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09/07/2014 | FRANCE | N°13-17918

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 09 juillet 2014, 13-17918


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique : Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

Attendu qu'en application de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa d

écision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèle...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique : Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

Attendu qu'en application de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme A...a été engagée le 22 février 1999 en qualité de responsable de magasin par la société ED, aux droits de laquelle se trouve la société Dia France ; que par lettre du 22 septembre 2009, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail invoquant notamment des faits de harcèlement moral ; Attendu que pour dire que la prise d'acte de la salariée produit les effets d'une démission, l'arrêt retient, sur le grief de harcèlement moral invoqué par la salariée, que celle-ci produit la lettre de dénonciation de harcèlement moral signée collectivement avec trois collègues le 26 septembre 2008, adressée à la direction de l'entreprise, un certificat médical de prolongation d'arrêt de travail du 27 septembre au 27 octobre 2008, plusieurs procès-verbaux d'audition de collègues ou ex-collègues établis par la gendarmerie de Bayeux à la suite de la plainte déposée pour harcèlement moral notamment par elle-même ; que les collègues de travail de Mme A...font essentiellement état de réflexions désobligeantes et de brimades de la part de Mme X...ou de M.
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à leur égard ou à l'égard d'autres salariés et de problèmes rencontrés personnellement dans leur travail avec leurs supérieurs hiérarchiques ; que quatre d'entre elles, Mmes Marie, Z..., D...et C...font plus précisément référence à Mme A...en indiquant, pour les trois premières, que celle-ci était surnommée « la folle dingue » par Mme X...et pour la troisième, que « Sophie A...était le plus victime des brimades car c'est elle qui répondait le plus » ; que cinq clientes font état de la mauvaise ambiance régnant dans le magasin et des propos désobligeants proférés à l'égard des salariés par la responsable ; que cependant la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral dont la salariée aurait été personnellement victime n'est pas établie ; qu'en effet aucun élément n'est fourni concernant les suites éventuellement données au courrier adressé par la salariée à l'inspection du travail, courrier dont, au demeurant, le caractère probant est à lui seul limité puisqu'il relate les seuls propos de Mme A...; qu'un certificat de prolongation d'arrêt de travail est seul produit à l'exclusion de tout autre document médical et en particulier du certificat médical initial qui aurait au moins permis de situer le point de départ de cet arrêt ; que la procédure diligentée par la gendarmerie de Bayeux à la suite de la plainte déposée notamment par Mme A...pour harcèlement moral et ayant abouti à un classement sans suite par le parquet, n'est que partiellement communiquée par Mme A..., ce qui ne permet pas d'apprécier correctement et dans leur ensemble, les faits invoqués par Mme A...; que les salariées entendues donnent essentiellement des renseignements sur leur propre situation personnelle et leurs propres rapports avec leurs supérieurs hiérarchiques et seules quatre d'entre elles, dont les trois autres signataires de la dénonciation initiale et une quatrième salariée dont l'attestation n'est ni datée ni signée, parlent de Mme A...et ce, de façon particulièrement lapidaire, étant relevé que l'une d'entre elles, pourtant signataire de la dénonciation, indique expressément qu'elle ne se sent pas victime de harcèlement moral ; Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations l'existence de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement, en sorte qu'il revenait à l'employeur d'établir que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ; Condamne la société Dia France aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Dia France à payer à Mme A...la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour Mme A...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte par Madame A...de la rupture de son contrat de travail devait produire les effets d'une démission ; AUX MOTIFS QUE s'agissant du harcèlement moral dont elle dit avoir été victime de la part de Mme B...et M.
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, Mme A...expose aux termes, repris dans ses conclusions, de la lettre qu'elle a personnellement adressée à l'inspection du travail, qu'à son retour de formation en mars 2008, le trousseau de clés nécessaire à l'accomplissement de ses fonctions (ouverture et fermeture du magasin, opérations sur les caisses, accès au coffre et au bureau) ne lui a pas été restitué, qu'elle n'avait plus le droit de donner des directives à ses collègues et était cantonnée à la mise en rayon et au passage en caisse, qu'elle était dénigrée et insultée ainsi que ses collègues même devant les clients par Mme B...et M.
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, lesquels leur donnaient des surnoms, elle-même étant surnommée « la folle dingue », qu'afin de l'humilier et de la rabaisser, une caissière lui donnait des ordres sur les directives de Mme X..., que son travail était systématiquement critiqué par ses supérieurs quoi qu'elle fasse ; Qu'elle verse aux débats la dénonciation de harcèlement moral signée collectivement avec ses collègues Mesdames Marie,
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et Z...le 26 septembre 2008, adressée à la direction de l'entreprise par laquelle les salariées indiquent qu'elles subissent de la part de M.
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et/ ou de Mme X...des agissements répétés (sans précision sur ces agissements) qui ont pour effet une dégradation de leurs conditions de travail et demandent à l'employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires afin de prévenir les agissements de harcèlement moral, ainsi qu'un certificat médical de prolongation d'arrêt de travail en date du 27 septembre 2008 jusqu'au 27 octobre 2008 ; Qu'elle communique plusieurs procès-verbaux établis par la gendarmerie de Bayeux à la suite de la plainte déposée pour harcèlement moral, notamment par elle-même, en l'occurrence, le procès-verbal de son dépôt de plainte et d'audition du 30 septembre 2008 aux termes de laquelle elle expose les faits tels que relatés précédemment, ainsi que les procès-verbaux d'audition et les attestations de clients du magasin et de collègues ou ex-collègues ; Que les collègues de travail de Mme A...font essentiellement état de réflexions désobligeantes et de brimades de la part de Mme X...ou de M. Y... à leur égard ou à l'égard d'autres salariés et de problèmes rencontrés personnellement dans leur travail avec leurs supérieurs hiérarchiques ; Que quatre d'entre elles, Mesdames Marie, Z..., D...et C..., font plus précisément référence à Mme A...en indiquant, pour les trois premières, que celle-ci était surnommée « la folle dingue » par Mme X...et pour la troisième, que « Sophie A...était le plus victime des brimades car c'est elle qui répondait le plus » ; Que les cinq clientes, entendues ou attestantes, font état quant à elles, de la mauvaise ambiance régnant dans le magasin et des propos désobligeants proférés à l'égard des salariés par la responsable ; Que la cour considère qu'en l'état des explications et des pièces fournies par Mme A..., la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral dont l'intéressé aurait été personnellement victime n'est pas établie ; Qu'en effet, même pris ensemble, les éléments communiqués par Mme A...sont insuffisants en ce que, notamment :- aucun élément n'est fourni concernant les suites éventuellement données au courrier adressé par cette dernière à l'inspection du travail qui n'a pu manquer de réagir à la lecture de son contenu, courrier dont, au demeurant, le caractère probant est à lui seul limité puisqu'il relate les seuls propos de Mme A...;- un certificat de prolongation d'arrêt de travail est seul produit, à l'exclusion de tout autre document médical et en particulier du certificat médical initial qui aurait au moins permis de situer le point de départ de cet arrêt ;

- la procédure diligentée par la gendarmerie de Bayeux à la suite de la plainte déposée notamment par Mme A...pour harcèlement moral et ayant abouti à un classement sans suite par le parquet, n'est que partiellement communiquée par Mme A..., ce qui ne permet pas à la cour, au-delà de ce classement, de pouvoir apprécier correctement et dans leur ensemble, les faits invoqués par Mme A...;- les salariées entendues donnent essentiellement des renseignements sur leur propre situation personnelle et leurs propres rapports avec leurs supérieurs hiérarchiques et seules quatre d'entre elles, dont les trois autres signataires de la dénonciation initiale et une quatrième salariée dont l'attestation n'est ni datée ni signée, parlent de Mme A...et ce, de façon particulièrement lapidaire dans les termes précédemment indiqués, étant relevé que l'une d'entre elles, pourtant signataire de la dénonciation, indique expressément qu'elle ne se sent pas victime de harcèlement moral ;- plusieurs des attestations produites, outre qu'elles sont tapées à la machine et non manuscrites, ne sont ni datées ni signées ;

- les clientes entendues ou attestantes font, certes, état de la mauvaise ambiance générale mais ne citent à aucun moment Mme A...; Qu'il n'y a, dans ces conditions, pas lieu d'examiner les éléments apportés par l'employeur ; Que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme A...ne peut être justifié par le harcèlement moral invoqué mais non retenu par la Cour ; 1) ALORS QUE lorsque les faits sont avérés, le harcèlement moral peut justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; que nul salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire notamment en matière d'affectation ou de mutation pour avoir refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

que lorsque le salarié établit des faits qui, considérés dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs du harcèlement en cause et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses propres constatations l'existence de faits laissant présumer un harcèlement et qu'il appartenait à l'employeur de prouver qu'ils n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision d'affectation de Madame A...à Carentan était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la Cour a violé l'article L. 1154-1 du Code du travail ; 2) ALORS QUE lorsque les faits sont avérés, le harcèlement moral peut justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; que nul salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire notamment en matière d'affectation ou de mutation pour avoir refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; que lorsque le salarié établit des faits qui, considérés dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs du harcèlement en cause ; qu'en réfutant les éléments communiqués par Madame A...par des motifs inopérants comme hypothétiques ou généraux, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1154-1 du Code du travail ; 3) ALORS QUE les juges d'appel qui infirment la décision des premiers juges, dont la confirmation était demandée, doivent réfuter les motifs retenus par ces derniers qui justifiaient le jugement rendu ; qu'en ne s'expliquant pas sur les motifs qui constataient des témoignages faisant état d'« instructions données à la dernière minute », d'« horaires compliqués », de « réflexions désobligeantes tenues par Madame X...sur le physique ou les capacités intellectuelles des employés, des brimades et du surnom de « folle dingue » visant Madame A..., de méchancetés « de mauvais goût », d'insultes proférées à l'égard des salariés et de pleurs du personnel, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13-17918
Date de la décision : 09/07/2014
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 22 mars 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 09 jui. 2014, pourvoi n°13-17918


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Fabiani et Luc-Thaler

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.17918
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