LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Bernard X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 14 mars 2013, qui, pour dénonciation calomnieuse, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, 10 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, a ordonné une mesure de publication et d'affichage, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 mai 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Guérin, conseiller rapporteur, M. Beauvais, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de Me SPINOSI, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4, 121-3, 226-10 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef de dénonciation calomnieuse ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article 226-10 du code pénal la dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ; qu'en l'espèce, les faits tels que dénoncés par M. X...à un officier de police judiciaire de la gendarmerie nationale et au substitut de permanence au parquet d'Avignon étaient de nature à entraîner des sanctions judiciaires à l'encontre, d'une part, de M. Y..., des chefs de non-assistance à personne en danger (art. 223-6 du code pénal : cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende) et de conduite sous l'empire d'un état alcoolique sinon d'un état d'ivresse manifeste (peines d'emprisonnement, d'amende et de suspension du permis de conduire encourues), d'autre part, de M. Z..., du chef d'abus d'autorité (Art. 432-4 du code pénal : sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende), celui-ci encourant de plus des sanctions disciplinaires eu égard à son statut de policier municipal ; que la version des faits telle que présentée par M. X...devant cet officier de police judiciaire, exposée ci-avant, et par la suite reprise sur un site internet et donc portée à la connaissance d'un plus grand nombre, s'avère très sérieusement contrariée par les éléments objectifs du dossier ; qu'il ressort, tout d'abord, des déclarations de la victime, tant dans le cadre de la procédure accident corporel de la circulation que dans celui de l'enquête préliminaire pour dénonciation calomnieuse, que contrairement à ce qui est soutenu le conducteur du véhicule qui l'a renversée lui a porté immédiatement assistance et lui a prêté son téléphone portable aux fins de prévenir ses proches, ce qui démontre qu'elle était parfaitement consciente et qu'aucun péril particulier et immédiat ne la menaçait ; que le visionnage du CD ROM a permis d'ailleurs de vérifier que ledit conducteur s'est constamment enquis de l'état de santé de la victime, restant à ses côtés et se penchant vers elle à plusieurs reprises et cela jusqu'à ce que Y intéressée soit évacuée par les secours ; que, de même, le visionnage de l'enregistrement a permis de voir l'arrivée du prévenu sur les lieux après la production de l'accident ; que celui-ci, qui est resté peu de temps, s'est uniquement employé à tourner autour du véhicule et de son conducteur pour prendre des photos sous tous les angles, tel un reporter photographe obnubilé par l'importance de l'événement eu égard aux fonctions exercées par ledit conducteur, ignorant tout à fait le sort de la victime ; que s'agissant de l'allégation de l'état d'ébriété de M. Y...au moment de l'accident, celle-ci ressortant clairement de la répétition par M. X..., pourtant non médecin et de plus ne s'étant pas approché suffisamment, de l'expression « visage bien fatigué », expression usitée dans la région pour décrire une personne qui a consommé beaucoup d'alcool, et de son insistance à faire pratiquer un dépistage d'alcoolémie par les policiers intervenants, est contredite par les résultats, négatifs, de l'épreuve de l'alcootest pratiquée en présence de deux fonctionnaires de police et du commandant de police M. A..., étant de plus observé que Mme B..., la victime, qui ne connaissait pas particulièrement M. Y..., n'a à aucun moment fait mention dudit état allégué et que M. C..., qui a accompagné M. X...à la sortie du restaurant Monteverdi a notamment déclaré, parlant de M. Y...: « Il était choqué visiblement mais était dans un état normal, il ne paraissait pas du tout ivre si c'est ce que vous pensez » ; que le visionnage de l'enregistrement a permis également de démontrer la fausseté de M. Z..., chef de la police municipale, celui-ci étant intervenu auprès de M. X...seulement alors qu'il se trouvait au milieu d'autres badauds gênant le travail des sapeurs pompiers, badauds invités de façon tout à fait professionnelle à rejoindre le trottoir situé de l'autre côté (devant le bar L'Amiral) et n'ayant en aucun cas contraint M. X...à quitter les lieux, ce que ce dernier a fait finalement de sa propre initiative après avoir stationné quelques instants sur le trottoir ; qu'au demeurant Mme B...qui était allongée sur le sol et en bonne position pour suivre le cours des événements a déclaré n'avoir entendu de la bouche du policier que le mot « dégagez », mot qui ne s'adressait pas exclusivement au prévenu ; qu'enfin, en ce qui concerne l'élément intentionnel, que M. X..., qui a tardé pour reconnaître qu'il n'avait pas assisté à l'accident proprement dit et qu'il n'avait assisté qu'à une partie des faits dénoncés, n'est pas sérieux à soutenir qu'il était de bonne foi et qu'il a agi spontanément au constat que contrairement à ce qu'il soutient :
- il a su dès sa sortie du restaurant Monteverdi que le conducteur du véhicule qui venait de provoquer l'accident était M. Y..., M. C...précisant « quand il a vu M. Y...dehors, il s'est exclamé « c'est Y...» et aussitôt il est parti faire des photos en changeant d'angle de prise de photos, mais visiblement la victime ne l'intéressait pas »,- le caractère circonstancié de ses révélations faites dans l'après-midi, en outre après sa conversation téléphonique avec le Substitut de permanence au parquet d'Avignon, établit qu'elles ont été mûrement réfléchies et ne sont pas l'expression d'une spontanéité naturelle,- ses démarches auprès de Mme B...susceptibles d'ailleurs de recevoir la qualification de subornation de témoin en ce qu'il lui a demandé de témoigner en sa faveur et dans le sens de la version qu'il lui présentait, et auprès de Mme D... à laquelle il s'est présenté comme travaillant pour la mairie et dont il a extirpé quelques informations sur l'accident qu'il a ensuite rapportées à sa façon au travers des médias, démontrent aussi, outre l'absence de spontanéité, la conscience qu'il avait de la fausseté de sa version des faits ; qu'en l'état de l'ensemble de ces énonciations il convient de confirmer le jugement déféré sur la culpabilité ; que sur la répression, qu'eu égard à la nature, à la gravité des faits commis et aux éléments de personnalité disponibles parmi lesquels ceux tirés de l'entier dossier et des pièces versées aux débats dont il ressort qu'il est animé à l'encontre de M. Y...à tout le moins d'une rancune tenace pour des raisons politiques et/ ou personnelles et qu'il multiplie ses manifestations d'hostilité à son égard ou à celui du personnel placé sous son autorité, ici le chef de la police municipale, aux fins de lui nuire, il y a lieu, réformant le jugement déféré de condamner M. X...à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant deux ans, obligations lui étant faites d'indemniser les victimes et de ne pas rencontrer ces dernières, à une amende de 10 000 euros, à une interdiction pendant 5 ans des droits civiques, civils et de famille et d'ordonner l'affichage et la publication de l'arrêt à intervenir comme précisé ci-après ;
" 1°) alors que ne peut caractériser la dénonciation calomnieuse le simple fait de porter à la connaissance des autorités policières ou judiciaires la commission possible d'une infraction, en l'espèce, de blessures involontaires résultant d'un accident de la circulation ; qu'ainsi, en condamnant le demandeur du chef de dénonciation calomnieuse aux motifs que sa version des faits se trouve très sérieusement contrariée par les éléments objectifs du dossier lorsque le prévenu s'était borné à communiquer à un officier de police judiciaire ainsi qu'à un substitut du parquet les éléments qu'il avait pu constater et percevoir lors de l'accident de la circulation impliquant le maire d'Orange qui avait renversé un piéton sur un passage protégé, lui-même reconnaissant sa faute d'inattention, potentiellement constitutive de faits répréhensibles pénalement au regard de la loi du 10 juillet 2000, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors qu'il appartient à la juridiction, en cas de classement sans suite, de vérifier la pertinence des accusations ; qu'en l'espèce, n'a pas justifié sa décision la cour d'appel qui s'est contentée d'énoncer que les débats avaient permis de contredire la version livrée par le prévenu sans rechercher si les faits de blessures involontaires susceptibles d'être retenus à l'encontre de M. Y...ne constituaient pas des accusations pertinentes ;
" 3°) alors que le délit de dénonciation calomnieuse est une infraction intentionnelle ; que dès lors, n'a pas justifié sa décision la cour d'appel qui a considéré que l'intention frauduleuse était établie sans s'en expliquer plus avant et sans rechercher notamment si le prévenu savait, au moment des faits reprochés, que M. Y..., avait fait l'objet d'un test d'alcoolémie négatif " ;
Attendu que le moyen, qui revient à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, sans insuffisance ni contradiction, l'existence de la mauvaise foi chez le dénonciateur, ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, §, 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4, 131-35, 226-10 et 226-31 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X...aux peines complémentaires d'affichage et publication de la décision à intervenir ;
" aux motifs que sur la répression, qu'eu égard à la nature, à la gravité des faits commis et aux éléments de personnalité disponibles parmi lesquels ceux tirés de l'entier dossier et des pièces versées aux débats dont il ressort qu'il est animé à l'encontre de M. Y...à tout le moins d'une rancune tenace pour des raisons politiques et/ ou personnelles et qu'il multiplie ses manifestations d'hostilité à son égard ou à celui du personnel placé sous son autorité, ici le chef de la police municipale, aux fins de lui nuire, il y a lieu, réformant le jugement déféré de condamner M. X...à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant deux ans, obligations lui étant faites d'indemniser les victimes et de ne pas rencontrer ces dernières, à une amende de 10 000 euros, à une interdiction pendant 5 ans des droits civiques, civils et de famille et d'ordonner l'affichage et la publication de l'arrêt à intervenir comme précisé ci-après » ;
" alors que nul ne peut être sanctionné d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'en particulier, en matière de dénonciation calomnieuse, la juridiction ne peut prononcer que l'une ou l'autre des peines complémentaires prévues par l'article 226-31 du code pénal ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les dispositions et le principe susvisés, ordonner tout à la fois l'affichage de la décision et sa publication par voie de presse " ;
Vu l'article 111-4 du code pénal, ensemble l'article 111-3 dudit code ;
Attendu que, selon le second de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;
Attendu qu'après avoir déclaré M. X...coupable de dénonciation calomnieuse, l'arrêt a notamment ordonné l'affichage de la décision ainsi que sa publication par voie de presse ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'article 226-31 du code pénal, qui énumère les peines complémentaires applicables aux personnes physiques ayant commis le délit de dénonciation calomnieuse défini par l'article 226-10 du même code, ne prévoit que l'affichage ou la publication de la décision, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux mesures de publication et d'affichage prononcées ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 14 mars 2013, en ses seules dispositions relatives aux mesures d'affichage et de publication prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept juin deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;