LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Sébastien X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de CAEN, en date du 18 mars 2014, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises de l'ORNE sous l'accusation de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par concubin ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 juin 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Foulquié, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Moreau, conseiller rapporteur, M. Moignard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller MOREAU, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles122-5 et 222-9 du code pénal, 181, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises de l'Orne ;
"aux motifs que M. X... a analysé son geste alternativement comme apaisant mais qui avait pris une tournure dramatique accidentellement du fait de la posture de Mme Y..., ou, face aux dommages très importants causés à cette dernière, comme traduisant un état d'énervement ; que ces explications sont intéressantes en ce qu'elles ont en commun que l'intéressé n'a à aucun moment évoqué un sentiment de danger ressenti au moment où il a agi, alors même qu'il a toujours soutenu avoir reçu auparavant un coup de bouteille sur le sommet du crâne, qui lui a laissé des lésions minimes comme en attestent les constatations médicales effectuées à proximité des faits ; que devant la cour, M. X... confirme et assume le caractère volontairement agressif et violent de son action, guidée par la colère, tout en la justifiant à présent comme une riposte au coup de bouteille de sa compagne ; qu'invoquer la légitime défense à titre de fait justificatif exonératoire de toute responsabilité pénale comme il souhaite le voir reconnaître, suppose de justifier de son acte par une agression concomitante nécessitant une riposte immédiate guidée par le souci de se protéger, et d'établir que cet acte a été proportionné au danger encouru ; que s'il est constant que les violences commises par M. X... sur Mme Y... sont postérieures au coup de bouteille que cette dernière lui a porté à la tête, il n'est pas possible de déterminer dans quel laps de temps exact elles ont eu lieu, M. Z... se disant non témoin de la scène ; qu'elles ne sont toutefois pas concomitantes, au vu du récit de M. X... lui-même, qui certes ne parle pas d'un déplacement de sa compagne vers la cuisine, comme celle-ci l'a indiqué, mais qui n'a à aucun moment soutenu avoir riposté pour faire lâcher la bouteille à sa compagne ; qu'en tout état de cause, au vu du contexte et du mode opératoire décrits par M. X... lui-même et ses réflexions spontanées, son geste de morsure, fut-il réactionnel à un comportement de violence de sa compagne, ne saurait pour autant s'analyser comme une défense légitime, l'intéressé ne pouvant raisonnablement croire qu'il était en danger, n'ayant d'ailleurs jamais prétendu avoir peur de sa compagne ; que de surcroît, par-delà sa supériorité physique et sa moindre alcoolisation, M. Z... était susceptible de lui venir en aide ; qu'un tel geste de morsure, déployé dans la durée pour parvenir à un résultat aussi grave, en serrant les dents de plus en plus fort comme l'a expliqué l'intéressé lui-même, révèle un usage délibéré d'une force démesurée de la mâchoire, et est manifestement disproportionné par rapport au coup modéré par lui reçu sur le crâne ; que M. X... justifie d'ailleurs la gravité des blessures peu ordinaires subies par sa compagne non par le fait que le coup de bouteille ait rendu nécessaire un tel résultat, mais par le fait qu'il aurait été dépassé par les conséquences de son geste ; qu'il sera relevé à cet égard que n'ayant pas usé d'une arme ou d'un objet dont il aurait mal mesuré la portée d'utilisation, mais de ses seules dents, il était directement maître du dosage de la violence qu'il entendait déployer ; que la morsure profonde infligée à sa compagne au point de lui arracher partiellement la lèvre inférieure et le mention n'est pas le résultat d'une cause extérieure aggravante, mais précisément le fruit d'un geste physique d'une violence inouïe dont il est seul l'auteur ; qu'il apparaît ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments, que les violences exercées sur Mme Y... n'ont pas été commandées par la nécessité de la légitime défense ;
"1°) alors que le fait justificatif de légitime défense suppose une atteinte objective, actuelle ou imminente et vraisemblable, rendant nécessaire une riposte proportionnée ; que ces éléments sont, seuls, requis au titre de l'article 122-5 du code pénal pour constituer l'état de légitime défense ; qu'en s'attachant à démontrer que le mis en examen ne se serait pas senti en danger mais aurait cherché à calmer sa compagne pour conclure qu'il n'était pas en situation de légitime défense, la chambre de l'instruction s'est fondée sur un critère qui n'est pas prévu par la loi ; qu'en effet, la posture psychologique de l'auteur de la riposte est indifférente dès lors que l'atteinte initiale est avérée et que c'est réaction à cette atteinte et en prévention de toute atteinte ultérieure imminente que la personne agressée commet elle-même une infraction ; que la circonstance que M. X... ait, par son comportement, cherché à calmer sa compagne, suffit à démontrer qu'il a agi en réaction à son comportement violent et afin de prévenir toute atteinte ultérieure ; qu'en se fondant sur un critère non prévu par la loi, la chambre de l'instruction a violé les dispositions susvisées ;
"2°) alors que, pour retenir l'absence de concomitance entre l'agression de M. X... par Mme Y... et la riposte de celui-ci, la chambre de l'instruction s'est contentée de constater que le geste de M. X... n'avait pas eu pour but d'empêcher qu'une bouteille lui soit brisée sur le crâne mais était postérieur à cette atteinte ; qu'elle n'a ce faisant pas recherché si, par son état d'ébriété et d'énervement, en connaissance de précédents épisodes de violences, Mme Y... ne représentait pas, au moment où elle a été mordue, un danger imminent et objectivement vraisemblable pour l'intégrité physique de M. X... ; que cette insuffisance de motivation prive l'arrêt déféré de toute base légale ;
"3°) alors que l'état de légitime défense suppose que les moyens de la riposte aient été proportionnés à la gravité de l'atteinte ; que cette condition de proportionnalité doit s'apprécier au regard des moyens employés et non du résultat de la riposte ; qu'en cause d'appel, le mis en examen a soulevé un moyen péremptoire tiré de ce que la morsure de la lèvre n'était pas un moyen de riposte disproportionné à l'atteinte qui venait de lui être portée avec une arme par destination, la mutilation qui s'en est ensuivie n'étant que la conséquence d'un enchaînement de réactions imprévisibles de Mme Y..., dont aucun des protagonistes ne se rappelle avec précision ; qu'en se contentant d'indiquer que le mis en examen avait nécessairement eu conscience de la force qu'il avait utilisé en la mordant, la chambre de l'instruction n'a pas répondu à ses conclusions et n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué et de l'ordonnance qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, après avoir exposé les faits et répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a relevé l'existence de charges qu'elle a estimé suffisantes contre M. X... pour ordonner son renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par concubin ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objet principal de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit juin deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;