LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches :
Vu les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un arrêt irrévocable du 2 avril 2008 ayant condamné la société Renault (la société) à leur payer diverses sommes et ordonné leur "repositionnement" de coefficient de 1985 à leur départ à la retraite, MM. X... et Y... ont saisi le juge de l'exécution d'une demande tendant à voir l'injonction faite à la société assortie d'une astreinte ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la demande de fixation d'une astreinte, l'arrêt retient que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ni en suspendre l'exécution ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le juge de l'exécution peut assortir d'une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité et qu'il lui appartenait de se prononcer sur la difficulté d'exécution dont elle était saisie, en interprétant au besoin la décision, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Renault aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Renault ; la condamne à payer à MM. X... et Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour MM. X... et Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande présentée par Messieurs X... et Y... tendant à voir assortir d'une astreinte l'obligation de repositionnement ordonnée par le précédent arrêt de la Cour d'appel de Versailles en date du 2 avril 2008 ;
AUX MOTIFS QUE « dans son arrêt du 2 avril 2008, la 17ème chambre de cette Cour statuant en matière sociale, a constaté l'existence d'éléments matériels accréditant une discrimination faite à l'encontre des personnes de MM. X... et Y... dans l'exercice de leurs fonctions salariées au service de la société Renault, et a relevé le blocage de leur carrière et le maintien de leur carrière à un niveau inférieur à ce qu'elle aurait dû être ; qu'en conséquence, la Cour d'appel a :- énoncé le principe du droit des salariés concernés au repositionnement selon les indices énoncés par l'arrêt sur la période de 1985 à 2003 et 2004 précédant la prise par chacune des appelants de leur retraite,- condamné la société Renault à verser des indemnités en réparation du préjudice moral et de carrière aux deux salariés concernés ;qu'invoquant aujourd'hui le principe de la réparation intégrale du dommage causé aux salariés victimes de discrimination, MM. X... et Y... se fondent sur la décision de repositionnement prise par la Cour d'appel dans son arrêt de 2008 pour solliciter devant la présente Cour, statuant en appel du juge de l'exécution, que l'obligation de justifier de leur repositionnement, soit assortie d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par salarié à compter du 31ème jour après la date de la signification de la décision à intervenir ; qu'il importe de rappeler qu'alors que l'arrêt de 2008 était devenu définitif à défaut de pourvoi, MM. X... et Y... ont vainement adressé à la société Renault une sommation de délivrance d'un certificat de travail faisant apparaître pour chacun d'eux leur positionnement respectif, le 17 octobre 2008 ; qu'ils ont ensuite saisi le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, qui par jugement du 17 mars 2009 s'est déclaré incompétent pour statuer sur leurs demandes ; qu'après avoir interjeté appel de ce jugement, ils ont saisi la présente Cour d'une requête en interprétation de l'arrêt rendu le 2 avril 2008 ; que par arrêt du 11 septembre 2009, la Cour a déclaré cette requête irrecevable, puis par arrêt du 6 mars 2010 a confirmé le jugement du juge de l'exécution le 22 juin 2011, cette fois près le tribunal de grande instance de Versailles, en se prévalant de l'exécution seulement partielle par la société Renault, qui leur a réglé les condamnations à dommages-intérêts prononcées, des obligations mises à sa charge par l'arrêt au fond de 2008 ; que par jugement du 25 octobre 2011, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Versailles s'est déclaré incompétent au profit du magistrat de l'exécution du tribunal de Nanterre ; qu'il ressort de l'examen de la décision rendue sur le fond le 2 avril 2008 par la présente Cour que MM. X... et Y... n'avaient pas demandé à la Cour la condamnation de la société Renault à leur délivrer un certificat de travail rectifié conforme à leur demande de repositionnement, ni sollicité que cette délivrance soit assortie d'une astreinte ; que c'est pourquoi la Cour ne pouvait d'office sur la demande d'interprétation de son arrêt qui lui a été présentée, ordonner d'office à la société Renault de remettre à ses anciens salariés un certificat de travail sous peine de statuer ultra petita ;que dans sa décision ensuite confirmée du 17 mars 2009, le juge de l'exécution a déjà relevé que l'obligation de délivrance d'un certificat de travail est imposée par la Loi à l'employeur et ne peut être mise en oeuvre que devant la juridiction prud'homale ; qu'il convient de rappeler qu'en vertu de l'article R. 121-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d'exécution, "le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution¿" ; que dès lors toute tentative de MM. X... et Y... de ressaisir un juge de l'exécution de leurs demandes n'entrant pas dans les attributions de ce magistrat, est vouée à l'échec ; qu'ainsi que le souligne le premier juge, MM. X... et Y... ne demandent même plus dans le cadre de la présente instance, la production de bulletins de salaire ou d¿un certificat de travail portant des mentions particulières, en application de l'arrêt de 2008, mais s'abstiennent en outre de préciser les modalités concrètes d'exécution de l'obligation de repositionnement, de sorte qu'aucune astreinte ne pourrait assortir une obligation indéterminée ; que le jugement entrepris déclarant irrecevables les demandes des appelants est en conséquence intégralement confirmé » ;
1°/ ALORS QUE le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ; qu'il est tenu d'interpréter les décisions dont l'exécution est poursuivie ; qu'en se bornant à énoncer que « le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution », pour en déduire que les demandes présentées par Messieurs X... et Y... n'entreraient pas dans les attributions de ce magistrat, cependant qu'il lui appartenait de fixer le sens de la décision de la Cour d'appel de Versailles du 2 avril 2008 ordonnant à la société Renault de repositionner les exposants, la Cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire ;
2°/ ALORS QUE le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ; qu'il est tenu d'interpréter les décisions dont l'exécution est poursuivie ; qu'en retenant que « l'obligation de délivrance d'un certificat de travail est imposée par la Loi à l'employeur et ne peut être mise en oeuvre que devant la juridiction prud'homale », pour en déduire que les demandes de Messieurs X... et Y... n'entreraient pas dans les attributions du juge de l'exécution, sans rechercher, comme l'y invitaient les exposants dans leurs écritures, si la délivrance d'un certificat de travail rectifié ne procédait pas nécessairement de la décision ordonnant à la société Renault de repositionner ses salariés dans les coefficients qui auraient dû être les leurs, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire ;
3°/ ALORS QUE le juge de l'exécution peut assortir d'une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité ; qu'en retenant qu'il « ressort de l'examen de la décision rendue sur le fond le 2 avril 2008 », que Messieurs X... et Y... n'avaient pas sollicité de la Cour qu'elle prononce une astreinte, cependant que cette question demeurait indifférente dans la mesure où le juge de l'exécution avait la possibilité de le faire, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-1 du Code des procédures civiles d'exécution ;
4°/ ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, pour dire irrecevable la demande « d'astreinte à l'obligation de repositionnement » présentée par les exposants, la Cour d'appel a notamment retenu qu'ils se seraient abstenus « de préciser les modalités concrètes d'exécution de l'obligation de repositionnement, de sorte qu'aucune astreinte ne pourrait assortir une obligation indéterminée », qu'en soulevant ainsi d'office le moyen pris de ce qu'une astreinte ne pourrait assortir une obligation indéterminée, qu'aucune des parties n'avait invoqué, sans recueillir préalablement leurs observations sur ce point, la Cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur Stanislas X... et Monsieur Daniel Y... se pourvoiront devant toute juridiction compétente sur le fond ainsi qu'ils l'estimeront utile ;
AUX MOTIFS QUE « devant la Cour, MM. X... et Y... justifient la réitération de leurs demandes devant le juge de l'exécution par le fait qu'ils sont désormais à la retraite et que les Caisses d'Assurance Vieillesse de Paris et de Cergy refusent de prendre en considération la décision de repositionnement prise à leur profit, ce qui en réalité obère le calcul de leurs droits à la retraite, le repositionnement ordonné étant de nature à entraîner une revalorisation de leurs droits ; qu'il n'est pas inutile de rappeler que le premier juge de l'exécution saisi avait justement relevé que la mise en oeuvre de l'obligation de délivrance des bulletins de paie et certificat de travail imposée à l'employeur par la Loi relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale ; que le précédent litige n'ayant pas porté sur les droits à la retraite consécutifs à l'exécution du contrat de travail, mais seulement sur la relation contractuelle de salariat pendant les dix-huit dernières années d'activités, l'autorité de la chose jugée ne pourrait être opposée à une demande de production de pièce des intéressés, faisant suite à la décision de repositionnement prise après l'achèvement de leur carrière professionnelle, visant à obtenir ensuite un nouveau calcul des droits à la retraite » ;
ALORS QUE toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance ; qu'en retenant que « l'autorité de la chose jugée ne pourrait être opposée à une demande de production de pièce des intéressés » pour débouter Messieurs X... et Y... de leurs demandes et les inviter à se pourvoir devant toute juridiction compétente, cependant que le principe de l'unicité de l'instance fait obstacle à ce qu'ils puissent aujourd'hui solliciter du conseil de prud'hommes que leur soient délivrés des certificats de travail rectifiés, la Cour d'appel a violé l'article R. 1452-6 du Code du travail.