LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 février 2013), rendu sur renvoi de cassation (1re Civ., 17 février 2011, pourvois n° 10-10. 670 et 10-10. 449), que Mme Z... a accouché d'une fille prénommée Quitterie, lourdement handicapée, le 30 avril 1992, à la Clinique Les Cigognes, à Pau, aux droits de laquelle vient la Polyclinique de Navarre, que l'accouchement a été effectué par M. Y..., médecin obstétricien et Mme X..., sage-femme, que cette dernière a été pénalement condamnée, par une décision devenue définitive, pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de plus de trois mois ; que les époux Z..., en leur nom personnel et au nom de leurs enfants mineurs, auxquels se sont joints les grands-parents de Quitterie (les consorts Z...), ont recherché la responsabilité civile du médecin, de la sage-femme et de la clinique, ainsi que la garantie de leurs assureurs ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu que la société Polyclinique de Navarre et son assureur, la société Médicale de France font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec Mme X..., M. Y... et leurs assureurs, à réparer l'entier préjudice subi par Quitterie Z... et les consorts Z..., alors, selon le moyen, que la cassation d'une décision en toutes ses dispositions investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l'entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit, sans que le rejet de certains des moyens proposés n'ait d'incidence sur l'étendue de cette saisine ; que la cour d'appel qui, saisie sur renvoi à la suite de l'arrêt du 17 février 2011 par lequel la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau le 15 septembre 2009, ce dont il résultait qu'elle était investie de la connaissance de l'entier litige, sans être tenue par les motifs de l'arrêt de cassation qui avaient écarté certains des moyens proposés, a néanmoins jugé que la Cour de cassation avait clairement indiqué dans les motifs de sa décision que la cour d'appel de Pau avait exactement déduit des faits de la cause que la responsabilité de la clinique, hors sa qualité de commettant de Mme X..., était engagée au titre des fautes commises par le personnel de la clinique, qui ont fait perdre à l'enfant des chances certaines d'échapper à la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales, de sorte qu'il convenait d'examiner dans ce cadre la responsabilité et les fautes commises par le personnel de la clinique, limitant ainsi le champ de sa saisine à la seule raison du rejet de certains moyens précédemment proposés à la Cour de cassation, a violé les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile ; Mais attendu que l'arrêt a analysé de manière circonstanciée les faits de la cause et en a déduit, par une motivation propre, l'existence des responsabilités alléguées ; qu'il en résulte que la cour d'appel n'a pas limité le champ de sa saisine mais qu'elle a au contraire considéré qu'elle était saisie de l'entier litige dans tous ses éléments de fait et de droit ; qu'il suit que le moyen n'est pas fondé ; Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Polyclinique de Navarre et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec Mme X..., M. Y... et leurs assureurs, à réparer l'entier préjudice subi par Quitterie Z... et les consorts Z... et de les condamner à verser à la MSA des Pyrénées-Atlantiques Sud Aquitaine, une provision de 500 000 euros et la somme de 970 euros au titre des frais forfaitaires de gestion et, à Quitterie Z... représentée par ses tuteurs, une provision de 500 000 euros, alors, selon le moyen, que le débiteur d'une obligation de réparer à raison de la chance qu'il a contribué à faire perdre à la victime n'est tenu, in solidum avec le débiteur responsable de l'entier dommage, qu'à hauteur de la perte de chance ainsi subie ; que la cour d'appel qui, après avoir jugé que la Polyclinique de Navarre, prise hors sa qualité de commettant de Mme X..., avait seulement contribué à la perte de chance de Quitterie Z... d'éviter l'aggravation de son état, ce dont il résultait que, en cette qualité, l'établissement de soins ne pouvait être tenu, in solidum avec les autres débiteurs, qu'à hauteur de la perte de chance ainsi subie, a néanmoins condamné l'ensemble des débiteurs in solidum à la réparation de l'entier préjudice, a violé l'article 1202 du code civil et le principe de la responsabilité in solidum ; Mais attendu que l'arrêt n'a pas seulement retenu la responsabilité de la clinique pour avoir contribué à la perte de chance de Quitterie Z... d'éviter l'aggravation de son état ; qu'il l'a aussi déclarée responsable de l'entier préjudice en sa qualité de commettant de la sage-femme qui n'avait pas excédé les limites de sa mission, ce qui n'est pas critiqué par le pourvoi ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche et sur le troisième moyen réunis :
Attendu que la société Polyclinique de Navarre et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec Mme X..., M. Y... et leurs assureurs, à réparer l'entier préjudice subi par Quitterie Z... et les consorts Z... et de dire que dans les rapports entre les responsables du dommage M. Y... était responsable de la perte de chance subie par Quitterie Z... à concurrence de 10 % du préjudice total et que la Polyclinique de Navarre l'était à concurrence de 60 %, de dire que Mme X... et son assureur devront relever indemne la Polyclinique de Navarre en sa qualité de commettant des sommes restées à sa charge après la répartition des responsabilités et ce à concurrence de 30 % du préjudice total et de dire que dans les rapports existant entre les coresponsables le paiement des provisions serait réparti comme suit : Mme X... et son assureur à concurrence de 30 %, la Polyclinique de Navarre et son assureur à hauteur de 60 % et M. Y... et son assureur à concurrence de 10 %, alors, selon le moyen : 1°/ que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; qu'en se bornant à relever, pour retenir la responsabilité de la Polyclinique de Navarre, hors sa qualité de commettant de la sage-femme, que bien qu'il n'ait pu être déterminé si les chiffres de la glycémie au Dextoxis avaient été communiqués aux médecins, pédiatre ou anesthésiste, à qui revenait la responsabilité de les avoir négligés, par le personnel infirmier ou l'un des médecins, il n'en restait pas moins que tous étaient intervenus en tant que préposés de la clinique dans l'exercice de leurs missions, ce qui entraînait la responsabilité de celle-ci, sans caractériser autrement l'existence d'un lien de préposition entre le ou les auteurs du manquement et la Polyclinique de Navarre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ; 2°/ que lorsqu'aucune faute ne peut être établie à l'égard du commettant responsable du fait de ses préposés, il ne peut être tenu de contribuer à la dette, en concours avec des responsables fautifs ; qu'en se bornant à relever, pour dire que la Polyclinique de Navarre serait, dans ses rapports avec Mme X... et M. Y..., à l'encontre desquels des fautes avaient été établies, tenue à hauteur de 60 % du préjudice total, que la première avait, à raison des fautes commises par son personnel, hors Mme X..., contribué à faire perdre à Quitterie Z... une chance d'éviter l'aggravation de ses lésions, sans préciser la faute qu'aurait commise le commettant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de les articles 1382 et 1384 du code civil ;
3°/ que le responsable de la perte de chance d'éviter l'aggravation d'un dommage ne peut pas être tenu de contribuer à la réparation des conséquences du dommage initial dont il n'est pas responsable ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait jugé que la Polyclinique de Navarre, hors sa qualité de commettant de Mme X..., n'était responsable que de la perte d'une chance, quantifiée à 60 %, subie par Quitterie Z... d'éviter l'aggravation de ses lésions cérébrales, dont la sage-femme avait été déclarée entièrement responsable, ce dont il résultait que l'établissement de soins ne pouvait être tenu de contribuer qu'à la réparation de l'aggravation du dommage, a néanmoins jugé que, dans ses rapports avec les coresponsables, la clinique serait tenue à concurrence de 60 % du préjudice total, la cour d'appel a violé l'article 1384 du code civil ; Mais attendu que, après avoir retenu les fautes de la sage-femme et la responsabilité encourue de ce chef par son commettant, la Polyclinique de Navarre, puis celle de M. Y..., gynécologue obstétricien, l'arrêt, qui a analysé la responsabilité de la clinique du fait des autres intervenants, en a justement déduit que les éléments du dossier établissaient des manquements dans la prise en charge post-natale en lien direct avec la réalisation du risque, caractérisant ainsi une faute de la clinique pour un défaut d'organisation, de surveillance et de soin qui n'était pas subordonnée à la démonstration du lien de subordination de chaque intervenant ; qu'enfin c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, tirant les conséquences de ses constatations sur la gravité des fautes commises, a décidé du partage des responsabilités entre les auteurs fautifs d'un même préjudice, constitué d'un dommage initial aggravé par l'action ultérieure d'autres intervenants ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; Condamne les sociétés La Médicale de France et Polyclinique de Navarre ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés La Médicale de France et Polyclinique de Navarre à payer aux consorts Z... la somme globale de 4 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit juin deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour les sociétés La Médicale de France et Polyclinique de Navarre
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Les sociétés Polyclinique de Navarre et La Médicale de France font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées, in solidum avec Mme X... et son assureur et le docteur Y... et son assureur, à réparer l'entier préjudice subi par Quitterie Z... et les consorts Z... ;AUX MOTIFS QUE la Cour de cassation a clairement indiqué dans les motifs de sa décision que la cour d'appel a exactement déduit des faits de la cause que la responsabilité de la clinique, hors sa qualité de commettant de Mme X..., ainsi que celle du docteur Y... étaient engagées au titre de l'ensemble des fautes commises par le médecin et le personnel de la clinique qui ont fait perdre à l'enfant des chances certaines d'échapper à la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales ; qu'il s'ensuit qu'il convient d'examiner dans ce cadre la responsabilité et les fautes commises par le docteur Y... et le personnel de la clinique principalement à partir de la naissance de Quitterie, fautes qui ont concouru à la complète réalisation du dommage et qui constituent une perte de chance d'éviter son aggravation ; que si les carences de la sage-femme dans la prise en charge néonatale sont à l'origine du dommage en ce qu'elle en a méconnu la gravité potentielle, et que les manquements du docteur Y... ont également concouru à la création ou à l'aggravation des lésions, il est établi par les différentes expertises que compte tenu de cette souffrance, indiscutablement constatée à la naissance de Quitterie qui a du être réanimée, la surveillance de cette dernière pendant les 8 premières heures de vie aurait dû être plus renforcée, surveillance qui incombe aux autres intervenants de la clinique ; que la souffrance foetale aigue conditionne la gravité lésionnelle de l'hypoglycémie ultérieure, ainsi selon les experts l'hypoglycémie même transitoire est susceptible de créer des lésions cérébrales définitives surtout quand d'autres facteurs de risque notamment hypoxo-ischémiques interviennent ; qu'il s'ensuit que le contrôle de la glycémie s'agissant d'un nourrisson hypotonique, ayant du être réanimé à la naissance suite à une anoxie sévère et incapable de s'alimenter aurait du être immédiat et réalisé à une fréquence plus élevée ; que de même la réaction à l'hypoglycémie constatée aurait dû être plus immédiate ; que la persistance de chiffres anormaux ou l'impossibilité d'assurer cette surveillance et ce traitement, aurait dû provoquer une prise en charge hospitalière spécialisée d'urgence ; qu'il n'a pas pu être déterminé si les chiffres de la glycémie au Dextoxis ont été communiqués aux médecins, pédiatre ou anesthésiste et à qui revient la responsabilité de les avoir négligés, le personnel infirmier ou l'un des médecins ; qu'il n'en reste pas moins que tous sont intervenus en tant que préposés de la clinique dans le cadre de l'exercice de leurs missions, ce qui entraîne la responsabilité de celle-ci sans qu'il soit nécessaire de les mettre en cause personnellement, dès lors que les éléments du dossier établissent les manquements dans la prise en charge post-natale et leur lien direct avec la réalisation du risque et la constitution du préjudice ; qu'en ce qui concerne le malaise au cours de la prise du biberon vers 21 h, décrit comme un épisode hypoxique majeur ayant nécessité une ventilation par masque et oxygénation, les experts ont souligné que le personnel avait commis une imprudence en essayant de faire avaler de force un liquide à un nouveau-né très léthargique ; que la fausse route qui en a résulté a de façon certaine aggravé la situation cérébrale du bébé, cela a été un facteur de risque lésionnel supplémentaire et de ce fait, a créé une perte de chance accrue ; ALORS QUE la cassation d'une décision en toutes ses dispositions investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l'entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit, sans que le rejet de certains des moyens proposés n'ait d'incidence sur l'étendue de cette saisine ; que la cour d'appel qui, saisie sur renvoi à la suite de l'arrêt du 17 février 2011 par lequel la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau le 15 septembre 2009, ce dont il résultait qu'elle était investie de la connaissance de l'entier litige, sans être tenue par les motifs de l'arrêt de cassation qui avaient écarté certains des moyens proposés, a néanmoins jugé que la Cour de cassation avait clairement indiqué dans les motifs de sa décision que la cour d'appel de Pau avait exactement déduit des faits de la cause que la responsabilité de la clinique, hors sa qualité de commettant de Mme X..., était engagée au titre des fautes commises par le personnel de la clinique, qui ont fait perdre à l'enfant des chances certaines d'échapper à la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales, de sorte qu'il convenait d'examiner dans ce cadre la responsabilité et les fautes commises par le personnel de la clinique, limitant ainsi le champ de sa saisine à la seule raison du rejet de certains moyens précédemment proposés à la Cour de cassation, a violé les articles 623, 624, 625 et 638 du code de procédure civile ; ALORS QUE, en tout état de cause, les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; qu'en se bornant à relever, pour retenir la responsabilité de la Polyclinique de Navarre, hors sa qualité de commettant de la sage-femme, que bien qu'il n'ait pu être déterminé si les chiffres de la glycémie au Dextoxis avaient été communiqués aux médecins, pédiatre ou anesthésiste, à qui revenait la responsabilité de les avoir négligés, par le personnel infirmier ou l'un des médecins, il n'en restait pas moins que tous étaient intervenus en tant que préposés de la clinique dans l'exercice de leurs missions, ce qui entrainait la responsabilité de celle-ci, sans caractériser autrement l'existence d'un lien de préposition entre le ou les auteurs du manquement et la Polyclinique de Navarre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 5, du code civil.