LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 458 du code de procédure civile ;
Attendu que, seuls sont qualifiés pour signer un jugement le magistrat qui a présidé aux débats et au délibéré et, en cas d'empêchement du président, l'un des juges qui en ont délibéré ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que M. Tournier, président, a entendu les plaidoiries en application de l'article 945-1 du code de procédure civile sans opposition des parties et en a rendu compte à la cour d'appel lors de son délibéré, celle-ci étant alors composée, outre de ce magistrat, de Mme Collière et de M. Soubeyran, conseillers ; que l'arrêt a été signé par M. Rouquette-Dugaret, conseiller pour le président empêché ;
Qu'en l'état de ces mentions, dont le vice allégué ne peut être réparé et desquelles il résulte que M. Rouquette-Dugaret n'a pas participé au délibéré, l'arrêt signé par ce magistrat est nul ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres branches du moyen et l'autre moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour la société Auchan France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il a alloué la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et y ajoutant, annulé l'avertissement et rejeté les demandes de la société Auchan ;
ALORS QUE M. Régis Tournier a été nommé, par décret du 26 novembre 2012 (JORF n°0277), conseiller à la cour d'appel de Montpellier, à compter du 7 janvier 2013 ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué de la cour d'appel de Nîmes que M. Régis Tournier a entendu les plaidoiries des parties et a participé au délibéré qui s'est tenu le 8 janvier 2013 ; que, cependant, la nomination de M. Tournier auprès de la cour d'appel de Montpellier à compter du 7 janvier 2013 ne lui permettait plus de rendre compte des plaidoiries devant la cour d'appel de Nîmes, lors du délibéré du 8 janvier 2013, et nécessitait une réouverture des débats devant une nouvelle formation ; qu'en s'en abstenant, la cour d'appel a violé les articles L.121-1 du code de l'organisation judiciaire, 444 et 447 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, à peine de nullité, un jugement doit être impérativement signé par l'un des juges qui en ont délibéré ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que les débats se sont tenus devant M. Régis Tournier, président qui en a rendu compte lors de son délibéré à Mme Sylvie Collière et M. Soubeyran, mais qu'il a été signé par M. Yves Rouquette-Dugaret, conseiller, pour le président empêché, et par Mme Martine Haon, greffier ; qu'ainsi, l'arrêt qui a été signé par un conseiller qui n'a pas assisté aux débats, doit être annulé en application de l'article 458 al. 1er du code de procédure civile ;
ALORS QUE le jugement est prononcé par l'un des juges qui l'ont rendu ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué ne mentionne pas le nom des magistrats ayant participé au prononcé en violation de l'article 452 du code de procédure civile et encourt la nullité en application de l'article 458 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il a alloué la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, et, y ajoutant, d'avoir rejeté les demandes indemnitaires de la société Auchan ;
AUX MOTIFS QUE « l'article L.122-49 devenu L.1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou de compromettre son avenir professionnel ; que le harcèlement moral se caractérise donc par la dégradation des conditions de travail engendrée par des actes répétés susceptibles d'avoir des conséquences dommageables sur le plan professionnel ou sur la santé du salarié ; que selon l'article L.1154-1, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article précédent le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que par lettre datée du 16 novembre 2007 et remise en mains propres à la direction du magasin Monsieur Y... écrivait une lettre de deux pages en s'exprimant ainsi : Monsieur le responsable des ressources humaines, J'ai à plusieurs reprises eu des réflexions de mon chef de secteur (comportement soit disant que personne ne m'apprécie dans le secteur bazar). Je l'ai informé plusieurs fois que tout seul je ne peux m'occuper correctement du rayon, alors que l'on a ajouté 6 éléments ce qui porte le rayon à 48 éléments (32 papeterie 6 loisirs créatifs et 10 bagagerie) de plus le sous rayon articles écolier est passé de 6 éléments à 11 éléments (stylo, gomme, colle etc..., petits articles donc il faut plus de temps pour remplir), j'ai demandé au minimum que quelqu'un range pour la réouverture du rayon à 17h, ce qui me ferais gagner 1 heure de remplissage chaque matin. J'ai été tout seul (ni chef de rayon, ni second de rayon) sur mon rayon à partir du 17 septembre 2007. A mon retour de maladie le 8 octobre 2007 le rayon était sans dessus dessous + la réserve non rangée avec des cartons pliés non jetés laissés sur des palettes ainsi que 3 tri caddy retrouvés 1 en réserve et 2 autres à l'endroit prévu à cet effet ainsi que le rayon bagages (que j'avais refais le 15 septembre 2007 avec Nicolas) qui ne ressemblé plus à rien. de plus depuis le 15 septembre je n'ai eu aucune réunion de rayon donc aucun moyen d'expression et avec un sentiment de mise à l'écart depuis le départ de Julien Z... mon ancien chef de rayon. Sauf le 16 octobre 2007 (à 11 h00) où Monsieur A... mon chef de secteur m'a reçu pour me dire que j'avais rien compris à ce qu'il m'a dit lors de ma GDI du 5 septembre 07) durant cet entretient monologue puisque j'ai juste dit « je comprends pas pourquoi je suis jugé à ma GDI que sur les 6 mois de la papeterie et que tu me reproches mes vacances (début juillet choix entre 2 dates qui m'ont été imposées par Julien Z... alors que tu as validé ces dates de congés payés. Et Monsieur A... a poursuivi « non je t'ai juste dit que l'année prochaine ce sera toi qui t'occuperas, des musés.. et pour ta GDI je t'ai jugé sur le plus gros de l'année c'est-à-dire l'EMD si tu veux on la refait et on va voir si t'auras autant de 2 et de 3 alors met ta fierté de côté et bosse... » lors de ma GDI il m'avait dit « tu peux remercier les copains d'avoir fait les musés l'année prochaine c'est toi qui t'y colleras... » et à chaque fois que je voulais défende un point lors de ma GDI sa réponse était : « on me le fait pas à moi ça » « ... ça c'est touche nounours » « ça c'est pipi caca». Donc avec ce genre de réponses, c'est pas besoin de vouloir répondre c'est cause perdue, mais je me suis posé la question sur le respect que me porte mon supérieur au vu de ses réponses comme s'il discutait avec un enfant de 3 ans, Est ce des réponses dignes d'un supérieur à son employé ? n'y a-t-il pas mépris ?. Toujours lors de l'entretien du 16 octobre 2007 (à 11 h00) il m'a dit entre autre « il y a déjà quelqu'un qui est venu pour me demander ta place, tu sais, j'ai fais le calcul cela nous coûtera moins cher de te virer et de prendre un procès prud'homme même que tu sois reconnu COTOREP plutôt que de te garder, tu fais de la marge négative» (je vous signalé que la marge sur les prix ne font pas parties de mes fonctions)... ; que par lettre du 18 février 2008 Monsieur Y... écrivait au Directeur Région Sud des Ressources Humaines la lettre suivante : Je vous envoie ce courrier pour demander votre intervention auprès de ma direction pour que la situation cesse et faire respecter le droit du salarié en application du code du travail (article L. 122-49), vous trouverez ci-joint le dernier courrier envoyé à Monsieur B... Frederik responsable des ressources humaines de Auchan Perols en date du 18 février 2008. Cette situation conflictuelle dure depuis que j'ai contesté auprès de Monsieur B... le fait que Monsieur A... m 'a reproché mes congés d'été que lui-même avait validé avec Monsieur Julien Z... et j'ai contesté aussi les notes d'évaluation de ma tenue de fonction de l'entretien individuel annuel (CDI passée le 5 septembre 2007 avec Monsieur A...) que chaque collaborateur (en CDI) d'Auchan qui donne droit à une prime variable individuelle qui rémunère la performance ainsi que son niveau de connaissance. Depuis cette contestation j'ai été reçu informellement le 16 octobre 2007 où j'ai été menacé d'être viré, puis le 24 octobre 2001 Monsieur A... et Monsieur B... sont venus me réprimander en rayon, s'en est suivi une convocation le 16 novembre 2007, puis un entretient informel le 26 novembre 2007 avec Monsieur B... ensuite en date du 12 décembre 2007 j'ai reçu un avertissement pour rayon non rangé et le même jour une convocation pour le 21 décembre 2007 suite à laquelle j'ai eu une mise à pied signifiée le 5 janvier 2008 pour les 15, 16 et 17 janvier 2008 (ce jour là , j 'avais une formation pour l'école de la réussite année 3 ). Et depuis le 7 janvier 2008 je suis affecte à la benne à carton !!! et toujours sous anti-dépresseurs ; que, dans ces conditions, l'allégation de faits matériels est satisfaite ; que pour sa part l'employeur précise que seul le comportement de Monsieur Y... était en cause ; qu'en effet il avait été changé de secteur et le responsable des ressources humaines lui avait reproché d'avoir écrit à son égard des propos malveillants, et faux dans une lettre reçue le 17 décembre 2007 dans laquelle Monsieur Y... avait écrit :Tous les matins, vers 4 h 45 quand, je traverse le parking seul dans la nuit, j'ai peur de croiser une de ces 3 personnes dont j'ignore l'identité qui pourrait sans témoin m'agresser, je viens travailler avec la boule au ventre pendant que ces personnes elles sont protégées par mon chef de secteur et par vous-même puisque le 26 novembre 2007 à 9 Heures 45 lors de l'entretien informel vous m'avez dit « ne me demande pas les noms je te les donnerais pas » ; que, cependant et quelle que soit l'appréciation portée par la direction sur les qualités ou responsabilités de ce salarié, lorsque l'employeur a été saisi par ce dernier d'une dénonciation des faits par la lettre du 16 novembre à l'encontre de son supérieur hiérarchique, il lui incombait, en raison de son obligation de sécurité, de les vérifier soit en rencontrant les intéressés, soit en enquêtant ; que, de plus, selon la lettre de Monsieur C... délégué syndical du 27 juillet 2009 : -les membres du CHS/CT se sont fortement inquiétés de la situation que vivait Monsieur Y..., et avaient demandé son changement de secteur, ce qui avait été accepté. - les membres du CHS/CT, au vu de la situation, avaient demandé à son Président et en la présence du responsable des ressources humaines lors d'une réunion ordinaire du CHS/CT de désigner un médiateur, -ce responsable avait alors répondu qu'une négociation semblait difficile et complexe « il ne veut rien entendre quand on essaye de le conseiller sur son attitude » - Monsieur Y... a bénéficié de l'assistance d'un représentant du personnel à chacun de ses entretiens sur convocation, avec à chaque fois une attestation qui lui a été produite ; que ce délégué, contestant les interprétations faites par l'employeur ajoutait que : C'est pour toutes ces raisons que j'ai énumérées ci-dessus, que je vous demande, Monsieur le Directeur, d'apporter les modification et copies nécessaires à ce courrier envoyé le 30 juin, en LR :AR n° 1A03133344102 en 2 pages et adressé à Monsieur le président du service de la médecine du travail ; qu'ainsi la société avait été informé par d'autres sources que celles de Monsieur Y... en sorte que les allégations de ce dernier n'étaient pas isolées comme il a été prétendu ; qu' en effet l'abstention de l'employeur a été constante et s'est prolongée alors que le 18 décembre 2007 lors d'une réunion du CHSCT le médecin du travail avait déclaré qu'il avait reçu un employé qui lui semblait mal à l'aise et qui avait un mauvais « relationnel avec son chef de secteur qui lui aurait dit que trois employés du secteur Bazar voulait l'agresser. Je ne sais pas si cela est véridique mais son chef de secteur n'aurait jamais du lui dire cela ; - Monsieur C... déclarait « son chef de secteur me l'a même dit à moi. Cet employé est menacé et pour nous la seule solution est de le sortir du secteur pour désamorcer cette situation et aussi il a une pression de la part de sa hiérarchie. Il se sent dépressif, il a eu des événements tragiques familiaux récemment, c'est un travailleur handicapé » ; qu'enfin la lettre de licenciement indique que Monsieur Y... en voulait toujours personnellement à son premier chef de secteur ; que, dans ces conditions, il existait des indices sérieux dès l'origine d'une mésentente entre Monsieur Y... et son chef de secteur ; qu'à aucun moment l'employeur n'a cherché à vérifier si cette mésentente n'avait pas dégénéré comme Monsieur Y... l'avait écrit, se bornant à des dénégations successives de tout harcèlement ; que, dès lors, les faits de harcèlement étant parfaitement établis, compte tenu de la carence en preuve de l'employeur, il convient de confirmer purement et simplement le jugement, l'importance de ceux-ci justifiant le montant des dommages intérêts allouées à titre de réparation ; que l'accueil des demandes de Monsieur Y... rend infondées les prétentions indemnitaires de la société » ;
ALORS QUE le salarié qui invoque des faits de harcèlement moral doit rapporter la preuve de faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement, l'employeur devant alors établir que ces agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en déduisant de deux courriers adressés par le salarié à sa direction, mettant en cause tant le pouvoir de direction que le pouvoir disciplinaire de son employeur, que l'allégation de faits matériels est satisfaite, la cour d'appel a violé les articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; que, dès lors, la cour d'appel qui, pour conclure à l'existence d'un harcèlement moral, invoque essentiellement une lettre de M. C... délégué syndical du 27 juillet 2009, ne figurant pas parmi les pièces produites aux débats par le salarié, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS QU'une simple situation de mésentente entre un salarié et son supérieur hiérarchique ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral ; qu'en retenant, pour établir l'existence d'un harcèlement moral, qu'il existait des indices sérieux dès l'origine de mésentente entre M. Y... et en reprochant à l'employeur de ne pas avoir recherché si cette mésentente n'avait pas dégénéré comme soutenu par ce premier, quand bien même il résultait des éléments produits aux débats que l'exposante avait accédé aux diverses demandes de changement de poste sollicitée par le salarié dont la situation avait été, par ailleurs, examinée à plusieurs occasions par divers intervenants, la cour d'appel a violé les articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail ;
ALORS QUE l'employeur avait fourni des explications précises et nombreuses aux accusations de harcèlement moral portées par M. Y..., dénonçant à son tour le comportement du salarié (mésentente avec ses collègues, accusations mensongères à l'encontre de sa hiérarchie, publicité donnée à ces mises en cause, qui ont déclenché des lettres de pétition à son encontre) et mettait en exergue un comportement volontairement provocateur, se manifestant par la multiplication des courriers sur une courte période et leur large diffusion, par des revendications excessives, voire contradictoires ou contraires aux avis du médecin du travail et par l'emploi de procédés illégaux, tels que des enregistrements audio faits à l'insu de ses interlocuteurs ; qu'en reprochant à l'employeur sa carence en preuves, sans avoir aucunement analysé ni les nombreux courriers dénonçant le comportement du salarié, ni les deux pétitions signées par ses collègues de travail dans le même sens, pourtant régulièrement produits aux débats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail.