LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen :
Vu l'article 559 du code de procédure civile, ensemble l'article 1382 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 17 décembre 2012), rendu en matière de référé, que la société Confraternelle d'exploitation et de répartition pharmaceutique de la Guyane (la CERP Guyane), filiale de la CERP Martinique, devenue Sipam, a fait construire un entrepôt en 2004 qu'elle a revendu à la société Fructicomi qui a refinancé ce bien dans le cadre d'un crédit-bail immobilier ; que la CERP Guyane a conclu avec la Société privée de gestion financière et immobilière (la Soprigefi), qui s'est substituée la société civile immobilière Mélodie (la SCI Mélodie), une promesse synallagmatique de cession du crédit-bail sous conditions suspensives ; qu'ayant refusé de réitérer la cession, la CERP Guyane a été assignée par la Soprigefi devant le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Cayenne afin qu'elle soit condamnée sous astreinte à signer l'acte de cession et qu'il lui soit fait interdiction, à titre subsidiaire, de signer tout transfert du crédit-bail au profit d'un tiers avant que n'intervienne une décision au fond ; que la CERP Guyane a appelé dans la cause la CERP Martinique ; que la Soprigefi a assigné la société civile immobilière Silvestre (la SCI Silvestre) avec qui la CERP Guyane avait conclu une promesse synallagmatique de cession ; que la SCI Mélodie est intervenue volontairement à l'instance ;
Attendu que pour déclarer constitutif d'abus de droit l'appel interjeté par la SCI Silvestre et la condamner au paiement d'une amende civile et de dommages-intérêts pour appel abusif, l'arrêt retient que la SCI Silvestre a interjeté appel d'une décision exécutoire dont elle avait parfaitement connaissance et qu'elle n'a volontairement pas respectée en signant l'acte objet de l'interdiction ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit de relever appel de la décision de première instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée n'implique pas qu'il y ait lieu à renvoi ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare constitutif d'abus de droit l'appel interjeté par la SCI Silvestre et la condamne au paiement d'une amende civile et de dommages-intérêts au profit de la SCI Mélodie et de la Soprigefi, l'arrêt rendu le 17 décembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Cayenne ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute la SCI Silvestre de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif et dit n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile ;
Maintient les dispositions de l'arrêt relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la société Silvestre.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SCI SILVESTRE et renvoyé l'affaire au fond devant le tribunal mixte de commerce de CAYENNE ;
Aux motifs propres que « sur l'exception d'incompétence de la juridiction commerciale : l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire dispose : le tribunal de grande instance a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent les matières suivantes : 1° Etat des personnes : mariage, filiation, adoption, déclaration d'absence ; 2° Rectification des actes d'état civil ; 3° Succession ; 4°Amendes civiles encourues par les officiers de l'état civil ; 5° Actions immobilières pétitoires et possessoires ; 6° Récompenses industrielles : 7°Dissolution des associations ; 8°Sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire lorsque le débiteur n'est ni commerçant ni immatriculé au répertoire des métiers ; 9° Assurance contre les accidents et les maladies professionnelles des personnes non salariées en agriculture ; 10° Droits d'enregistrement, avec taxe de publicité foncière, droits de timbre et contributions indirectes et taxes assimilées à ces droits, taxes ou contributions ; 11° Baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale ; 12° Inscription de faux contre les actes authentiques ; 13° Actions civiles pour diffamation ou pour injures publiques ou non publiques, verbales ou écrites ; que le premier juge a fait une exacte analyse de l'opération projetée ; qu'en effet il s'agit d'un transfert de contrat envisagé aux fins de tenter d'assainir la situation financière de la CERP GUYANE ; que l'aspect contractuel de cette opération est prédominant ; qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a rejeté cette exception d'incompétence » (arrêt p. 5-6) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés du premier juge que « aux termes de l'article R 211-4 du code de l'organisation judiciaire, la jurisprudence de la Cour de cassation estime que la nature du contrat de crédit-bail est contractuelle avant d'être immobilière s'agissant d'un contentieux mixte ; qu'en l'espèce, comme le rappelle à juste titre CERP GUYANE en page 6 de ses conclusions, « l'objet de cette convention la promesse de vente est le transfert d'un contrat » ; qu'en effet, le but de l'opération consiste à ôter le poids financier d'un contrat de crédit-bail trop important en trouvant un repreneur du contrat à la place du crédit-bailleur qui ensuite lui louerait le bâtiment ; qu'ainsi, la nature contractuelle de l'opération est particulièrement caractérisée ; qu'il ne s'agit dès lors ni d'une action possessoire ni d'une action pétitoire ; que la juridiction commerciale est donc compétente ; qu'il y a lieu de rejeter cette exception d'incompétence » (ordonnance p. 6) ;
1) Alors que les actions immobilières pétitoires relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ; qu'est une action immobilière pétitoire l'action tendant à nier le droit de propriété du défendeur ; qu'au cas présent, l'action introduite par la SOPRIGEFI était dirigée non seulement contre la CERP GUYANE mais également contre la SCI SILVESTRE et avait pour objet de faire interdiction à la CERP GUYANE transférer la propriété de l'immeuble à un tiers jusqu'à ce que le juge du fond ait statué ; qu'en jugeant que cette action ne relevait pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par l'exposante (conclusions p. 2 et 5) si cette action ne tendait pas à contester le droit réel de la SCI SILVESTRE né de la promesse synallagmatique de vente conclue le 8 juillet 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 211-14 du code de l'organisation judiciaire ;
2) Alors subsidiairement que les actions portant sur une question de propriété immobilière relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ; qu'il en va ainsi de l'action introduite par le crédit-preneur d'un bien immobilier tendant à paralyser la réalisation d'une promesse de vente consentie par le crédit-bailleur à un tiers sur ledit bien ; qu'au cas présent, il est constant que, par l'action introduite à l'encontre de la CERP GUYANE et de la SCI SILVESTRE, la SOPRIGEFI cherchait à faire reconnaître sa qualité de bénéficiaire d'un contrat de crédit-bail immobilier afin d'empêcher la réalisation de la promesse de vente consentie par la CERP GUYANE à la SCI SILVESTRE sur le même immeuble ; qu'en jugeant que cette action ne relevait pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, la cour d'appel a violé l'article R. 211-14 du code de l'organisation judiciaire ;
3) Alors que les actions portant sur une question de propriété immobilière relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance ; qu'au cas présent, pour juger le tribunal de commerce compétent pour connaître de l'action introduite par la SOPRIGEFI, la cour d'appel a énoncé que l'aspect contractuel du litige était prédominant car la cession du contrat de crédit-bail avait avant tout pour objet de libérer la CERP GUYANE de la charge des redevances ; qu'en se focalisant ainsi sur les motifs de l'opération de cession du contrat de crédit-bail immobilier cependant que seul importait, pour statuer sur la compétence du tribunal de commerce, l'objet de l'action introduite par la SOPRIGEFI, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, en violation de l'article R. 211-14 du code de l'organisation judiciaire ;
4) Alors que le tribunal de commerce n'est pas compétent pour connaître d'une action dirigée contre un non-commerçant ; qu'au cas présent, la cour d'appel a jugé le tribunal de commerce compétent pour connaître de l'action introduite par la société SOPRIGEFI à l'encontre de la SCI SILVESTRE ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par l'exposante (conclusions p. 7), si le tribunal de commerce n'était pas incompétent dès lors que la SCI SILVESTRE n'avait pas la qualité de commerçant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 721-3 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré constitutif d'abus de droit l'appel interjeté par la SCI SILVESTRE, et de l'avoir, en conséquence, condamnée à une amende civile de 1.500¿ et au paiement d'une somme de 1000¿ à la SCI MELODIE et 1000¿ à la société SOPRIGEFI ;
Aux motifs que « sur l'abus de droit : que l'ensemble de la procédure fait apparaître que la SCI SILVESTRE a interjeté appel le 25 novembre 2010 d'une décision exécutoire dont elle avait parfaitement connaissance et qu'elle n'a volontairement pas respectée dès le 10 décembre 2010 en signant l'acte objet de l'interdiction, soit 15 jours après l'ordonnance dont elle a interjeté appel ; qu'au surplus, elle a, dès le 29 novembre 2010, sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire et sans attendre la décision du juge, enfreint les dispositions de cette ordonnance ; que son appel apparaît abusif, qu'il y a lieu de sanctionner par une amende de 1.500¿ et sa condamnation à payer la somme de 1.000¿ au profit de chacune des sociétés SCI MELODIE et SOPRIGEFI à titre de dommages-intérêts » (arrêt p. 7)
Alors que l'appel est abusif lorsque l'appelant n'a aucun moyen sérieux à faire valoir ; que la question du respect par l'appelant d'une décision de première instance exécutoire est étrangère à la notion d'abus du droit d'appel ; qu'au cas présent, la cour d'appel a condamné la SCI SILVESTRE pour appel abusif au motif qu'elle aurait volontairement méconnu l'interdiction de vente du bien immobilier prononcée par le juge des référés par l'ordonnance du 19 novembre 2010 ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, en violation de l'article 559 du code de procédure civile et de l'article 1382 du code civil.