LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 30 avril 2013) qu'engagée à compter du 31 mars 1981 par la société Groupama Océan Indien, Mme X..., déléguée syndicale suppléante et secrétaire du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, qui exerçait en dernier lieu les fonctions de secrétaire assistante, a été victime, le 16 juin 2004, lors d'un entretien avec M. Y... , directeur général de la société d'un malaise reconnu comme accident du travail ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 4 juillet 2005, après que le médecin du travail a constaté son inaptitude totale et définitive à son poste de travail et à tout poste dans l'entreprise et que l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement par une décision du 29 juin 2005 ; qu'un jugement correctionnel définitif du 26 janvier 2009 a déclaré M. Y... coupable d'avoir commis le délit de harcèlement moral de février 2003 à juin 2005 à l'égard de Mme X... et l'a condamné à lui payer des dommages-intérêts au titre de l'indemnisation de ses divers préjudices ; que la salariée a alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes au titre du harcèlement moral et à l'annulation de son licenciement et à sa réintégration dans l'entreprise ; qu'elle a demandé à la cour d'appel de saisir le tribunal administratif d'une question préjudicielle portant sur la légalité de l'autorisation administrative de licenciement et de surseoir à statuer ;
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de rejeter cette demande et de condamner la société Groupama à lui payer une certaine somme en réparation de son préjudice consécutif au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, et de rejeter tout autre demande, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge judiciaire doit surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative sur la question préjudicielle de la légalité de l'autorisation de licenciement si cette contestation est sérieuse et si l'examen de l'illégalité éventuelle est nécessaire à la solution du litige ; que la question de la légalité de l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé pour inaptitude présente un caractère sérieux et qu'en dépend l'appréciation du bien-fondé des demandes du salarié, tendant à voir juger son licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse, dès lors que cette inaptitude était la conséquence d'une faute de l'employeur ; qu'étant constant qu'elle remettait en cause la légalité de l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail de la licencier pour inaptitude, au moyen que celle-ci avait été provoquée par des faits de harcèlement, dont la matérialité a été établie par la condamnation pénale de leur auteur, la cour d'appel, en jugeant néanmoins que la question de la légalité de l'autorisation administrative ne présentait pas de caractère sérieux et que n'en dépendait pas l'appréciation du bien-fondé des demandes de la salariée tendant à voir juger son licenciement nul, a violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
2°/ que le recours en appréciation de la légalité d'un acte par le juge administratif sur renvoi du juge judiciaire n'est soumis à aucune condition de délai et, qu'en particulier, la question préjudicielle invoquant l'illégalité de l'autorisation administrative ne saurait être jugée tardive lorsqu'elle est soulevée comme moyen de défense à celui tiré du principe de la séparation des pouvoirs invoqué à l'encontre du salarié ; qu'en se fondant, pour dénier tout caractère sérieux à la contestation de la légalité de l'autorisation de licenciement, sur le fait que Mme X... n'avait invoqué le moyen de la question préjudicielle que près de sept années après l'autorisation administrative et plus de trois années après sa requête introductive d'instance, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
3°/ que l'indemnisation du préjudice à laquelle le juge pénal a condamné l'auteur de faits de harcèlement n'exclut pas une demande en nullité du licenciement dirigée contre l'employeur, même si l'indemnisation octroyée au salarié a compris le dommage consécutif à son licenciement ; qu'en déduisant l'absence de sérieux de la contestation de la légalité de l'autorisation de licenciement du fait que Mme X... avait obtenu réparation du préjudice financier ayant résulté de la rupture de son contrat de travail, lorsque les deux séries de demandes, non seulement n'étaient par dirigées contre la même personne, mais encore n'avaient pas le même effet, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
4°/ que l'illégalité de l'autorisation de licenciement, prononcée par le juge administratif sur renvoi préjudiciel, a pour effet de rendre au juge judiciaire son pouvoir d'apprécier la réalité et le sérieux de la cause du licenciement, comme de statuer sur une demande en nullité de la rupture ; que la cour d'appel, pour retenir que l'illégalité éventuelle de la décision administrative était sans incidence sur les demandes formées par Mme X..., s'est fondée sur la différence des effets attachés à l'illégalité, d'une part, et à l'annulation, d'autre part, de l'autorisation de licencier délivrée par l'inspecteur du travail, réservant la nullité du licenciement à la seconde, dont elle constitue certes la sanction automatique, mais non exclusive ; qu'elle a, par là, violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
5°/ que la nullité du licenciement est encourue lorsque l'inaptitude qui a motivé le licenciement autorisé dans des conditions dont la légalité est discutée trouve à son origine des faits de harcèlement ; que la cour d'appel a retenu que l'illégalité éventuelle de la décision administrative était sans incidence sur les demandes formées par Mme X..., en relevant que la salariée ne remettait pas en cause l'inaptitude médicale et l'impossibilité de reclassement qui avaient motivé son licenciement, sans répondre au chef des conclusions par lequel elle faisait valoir que cette inaptitude avait été provoquée par les faits de harcèlements commis par M. Y... ; qu'elle a, par là, méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement ; qu'il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de son contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail ; que, ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ;
Et attendu que la cour d'appel qui a retenu que l'illégalité éventuelle de la décision administrative était sans incidence sur les demandes de la salariée et que la solution du litige ne dépendait pas de la question préjudicielle, a légalement justifiée sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande de sursis à statuer formée par Mme X..., en vue d'une question préjudicielle, condamné la société Groupama à payer à Mme X... la somme de 30 000 € en réparation du préjudice consécutif au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, et rejeté toute autre demande de Mme X... ;
AUX MOTIFS QUE (...) sur le caractère non sérieux de la contestation, il doit être relevé que Mme X... n'a invoqué le moyen de la question préjudicielle que par ses conclusions déposées le 19 juin 2012 soit près de sept années après l'autorisation administrative et plus de trois années après sa requête introductive d'instance ; que de ce chef la tardiveté de la demande doit être relevée ; que l'absence de sérieux doit encore être retenue en considération du fait que Mme X... a obtenu du juge pénal l'indemnisation des préjudices résultant de l'infraction dont le préjudice financier consécutif à son licenciement ; qu'ayant choisi l'indemnisation de la rupture et ayant été indemnisée, Mme X... ne peut en faire abstraction et rechercher désormais l'annulation du licenciement, sa réintégration et le paiement des salaires dus depuis le licenciement ; que la réparation du préjudice financier résultant de la rupture de la relation salariale et le paiement des salaires découlant de la réintégration sont alternatifs et non cumulatifs ; que sur le point de droit dont dépend la solution du litige, il convient de rappeler que l'illégalité d'une décision d'autorisation de licenciement n'a pas les mêmes conséquences qu'une décision d'annulation ; que la seconde induit un licenciement nul pour défaut d'autorisation et la première ne permet que l'appréciation de la cause réelle et sérieuse et la réparation du préjudice subi si l'illégalité de la décision administrative est la conséquence d'une faute de l'employeur ; que la cause de la rupture résulte selon le courrier de rupture de l'inaptitude médicale et de l'impossibilité de reclassement ; que celles-ci ne sont nullement discutées par Mme X..., étant précisé que l'inaptitude est consécutive à un accident du travail dont la réalité n'est pas discutée ; qu'ainsi l'illégalité éventuelle de la décision administrative est sans incidence sur les demandes de nullité du licenciement, de réintégration et de paiement des salaires ; qu'à ce titre la solution du litige ne dépend pas de la question préjudicielle ; que les moyens invoqués quant à l'illégalité de la décision d'autorisation de licenciement relèvent de la seule compétence du juge administratif et sont alors dépourvus d'intérêt ;
1) ALORS QUE, D'UNE PART, le juge judiciaire doit surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative sur la question préjudicielle de la légalité de l'autorisation de licenciement si cette contestation est sérieuse et si l'examen de l'illégalité éventuelle est nécessaire à la solution du litige ; que la question de la légalité de l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé pour inaptitude présente un caractère sérieux et qu'en dépend l'appréciation du bien-fondé des demandes du salarié, tendant à voir juger son licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse, dès lors que cette inaptitude était la conséquence d'une faute de l'employeur ; qu'étant constant que Mme X... remettait en cause la légalité de l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail de la licencier pour inaptitude, au moyen que celle-ci avait été provoquée par des faits de harcèlement, dont la matérialité a été établie par la condamnation pénale de leur auteur, la cour d'appel, en jugeant néanmoins que la question de la légalité de l'autorisation administrative ne présentait pas de caractère sérieux et que n'en dépendait pas l'appréciation du bien-fondé des demandes de la salariée tendant à voir juger son licenciement nul, a violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
2) ALORS QUE, D'AUTRE PART, le recours en appréciation de la légalité d'un acte par le juge administratif sur renvoi du juge judiciaire n'est soumis à aucune condition de délai et, qu'en particulier, la question préjudicielle invoquant l'illégalité de l'autorisation administrative ne saurait être jugée tardive lorsqu'elle est soulevée comme moyen de défense à celui tiré du principe de la séparation des pouvoirs invoqué à l'encontre du salarié ; qu'en se fondant, pour dénier tout caractère sérieux à la contestation de la légalité de l'autorisation de licenciement, sur le fait que Mme X... n'avait invoqué le moyen de la question préjudicielle que près de sept années après l'autorisation administrative et plus de trois années après sa requête introductive d'instance, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
3) ET ALORS QUE l'indemnisation du préjudice à laquelle le juge pénal a condamné l'auteur de faits de harcèlement n'exclut pas une demande en nullité du licenciement dirigée contre l'employeur, même si l'indemnisation octroyée au salarié a compris le dommage consécutif à son licenciement ; qu'en déduisant l'absence de sérieux de la contestation de la légalité de l'autorisation de licenciement du fait que Mme X... avait obtenu réparation du préjudice financier ayant résulté de la rupture de son contrat de travail, lorsque les deux séries de demandes, non seulement n'étaient par dirigées contre la même personne, mais encore n'avaient pas le même effet, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
4) ALORS QUE l'illégalité de l'autorisation de licenciement, prononcée par le juge administratif sur renvoi préjudiciel, a pour effet de rendre au juge judiciaire son pouvoir d'apprécier la réalité et le sérieux de la cause du licenciement, comme de statuer sur une demande en nullité de la rupture ; que la cour d'appel, pour retenir que l'illégalité éventuelle de la décision administrative était sans incidence sur les demandes formées par Mme X..., s'est fondée sur la différence des effets attachés à l'illégalité, d'une part, et à l'annulation, d'autre part, de l'autorisation de licencier délivrée par l'inspecteur du travail, réservant la nullité du licenciement à la seconde, dont elle constitue certes la sanction automatique, mais non exclusive ; qu'elle a, par là, violé les articles L.1152-2, L. 1152-3, L. 2421-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;
5) ET ALORS ENFIN QUE la nullité du licenciement est encourue lorsque l'inaptitude qui a motivé le licenciement autorisé dans des conditions dont la légalité est discutée trouve à son origine des faits de harcèlement ; que la cour d'appel a retenu que l'illégalité éventuelle de la décision administrative était sans incidence sur les demandes formées par Mme X..., en relevant que la salariée ne remettait pas en cause l'inaptitude médicale et l'impossibilité de reclassement qui avaient motivé son licenciement, sans répondre au chef des conclusions par lequel elle faisait valoir que cette inaptitude avait été provoquée par les faits de harcèlements commis par M. Y... ; qu'elle a, par là, méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.