La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/06/2014 | FRANCE | N°13-84974

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 juin 2014, 13-84974


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Kévin X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2013, qui, dans la procédure suivie contre M. Anthony Y... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ; La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 avril 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, Mme Duval-Arno

uld, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de cham...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Kévin X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2013, qui, dans la procédure suivie contre M. Anthony Y... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ; La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 29 avril 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, Mme Duval-Arnould, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Leprey ;

Sur le rapport de Mme le conseiller DUVAL-ARNOULD, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON et de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ;

« en ce que l'arrêt attaqué a fixé le poste « assistance par tierce personne » temporaire à la somme de 27 120 euros, fixé la perte de gains professionnels futurs à la somme de 66 444,09 euros, et condamné M. Y... à verser à M. X..., déduction faite des prestations de la CPAM de Basse-Normandie et des provisions versées, un solde d'indemnité, sauf mémoire de 111 352,06 euros ;

« aux motifs que le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance par un membre de la famille ; que pour autant, M. X... ne peut prétendre à une indemnisation calculée sur le taux horaire pratiqué par une entreprise prestataire sans justifier qu'il a eu effectivement recours à une telle entreprise et sans produire les justificatifs de la dépense ; qu'il est donc justifié de fixer le taux horaire à 15 euros, s'agissant d'une tierce personne active ; que s'agissant d'une victime qui a souffert à la fois de troubles à la fonction de locomotion et à la fonction de préhension, et dont le taux de déficit fonctionnel temporaire rend compte d'un handicap important, il est justifié de retenir des besoins en tierce personne comme suit : 3 heures / jour à 1euros de l'heure du 20 novembre 2006 au 23 avril 2007, soit 6 975 euros, 5 heures / jour à 15 euros de l'heure du 26 avril 2007 au 08 mai 2007, soit 975 euros, 4 heures / jour à 15 euros de l'heure du 9 mai 2007 au 8 novembre 2007, soit 11 040 euros, et 2 heures / jour à 15 euros de l'heure du 9 novembre 2007 au 5 août 2008, soit 8 130 euros, pour un total de 27 120 euros ; que M. X... justifie de ce qu'il a bénéficié du versement d'une pension alimentaire en 2009 et de revenus de remplacement pour les années 2010 et 2011 ; qu'il n'a pas encore engagé de formation ni exposé de frais en vue d'une reconversion professionnelle ; qu'il a été embauché à compter du 3 octobre 2012 pour occuper les fonctions d'agent de nettoyage pour une durée hebdomadaire de travail de 11 heures 45 ; que ses horaires de travail sont compris entre 21 heures et une heure du matin, trois jours par semaine (du jeudi au samedi inclus) ; que compte tenu de l'importance de son handicap, de la faiblesse de sa qualification professionnelle, dans la mesure où il a été obligé d'abandonner le métier manuel auquel il se destinait, de la situation du marché de l'emploi, il est bien fondé à mettre en compte, au titre de la perte de ses gains professionnels futurs, les salaires dont il a été privé, de la date de la consolidation jusqu'à son embauche ; qu'il résulte en effet de l'attestation de son maître d'apprentissage, qu'avec ou sans réussite à son CAP, il aurait procédé à son embauche ; qu'à compter du 1er septembre 2007, M. X... aurait bénéficié d'un salaire net de 1 182,62 euros ; que ce salaire correspond à un emploi de carreleur recruté comme ouvrier professionnel de niveau 2 au coefficient 185 selon la convention collective applicable à ce secteur d'activité (bâtiment) ; que ce salaire étant supérieur au SMIC, il appartient à M. X... d'établir l'évolution que ce salaire a connu ; que faute pour lui de le faire, il sera retenu un salaire de référence de 1 182,62 euros pour la détermination de la perte des gains professionnels futurs, de la consolidation au jour de l'arrêt ; qu'il convient encore de compenser, comme demandé, les effets de l'érosion monétaire ; que celle-ci sera calculée par référence au barème annexé à la circulaire de la caisse nationale d'assurance vieillesse 2013/29 du 18 avril 2013 versée aux débats par l'intéressé et portant revalorisation des salaires ;

Année Salaire à revaloriser

Coefficient de revalorisation Salaire revalorisé

2008

1.182,62 ¿

1,070 1.265,40 ¿

2009

1.182,62 ¿

1,061 1.254,76 ¿

2010

1.182,62 ¿

1,051 1.242,93 ¿

2011

1.182,62 ¿

1,042 1.232,29 ¿

2012

1.182,62 ¿

1,021 1.207,46 ¿

que la perte des gains professionnels futurs s'établit à la somme totale de 66 444,09 euros (totaux 1 + 2 + 3) ci-dessous :

période

nombre de mois

salaire revalorisé mensuel net

total

du 6 au 31 août 2008 (26/31)

1.265,40 ¿

1061,30 ¿

1er septembre au 31 décembre 2008

4 1.265,40 ¿

5 061,60 ¿

Année 2009

12 1.254,76 ¿

15 057,12 ¿

Année 2010

12 1.242,93 ¿

14 915,16 ¿

Année 2011

12 1.232,29 ¿

14 787,48 ¿

du 1er janvier 2012 au 30 septembre 2012

9 1.207,46 ¿

10 867,14 ¿

octobre 2012 (3/30)

- 1.207,46 ¿

120,75 ¿

total 1

61 870,55 ¿

que son salaire net imposable pour le mois de novembre 2012 (mois entièrement travaillé), tenant compte des majorations pour travail le dimanche, la nuit, ainsi que les jours fériés, s'établit à 1 068,40 euros ; qu'en l'absence de l'accident et à qualification professionnelle égale, le salaire de référence de M. X... peut raisonnablement être fixé, à la somme réévaluée au jour de l'arrêt de 1 207,46 euros (en l'absence de justification d'un salaire supérieur pour un ouvrier professionnel de niveau 2 au coefficient 185 selon la convention collective du bâtiment ; qu'il est donc bien fondé à mettre en compte une perte des gains professionnels futurs à compter du 3 octobre 2012 de (1 207,46 ¿ - 1 068,40 euros) = 139,06 euros nette mensuelle ; que du 03 octobre 2012 au jour de l'arrêt, sa perte s'établit donc à :

période nombre de mois

perte mensuelle nette

Total

octobre 2012 (27/30) -

125,15 ¿ 125,15 ¿

du 1er novembre 2012 au 31 mai 2013

7

139,06 ¿

973,42 ¿

Total 2

1 098,57 ¿

qu'à compter du 1er juin 2013, la perte est de : 139,06 euros × 24,989 : 3 474,97 euros (total 3) le taux de capitalisation étant choisi dans la table 2004, pour un sujet masculin âgé de 26 ans et une rente viagère tenant compte de la perte de cotisations corrélative et de son incidence sur l'assiette des revenus servant au calcul de la pension de retraite ; que la perte des gains professionnels futurs s'établit donc à la somme de : 66 444,09 euros dont il y a lieu de déduire les indemnités journalières versées du 6 août 2008 au 14 juin 2009 (313 jours au taux journalier de 20,91 euros, soit 6 544,83 euros), les arrérages échus de la rente accident du travail, du 15 juin 2009 au 31 août 2012, soit 47 386,37 euros, le capital constitutif de cette rente au 1er septembre 2012, soit 261 953,55 euros, soit un total à déduire de 315 884,75 euros, en sorte qu'il ne subsiste aucun solde en faveur de M. X... et que doit encore être imputée sur l'incidence professionnelle la somme de 249 440,66 euros ;

« 1°) alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice subi par la victime d'une infraction, cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés, ou ne répondant pas aux conclusions des parties ; que, pour le calcul des pertes de gains professionnels futurs déjà échus à la date du jugement, le juge est tenu de revaloriser pour chaque année le salaire mensuel auquel la victime aurait pu prétendre, sur la base du salaire mensuel de l'année précédente ; qu'en revalorisant le salaire de M. X... pour les années 2009, 2010, 2011 et 2012 sur la base de son salaire mensuel de 2007, quand la revalorisation aurait dû porter chaque année sur le salaire de l'année précédente, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

« 2°) alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice subi par la victime d'une infraction, cette appréciation cesse d'être souveraine lorsqu'elle est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés, ou ne répondant pas aux conclusions des parties ; que la capitalisation de la perte de gains professionnels futurs s'effectue en prenant pour base une perte annuelle, et non mensuelle ; qu'en jugeant néanmoins qu'à compter du 1er juin 2013, la perte subie par Monsieur X... serait de 139,06 euros (perte mensuelle) × 24.989 (prix de l'euro de rente viagère) soit 3 474,97 euros, quand ce taux de capitalisation viager devait être appliqué, non pas à une perte mensuelle, mais à une perte annuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

« 3°) alors que le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille ni subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives ; qu'en jugeant néanmoins que M. X... ne pourrait «prétendre à une indemnisation calculée sur le taux horaire pratiqué par une entreprise prestataire sans justifier qu'il a eu effectivement recours à une telle entreprise et sans produire les justificatifs de la dépense», la cour d'appel a violé les textes susvisés » ;

Sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que, statuant sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation dont M. Y..., reconnu coupable de blessures involontaires sur la personne de M. X..., a été déclaré tenu à réparation intégrale, la cour d'appel a fixé l'indemnisation du poste de préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne jusqu'à la consolidation de M. X... sur la base d'un taux horaire fixé à 15 euros ; qu'elle n'a ainsi fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans les limites des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;

D'où il suit que le grief doit être écarté ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1382 du code civil, 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, si les juges du fond apprécient souverainement le montant du préjudice subi par la victime d'une infraction, il en va différemment lorsque cette appréciation est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés ;

Attendu que, pour déterminer la perte de gains professionnels futurs subie par M. X..., la cour d'appel a estimé qu'il y avait lieu de procéder à une revalorisation des salaires, en se référant au barème annexé à la circulaire de la caisse nationale d'assurance vieillesse 2013/29 du 18 avril 2013, que l'intéressé aurait dû percevoir s'il n'avait pas été accidenté, à compter du 1er septembre 2007, date de sa consolidation, et jusqu'au 3 octobre 2012, date à laquelle il a trouvé un nouvel emploi ; que pour effectuer cette revalorisation, elle s'est fondée année par année sur le salaire mensuel de 2007 auquel elle a appliqué le coefficient de revalorisation prévu par le barème retenu ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de la revalorisation annuelle intervenue l'année précédente et en aboutissant ainsi à une diminution progressive des salaires de l'intéressé, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs empreints de contradiction et n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sue le moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1382 du code civil, 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que si les juges du fond apprécient souverainement le montant du préjudice subi par la victime d'une infraction, il en va différemment lorsque cette appréciation est déduite de motifs insuffisants, contradictoires ou erronés ;

Attendu que, pour fixer la perte de gains professionnels futurs subie par M. X..., la cour d'appel a estimé qu'il y avait lieu de capitaliser cette perte sur la base du taux prévu par le barème de capitalisation de la Gazette du Palais des 7 et 9 novembre 2004 pour une rente viagère au profit d'un homme de 26 ans et a appliqué ce taux à la perte mensuelle de salaire subie par l'intéressé ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le taux du barème retenu s'applique aux pertes annuelles de revenus, la cour d'appel, se déterminant par des motifs erronés, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 13 juin 2013, en ses seules dispositions relatives à la perte de gains professionnels futurs de M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze juin deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 13-84974
Date de la décision : 11/06/2014
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 13 juin 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 jui. 2014, pourvoi n°13-84974


Composition du Tribunal
Président : M. Louvel (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.84974
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award