titre de leurs préjudices d'anxiété et de bouleversement dans les conditions d'existence ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est fait grief aux arrêts de fixer au passif de la société Normed la créance des salariés au titre du préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il appartient au salarié de démontrer qu'il a été amené à travailler dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que l'amiante n'était plus utilisée sur le chantier naval de la Seyne-sur-Mer à partir de 1977, ce qui était notamment corroboré par une décision de la Cour de cassation constatant qu'à partir de l'année 1977 l'amiante n'était plus utilisée sur le site et par un compte-rendu d'analyses, daté du 10 mars 1981, qui établissait que l'un des matériaux utilisés, la navinite, ne contenait pas d'amiante ; qu'en retenant que le chantier de la Seyne-sur-Mer avait continué à exercer son activité de construction et de réparation navale, c'est-à-dire un secteur utilisant massivement de l'amiante et que liquidateur de la Normed ne produit d'ailleurs pas les documents, que l'employeur est seul susceptible de détenir, venant étayer son affirmation selon laquelle, à compter de 1977, il avait utilisé pour l'ensemble de son activité, des matériaux de substitution à l'amiante, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil ;
2°/ que l'inscription d'une entreprise parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA n'établit pas de plein droit que cette entreprise a eu recours à de l'amiante pour la période considérée ; qu'en retenant, pour établir la réalité de l'exposition à l'amiante de l'ancien salarié par le fait de l'employeur après 1977, que l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant inscrit le chantier de la Seyne-sur-Mer de la Normed parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA avait retenu la période postérieure à 1977, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1315 du code civil ;
3°/ qu'en l'absence d'obligation de sécurité de résultat en vigueur au moment des manquement reprochés, l'employeur ne peut être tenu de réparer le préjudice d'anxiété de son salarié au titre de la responsabilité contractuelle qu'à la condition que soit établie par le salarié une faute contractuelle, consistant dans le non-respect de la réglementation en vigueur relative à l'amiante ; qu'en énonçant qu'aucun document n'est produit par l'employeur démontrant qu'il s'était libéré de son obligation d'assurer l'effectivité des mesures particulières prévues par le décret du 17 août 1977, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil ;
3°/ qu'en tout état de cause les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ; qu'en mettant à la charge de l'employeur l'obligation de réparer le préjudice d'anxiété de l'ancien salarié au titre d'une exposition à l'amiante, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle obligation pouvait être mise, à cette époque, à la charge de l'employeur compte tenu de la réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1135 du code civil ;
4°/ que, s'agissant du préjudice d'anxiété, s'il a été jugé que le fait que l'ancien salarié se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers était indifférent pour autant, il lui appartient d'établir, au moins, par des éléments concrets et tangibles, qu'il se trouve personnellement, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'en se bornant à retenir qu'il était parfaitement compréhensible que compte tenu de la présence de l'ancien salarié dans une entreprise concernée par le dispositif de l'ACAATA, l'ancien salarié soit confronté à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, sans autre justification, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, ayant constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'ils se soumettent ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 3253-8, 1° du code du travail ;
Attendu, selon ce texte, que l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
Attendu que pour déclarer la créance des salariés opposable à l'Unedic, délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest, l'arrêt retient que le préjudice d'anxiété découle non pas de l'obligation de sécurité édictée par l'article L. 4121-1 du code du travail, mais du manquement contractuel fautif de l'employeur, lequel résulte de l'exposition à l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ;
Attendu cependant que le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le préjudice d'anxiété était né à la date à laquelle les salariés avaient eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de réparation et de construction navale de la société Normed sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit au plus tôt le 7 juillet 2000, à une date nécessairement postérieure à l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Vu l'article 627 du code de procédure civile après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent que l'Unedic délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest doit sa garantie, les arrêts rendus le 25 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit n'y avoir lieu à garantie par l'AGS-CGEA Ile-de-France Ouest des créances des salariés fixées au passif de la société Normed représentée par Mme Y..., liquidateur judiciaire ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits aux pourvois n° V 13-23. 691 à Y 13-23. 717 par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour l'Unedic délégation AGS CGEA Ile-de-France Ouest et la société MJA, ès qualités,
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d'ILE DE FRANCE OUEST et de MARSEILLE ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 à L. 3253-21 du même code, et sous les limites du plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le liquidateur dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L. 3253-20 de ce code ;
Aux motifs que « La créance indemnitaire résultant des dommages-intérêts alloués au salarié à raison de l'inexécution par l'employeur de ses obligations nées du contrat de travail est garantie par L'AGS-CGEA dans les conditions de l'article 3253-8 du code du travail.
En l'espèce, dans la mesure où le préjudice d'anxiété subi par le salarié découle, non pas de l'obligation de sécurité édictée par l'article L, 4121-1 du code du travail, mais du manquement contractuel fautif de l'employeur cidessus caractérisé, lequel résulte de l'exposition à l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société NORMED, compte tenu de la durée du contrat de travail de cet ancien salarié au sein de cette société, au visa des règles de garantie susvisées, la créance de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété doit être garantie par l'AGS-CGEA dans les limites légales prévues par les dispositions applicables à la date de rupture du contrat de travail, Il ne saurait davantage être invoqué pour les contrats rompus avant 1982 la nature commerciale de la créance puisque par l'effet du traité d'apport partiel d'actif LA NORMED s'est trouvée tenue de payer une créance née du contrat de travail, donc garantie par L'AGS peu important la nature des recours exercés contre la société apporteuse ;
En cas de défaut de disponibilité des fonds entre les mains du liquidateur de la NORMED, celui-ci devra transmettre un état de créance à l'UNEDIC DELEGATION AGS-CGEA d'ILE DE FRANCE OUEST dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, en l'état, d'ordonner une astreinte.
Alors d'une part que l'AGS ne garantit pas les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et que la créance de réparation du préjudice spécifique d'anxiété ne naît pas lors de l'exposition à l'amiante, mais au moment de la réalisation du préjudice, c'est-à-dire lorsque le salarié est informé et à conscience de l'existence d'un possible risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, de nature à créer une situation d'inquiétude permanente ; qu'en énonçant que l'AGS devait garantir les condamnations prononcées en ce que le préjudice d'anxiété découlait du manquement contractuel fautif de l'employeur lequel résulte de l'exposition à l'amiante du salarié au cours de l'exécution du contrat de travail, antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, la Cour d'appel a violé l'article L. 3253-8 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil ;
Alors d'autre part que l'article 11 du traité d'apport partiel d'actif stipule que « SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 123-7 du Code du Travail et concernant le personnel employé dans l'activité apportée » (Traité d'apport partiel d'actif, p. 10) ; qu'il s'évince clairement et précisément de la volonté des parties que seuls les contrats de travail transférés à la NORMED dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 132-7 du code du travail donnaient lieu à reprise des engagements contractés par la société apporteuse, ce qui excluait les contrats de travail rompus avant le traité d'apport partiel d'actif ; qu'en énonçant que la NORMED avait repris les engagements attachés aux contrats de travail rompus avant le traité d'apport, la Cour d'appel a violé, par dénaturation de l'écrit, l'article 1134 du code civil ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la créance de Monsieur Z... à la somme de 8. 000 ¿ au titre du préjudice d'anxiété et d'avoir fixé la créance de l'Union Locale CGT au passif de la SA NORMED ;
Aux motifs que « il est constant que le principe de la responsabilité civile implique la démonstration de l'établissement d'une faute d'autrui, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre-eux qui justifie le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis.
Comme déjà indiqué, LA NORMED a été créée le 24 décembre 1982 à la suite du regroupement à travers la Société de Participation et de Constructions Navales (SPCN) des branches navales de trois autres sociétés, la Société Industrielle et Financières des Chantiers de France Dunkerque, la Société des Chantiers Navals de La Ciotat (CNC) et la Société des Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM).
Il est établi que LA NORMED, dans le cadre de son activité de construction navale, de réparation et de maintenance et, avant elle, les sociétés susvisées aux droits et obligations desquelles elle est tenue, avait utilisé sur tous ses chantiers navals, dont celui de La Seyne sur Mer, des matériaux contenant de l'amiante et que dans le cadre de leur travail les salariés de LA NORMED avaient pu être exposés aux poussières d'amiante, Par arrêté du 7 juillet 2000, LA NORMED a d'ailleurs été inscrite sur la liste des établissements de construction et de réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA au profit des salariés concernés sur la période comprise entre 1946 et 1989, dans le cadre du dispositif prévu par la loi du 23 décembre 1998.
Comme déjà évoqué, il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante avaient été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès la moitié du vingtième siècle, par l'inscription, de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle avaient apporté la preuve d'une connaissance de plus en plus précise des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières pouvait se révéler de nombreuses années après.
Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L. 230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions réglementaires prises antérieurement en matière de sécurité (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948 concernant de manière générale la protection contre les poussières et le décret du 17 août 1977 concernant de manière spécifique la protection contre les poussières d'amiante), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis.
En l'espèce, il est soutenu par le liquidateur de LA NORMED et par le CGEAAGS, d'une part, que l'amiante n'était plus utilisée sur le chantier naval de La Seyne sur Mer après 1977, et, d'autre part, que toutes les mesures de prévention et de sécurité avaient été prises sur ce chantier y compris après 1977, A cet égard, ils se fondent essentiellement sur :- les bilans démontrant, selon eux, les investissements effectués dans les équipements destinés à l'élimination et à l'évacuation des poussières " diverses " (aspirateurs industriels, ventilation première tranche, soudure, plonge, ateliers, aspirateurs fumées, masques individuels, etc...)- le compte-rendu d'analyses, daté du 10 mars 1981, effectué à la suite d'un contrôle par la CRAM du sud-est établissant que l'un des matériaux utilisés, la navinite, ne contenait pas d'amiante, que l'aspiration ainsi que la ventilation étaient effectives, que des masques anti-poussières distribués en grand nombre étaient disponibles sur demande et que tout manquement à l'obligation de le porter était susceptible d'être sanctionné.- un courrier du 22 octobre 1981, adressé par la direction de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail, émanation du comité d'entreprise, rappelant sa décision de ne plus utiliser d'amiante ainsi que le port obligatoire du masque anti-poussières.- une décision définitive de non-lieu pour le site de DUNKERQUE,- une décision de la cour de cassation constatant qu'à partir de l'année 1977, l'amiante n'était plus utilisée sur le site de La Seyne sur Mer,- un courrier de la CPAM, datant de janvier 1985, établissant qu'il n'y avait plus d'amiante au sein de La NORMED et que les mesures de prévention ne s'imposaient plus.- un rapport annuel du médecin du travail mentionnant que les règles de l'époque étaient respectées.- l'absence d'alerte de la part des diverses administrations ou organismes extérieurs à l'entreprise ainsi que des instances représentatives du personnel de l'entreprise.
Toutefois et après l'examen des pièces susvisées, la cour considère que argumentation visant à faire juger que l'amiante n'était plus utilisée sur le site de La Seyne sur Mer après 1977, ne saurait prospérer.
En effet, il sera constaté en premier lieu que, postérieurement à 1977 et jusqu'au jour de la liquidation judiciaire de 1989, le chantier de la Seyne sur Mer, fut il en déclin, avait continué à exercer son activité de construction et de réparation navale, c'est à dire un secteur d'activité utilisant massivement de l'amiante, matériau omniprésent en raison notamment de ses très grandes qualités d'isolant, Le liquidateur de LA NORMED ne produit d'ailleurs pas les documents, que l'employeur est seul susceptible de détenir, venant étayer son affirmation selon laquelle, à compter de 1977, il avait utilisé, pour l'ensemble de son activité, des matériaux de substitution à l'amiante alors qu'il est, au contraire, établi que le paquebot, anciennement baptisé FAIRSKY, construit avec des matériaux contenant de l'amiante, était sorti du chantier naval de La Seyne sur Mer en 1984. C'est pourquoi, l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant inscrit le chantier de La Seyne sur Mer de La NORMED parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à 1'ACAATA a retenu la période postérieure à 1977 puisque la période concernée est 1946-1989.
En second lieu, les pièces versées aux débats par le demandeur corroborent la présence d'amiante sur le chantier naval de La Seyne après 1977 (comptes rendus des réunions du comité d'hygiène et de sécurité du site de La Seyne sur Mer des 30 mars 1977 et 11 octobre 1978 faisant référence explicitement au fait que des salariés avaient continué à être exposés à des matériaux contenant de l'amiante, notes de service des 27 mars 1981 et 29 septembre 1983 attribuant des " bons de douche " aux salariés ayant été affectés sur des emplois exposés à l'amiante),
Les pièces versées aux débats par le liquidateur et le CGEA-AGS ne sont pas de nature à contredire ce constat de la présence d'amiante sur le site de La Seyne sur Mer après 1977. Pour certaines, elles vont même confirmer ce constat. Ainsi, le rapport annuel 1977 intitulé " Hygiène et sécurité " concernant la société CNEVI fait référence à la présence de panneaux incombustibles à base cl'amiante dont aucun document ne démontre qu'ils auraient été supprimés. dès 1978, Le compte-rendu d'analyse en date du 10 mars 1981, parce qu'il ne vise l'analyse que d'un seul matériau suspecté-à tort-à l'époque de contenir de l'amiante, n'a qu'une portée limitée. La lettre du 22 octobre 1981, adressée par la société CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail, si elle affirmait une volonté de recourir de moins en moins à l'amiante reconnaissait néanmoins de façon non équivoque que l'amiante était encore utilisée en 1981 sur le chantier naval de La Seyne sur Mer, cette lettre rappelant d'ailleurs que l'amiante n'était pas interdite. La lettre de la CRAM sud-est du 17 janvier 1985 ne permet pas davantage de retenir la suppression de l'amiante sur le chantier naval de la Seyne sur Mer dès 1977. Elle mentionne seulement que : " l'amiante n'étant plus utilisée dans votre établissement, les mesures de prévention ne s'imposent plus "
Elle n'indique cependant ni la date de fin d'utilisation de l'amiante, ni le sort des bateaux contenant de l'amiante et dont la maintenance continuait pourtant d'être assurée par le chantier naval de La Seyne, ni le sort des locaux immobiliers, susceptibles de contenir de l'amiante, dans lesquels les ateliers et les bureaux étaient situés. En tout état de cause, cette lettre rappelle qu'étaient encore présents sur le chantier naval, des salariés ayant été " précédemment exposés au risque amiante " Il est encore cité par le liquidateur et le CGEA-AGS, l'arrêt rendu par la cour de cassation, le 19 mars 1998, ayant rejeté le pourvoi inscrit contre un arrêt de la cour d'Aix-en-Provence qui, le 22 mai 1996, avait débouté la veuve d'un salarié de la société CN1M de sa demande en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur. Cet arrêt du 19 mars 1998 retient " qu'ayant relevé, d'une part, que l'entreprise avait cessé d'utiliser l'amiante à partir de 1977, et, d'autre part, que pour la période antérieure, l'employeur, compte tenu de la législation alors en vigueur avait pu ne pas avoir conscience du risque encouru par le salarié, la cour d'appel en a exactement déduit que les éléments de la faute inexcusable n'étaient pas réunis " Toutefois, cet arrêt ne saurait conférer la moindre autorité de la chose jugée à la question, de surcroît de pur fait, de savoir si l'amiante avait été utilisée ou non après 1977 sur le site de La Seyne sur Mer.
Il est également invoqué la circonstance que la plainte pénale visant les conditions de travail sur le chantier naval de DUNKERQUE avait l'objet d'une décision définitive de non-lieu. Là encore, cette issue pénale est sans influence sur la présente instance.
La réalité des expositions aux poussières d'amiante est attestée par les témoignages concordants et produits régulièrement aux débats, fiassent-ils désormais contestés par les intimés, desquels il résulte que l'amiante avait été utilisée sur tout le chantier de La Seyne sur Mer sans que les salariés exposés avaient pu bénéficier de protections suffisantes ce qui les avait conduits à inhaler les poussières d'amiante et que beaucoup d'entre eux avaient été affectés par des pathologies liées à l'amiante dont certains étaient aujourd'hui décédés.
Si Monsieur Jean-Pierre X... avait exercé sur le chantier naval de la Seyne sur Mer un emploi de technicien non visé à l'arrêté du 7 juillet 2000, il n'en demeure pas moins, au vu des attestations produites (A...) que ce salarié, qui a bénéficié du dispositif légal, avait été, compte tenu de ses conditions de travail, au surplus identiques ou analogues à celles des salariés exerçant un emploi visé par cet arrêté, réellement mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et avait donc été exposé à de telles inhalations nocives. Les appelants n'ont d'ailleurs pas mentionné dans leurs conclusions (cf. pages 119 et 120) que le salarié n'avait pas exercé un métier lié à une activité exposée à l'amiante.
Les mesures de protection auxquelles les pièces du liquidateur et le CGEA-AGS font référence (aspirateurs, ventilateurs, masques) s'inscrivaient en réalité davantage dans le cadre des mesures de protection prises contre les poussières en général mais, concernant le site de la Seyne sur Mer où le salarié était affecté et concernant l'emploi exercé par ce dernier, aucun document n'est produit par l'employeur démontrant qu'il s'était libéré de son obligation d'assurer l'effectivité des mesures particulières prévues par le décret du 17 août 1977, notamment les prélèvements dans l'air atmosphérique, leur périodicité et les dispositifs de protection à mettre en oeuvre au-delà de certains seuils de présence dans l'air des microfibres d'amiante, pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié contre les poussières d'amiante Il s'ensuit que les manquements fautifs imputés à l'employeur sont établis quand bien même le demandeur ne serait atteint à ce jour d'aucune pathologie résultant de l'exposition à des poussières d'amiante, de telle sorte qu'il importe d'analyser les prétentions sur les préjudices allégués.
Et que « Le CGEA comme le liquidateur soutiennent qu'aucun élément probant n'est produit pour établir la réalité du préjudice d'anxiété et son lien avec un manquement fautif de l'employeur alors que l'ancien salarié invoque l'inhalation des poussières d'amiante générant un état d'anxiété légitime liée à la crainte permanente d'être atteint d'une pathologie due à cette situation du fait du caractère cancérigène de ce produit scientifiquement établi. Il conteste l'argument de la partie adverse sur la nécessité de justifier d'un suivi médical pour prétendre à l'établissement d'un préjudice d'anxiété.
Or, alors que la réalité de l'exposition de l'ancien salarié aux poussières d'amiante au cours de l'exercice de son emploi pendant plusieurs années sur l'un des sites de la société NORMED formellement visée au titre des entreprises concernées par les pathologies en rapport avec l'amiante, et pour lesquelles le dispositif spécifique de ACAATA a été mis en place dans le cadre de la loi du 23 décembre 1998, est établie puisqu'il exerçait l'un des métiers visés par l'arrêté du 7 juillet 2000 ou dans des conditions identiques à ceux visés par cet arrêté, et que cette situation a mis en évidence les manquements fautifs de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, il est parfaitement compréhensible que dans ces circonstances, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec son exposition à l'amiante, l'ancien salarié soit confronté à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, indépendamment des contrôles et examens médicaux réguliers et nécessaires ayant en fait pour effet que d'aggraver l'angoisse initiale.
En l'état des éléments produits aux débats et compte tenu des circonstances spécifiques de la présente affaire (longue durée d'exposition, délai de déclaration de la maladie, surmortalité avérée chez les travailleurs de l'amiante) le préjudice d'anxiété doit être réparé à hauteur de la somme de 8, 000, 00 ¿ » ;
Alors d'une part qu'il appartient au salarié de démontrer qu'il a été amené à travailler dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que l'amiante n'était plus utilisée sur le chantier naval de la Seyne sur Mer à partir de 1977, ce qui était notamment corroboré par une décision de la Cour de cassation constatant qu'à partir de l'année 1977 l'amiante n'était plus utilisée sur le site et par un compte-rendu d'analyses, daté du 10 mars 1981, qui établissait que l'un des matériaux utilisés, la navinite, ne contenait pas d'amiante (conclusions d'appel des exposants, p. 92 et 93) ; qu'en retenant que le chantier de la Seyne sur Mer avait continué à exercer son activité de construction et de réparation navale, c'est-à-dire un secteur utilisant massivement de l'amiante et que liquidateur de la NORMED ne produit d'ailleurs pas les documents, que l'employeur est seul susceptible de détenir, venant étayer son affirmation selon laquelle, à compter de 1977, il avait utilisé pour l'ensemble de son activité, des matériaux de substitution à l'amiante, la Cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil ;
Alors d'autre part que l'inscription d'une entreprise parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA n'établit pas de plein droit que cette entreprise a eu recours à de l'amiante pour la période considérée ; qu'en retenant, pour établir la réalité de l'exposition à l'amiante de l'ancien salarié par le fait de l'employeur après 1977, que l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant inscrit le chantier de La Seyne sur Mer de La NORMED parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA avait retenu la période postérieure à 1977, la Cour d'appel a violé les articles 1147 et 1315 du code civil ;
Alors de troisième part qu'en l'absence d'obligation de sécurité de résultat en vigueur au moment des manquement reprochés, l'employeur ne peut être tenu de réparer le préjudice d'anxiété de son salarié au titre de la responsabilité contractuelle qu'à la condition que soit établie par le salarié une faute contractuelle, consistant dans le non-respect de la règlementation en vigueur relative à l'amiante ; qu'en énonçant qu'aucun document n'est produit par l'employeur démontrant qu'il s'était libéré de son obligation d'assurer l'effectivité des mesures particulières prévues par le décret du 17 août 1977, la Cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du code civil ;
Alors qu'en tout état de cause les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature ; qu'en mettant à la charge de l'employeur l'obligation de réparer le préjudice d'anxiété de l'ancien salarié au titre d'une exposition à l'amiante, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle obligation pouvait être mise, à cette époque, à la charge de l'employeur compte tenu de la réglementation en vigueur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1135 du code civil ;
Alors enfin que, s'agissant du préjudice d'anxiété, s'il a été jugé que le fait que l'ancien salarié se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers était indifférent pour autant, il lui appartient d'établir, au moins, par des éléments concrets et tangibles, qu'il se trouve personnellement, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'en se bornant à retenir qu'il était parfaitement compréhensible que compte tenu de la présence de l'ancien salarié dans une entreprise concernée par le dispositif de l'ACAATA, l'ancien salarié soit confronté à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, sans autre justification, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1147 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13-23691;13-23692;13-23693;13-23694;13-23695;13-23696;13-23697;13-23698;13-23699;13-23700;13-23701;13-23702;13-23703;13-23704;13-23705;13-23706;13-23707;13-23708;13-23709;13-23710;13-23711;13-23712;13-23713;13-23714;13-23715;13-23716;13-23717
Date de la décision : 10/12/2014
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 25 juin 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 10 déc. 2014, pourvoi n°13-23691;13-23692;13-23693;13-23694;13-23695;13-23696;13-23697;13-23698;13-23699;13-23700;13-23701;13-23702;13-23703;13-23704;13-23705;13-23706;13-23707;13-23708;13-23709;13-23710;13-23711;13-23712;13-23713;13-23714;13-23715;13-23716;13-23717


Composition du Tribunal
Président : M. Chollet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.23691
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